Hanane Amraoui est ingénieure de formation, mais c’est dans le désert marocain qu’elle a trouvé sa véritable voie. En 2015, à la recherche d’une échappée loin du tumulte professionnel, elle participe sur un coup de tête à un rallye 100% féminin. Une révélation. Ce premier contact avec le monde du sport automobile, mêlant navigation et découverte du désert, devient le point de départ d’une passion durable pour les rallyes.
Quelques années plus tard, elle fonde le M-AUTOMOTIV Nour Rallye Raid, premier rallye 100% féminin organisé par une équipe marocaine. Au-delà du défi sportif, Hanane Amraoui y insuffle une vision profondément solidaire: faire du désert un terrain d’apprentissage, de sororité et d’émancipation. À travers cet événement, elle forme, encourage et crée du lien entre les femmes des villes et celles des régions rurales, convaincue que le dépassement de soi peut aussi devenir un levier de transformation sociale.
Le360: quel a été votre premier contact avec le monde du rallye du sport automobile?
Hanane Amraoui: Mon premier contact s’est fait un peu sur un coup de tête. J’étais à un moment de saturation, tant sur le plan professionnel que personnel et je cherchais un moyen de me déconnecter. C’est là que je suis tombée sur un rallye 100% féminin, en 2015. Sans aucune préparation, j’ai décidé d’y participer. C’était ma première découverte du désert du sud du Maroc. D’habitude, lorsque je prends le temps de voyager, c’est pour quitter le pays. Je n’avais donc jamais exploré ces paysages. Ce rallye n’était pas basé sur la vitesse, mais sur la navigation. Et c’est à partir de là que l’univers des rallyes s’est inscrit en moi, déclenchant une aventure qui dure jusqu’à aujourd’hui.
Pourquoi avoir choisi de créer un rallye 100% féminin?
Lors de mes premières expériences, j’ai constaté que le monde du rallye était largement masculin, même à l’échelle internationale. Très peu de femmes y participaient et encore moins de Marocaines. Il n’existait alors aucun rallye organisé par une structure marocaine, sur le territoire marocain, dédié aux femmes. Or, je suis convaincue que la femme marocaine est forte et tout à fait capable d’évoluer dans cet univers. C’est de là qu’est née l’idée d’un rallye 100% féminin, imaginé et porté par des Marocaines, pour les Marocaines, sur nos terres.
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Quels obstacles avez-vous rencontrés en tant que femme entrepreneure dans ce domaine?
Le principal obstacle a été de convaincre les Marocaines de participer à un rallye automobile. Ce sport reste très méconnu au Maroc, aussi bien par les femmes que par les hommes. Beaucoup pensent que c’est un sport élitiste, trop cher, trop dangereux et réservé à une certaine catégorie de personnes. Un autre frein, c’est la peur. Amener des femmes, parfois peu familiarisées avec le désert, suscite beaucoup d’inquiétudes: vais-je me perdre? Y a-t-il des risques? Qui va m’aider en cas de problème? Le désert est souvent perçu comme un lieu hostile, alors qu’il bénéficie aujourd’hui d’une vraie infrastructure. Les grands rallyes internationaux s’y déroulent avec le soutien des autorités. Il s’agissait donc surtout de changer les perceptions et de montrer que ce sport est accessible.
Comment est née la première édition du M-AUTOMOTIV Nour Rallye Raid?
L’idée a germé lors d’un événement organisé par l’association des femmes de l’École Mohammadia d’ingénieurs. J’étais invitée à y parler de ma passion et j’ai été surprise par l’intérêt suscité. Beaucoup de femmes avaient des étoiles dans les yeux en voyant les vidéos, les paysages, l’aventure. Elles m’ont dit: «On veut aussi participer!» Je leur ai répondu que les rallyes internationaux sont complexes et coûteux. Elles m’ont alors lancé: «Organise-nous un petit rallye pour découvrir ce monde». Le projet est né à ce moment-là.
Comment avez-vous structuré ce projet?
Entourée d’ingénieures, nous avons mené des études, posé un concept clair et structuré le tout comme un vrai projet. C’est ainsi qu’est née, début 2024, la première édition du M-AUTOMOTIV Nour Rallye Raid.
«On a créé un pont entre les participantes et les filles du sud marocain pour les aider à poursuivre leurs études après le bac.»
Qu’est-ce qui distingue le M-AUTOMOTIV Nour Rallye Raid des autres rallyes?
D’abord, c’est le seul rallye féminin 100% marocain, organisé par une équipe locale, avec des partenaires marocains, sur le sol marocain. Ensuite, il propose une combinaison de deux types de navigation: carte et boussole, mais aussi roadbook, comme dans les rallyes internationaux, afin de mieux initier les participantes à différents formats. Enfin, et surtout, nous avons intégré un volet solidaire. En tant que connaisseuse du désert depuis 2015, j’ai noué des liens avec les familles locales et notamment les jeunes filles. On a créé un pont entre les participantes, souvent médecins, ingénieures, architectes et les filles du sud marocain pour les aider à poursuivre leurs études après le bac.
Comment fonctionne ce volet solidaire?
Ce n’est pas un simple geste ponctuel: nous parrainons et accompagnons les jeunes filles du désert dans leur orientation académique. L’objectif est de leur montrer qu’elles peuvent continuer, même jusqu’aux grandes villes comme Casablanca. Nous avons commencé avec cinq jeunes filles lors de la première édition. Aujourd’hui, nous en accompagnons 15. L’une d’elles, originaire de Merzouga, suit désormais une formation d’ingénieure informatique et a réalisé son premier stage à Casablanca. C’est un accomplissement dont nous sommes très fières.
Quel est le format du rallye?
Le M-AUTOMOTIV Nour Rallye Raid n’autorise pas la vitesse: la limite est fixée à 40 kilomètres par heure, ce qui est déjà significatif en off road (tout-terrain, ndlr). Le parcours comprend trois types d’épreuve: navigation par carte et boussole, navigation au road-book (un document qui décrit un itinéraire, ndlr) et conduite dans les dunes. Nous proposons également une journée de formation à la navigation en amont, à Casablanca ou à distance. Avant le départ, les participantes passent par une phase de vérifications mécaniques et techniques. Puis s’enchaînent les trois journées d’épreuves, avant une soirée de célébration.
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Quel a été le profil des participantes lors de la dernière édition?
C’était un véritable mélange. Il y avait des ingénieures à la retraite, de jeunes professionnelles, de nombreux médecins, des banquières, des entrepreneures, des Marocaines venues spécialement de France et de Belgique. Les participantes avaient entre 30 et 62 ans. La doyenne, malgré son âge, a vécu l’aventure avec une énergie impressionnante.
Quels ont été les moments forts de la dernière édition?
Deux binômes m’ont particulièrement marquée. Le premier se perdait constamment le premier jour. Elles étaient démotivées, en larmes, prêtes à abandonner. Mais dans la nuit, elles sont venues me voir, décidées à comprendre leurs erreurs. Le lendemain, elles étaient les premières sur la ligne de départ. C’était un vrai dépassement de soi. Le deuxième binôme avait une étrange passion pour les frontières algériennes: chaque jour, on devait les ramener de là-bas! Elles prenaient la situation avec humour, musique à fond et beaucoup de rires. Elles étaient amies depuis 20 ans et ont apporté une énergie très positive au rallye.
Quel a été l’impact local du rallye sur les régions traversées?
Les femmes nomades étaient ravies. Pour une fois, ce n’était pas des étrangers qui passaient, mais des Marocaines. Elles se sentaient proches, comprenaient la langue, échangeaient facilement. Il y a eu des moments forts, simples mais profonds: prendre un thé ensemble, jouer avec les enfants, créer du lien. Certaines participantes sont d’ailleurs revenues par la suite pour partager des vêtements ou des jeux avec les enfants. Ce sont des souvenirs gravés, pour elles comme pour moi.
«Les femmes africaines ont un mental d’acier, idéal pour les sports mécaniques.»
Quand aura lieu la prochaine édition et quelles seront les nouveautés?
La prochaine édition est prévue du 23 au 27 novembre. Contrairement aux deux premières, qui débutaient et se terminaient à Merzouga, celle-ci commencera à Merzouga et s’achèvera à Marrakech, en passant par Ouarzazate. Le parcours sera plus complexe, les paysages plus variés. Nous allons aussi renforcer notre volet solidaire, avec le soutien de Wafa IMA Assistance, en organisant des caravanes médicales dédiées aux femmes de la région. Des consultations et des distributions de médicaments sont prévues tout au long du trajet.
Quel regard portez-vous sur la place des femmes africaines dans le sport automobile?
Je regrette qu’elles soient encore si peu nombreuses. Pourtant, les femmes africaines ont une grande force mentale. Nos réalités quotidiennes nous obligent à faire face à de nombreux défis. Nous avons un mental d’acier, idéal pour les sports mécaniques. Je suis persuadée qu’avec plus d’accès et d’opportunités, elles pourraient rapidement se hisser sur les podiums.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes filles?
D’abord, je veux insister sur l’importance des études. Il faut absolument obtenir un diplôme. Ce n’est pas incompatible avec une vie de famille: c’est une question d’organisation, de volonté et de persévérance. Ensuite, je recommande à chaque jeune fille d’avoir une passion. Trop souvent, on se concentre uniquement sur les études ou la carrière. Mais une passion, c’est ce qui nous donne de l’élan, nous pousse à aller plus loin. Elle nous aide à garder les étoiles dans les yeux, même à un âge avancé. C’est le secret d’une vie équilibrée et épanouie.








