J’ai eu la chance de voir le nouveau show de Gad Elmaleh. Non seulement il n’a rien perdu de son mordant, mais il s’est renouvelé avec talent et beaucoup d’imagination. Il rode ce spectacle en ce moment, avant de le présenter dans de grandes salles en France et au Maroc.
D’abord Gad a accentué le côté autodérision. Il ne s’épargne pas. Ensuite, il imagine des situations quasi surréalistes où tout se passe dans l’imaginaire. Il en est ainsi de la rencontre avec ce qu’il appelle un «fou», en fait un poète original qui vit dans ses rêves. Il lui présente sa belle voiture dernier cri avec plein d’options. Gad le suit dans son délire, ouvre la portière de droite et entre dans la voiture. Nous, nous le croyons et nous le suivons dans ses élucubrations. On voit la voiture rutilante, ses sièges en cuir, son toit ouvrant sur un ciel bleu et ses oiseaux revenus.
Il y a aussi les réflexes du blédard, l’opposé du «Blond». L’enfance et ses habitudes remontent à la surface.
Il y a aussi une réflexion doublée d’une douce inquiétude quant à l’âge. Gad vient d’avoir cinquante ans. Sa passion des femmes en prend un coup. Il prend le public à témoin et nous raconte ses aventures, notamment avec l’une des actrices avec laquelle il a tourné un film, puis son mariage avec une princesse, une vraie. Malheureusement, ce mariage n’a pas résisté aux sollicitations de la vie d’artiste.
À aucun moment la tension ne baisse. Il nous mène vers des rivages insoupçonnés. La visite de sa mère au Prince de Monaco est un morceau d’anthologie. Il en rajoute un peu, mais c’est très drôle.
Gad est inquiet. C’est normal. Il voit arriver sur scène de nouveaux humoristes, bien plus jeunes et ayant du talent, comme Roman Frayssinet ou Redouane Bougheraba. Difficile de faire rire tout le temps, de s’adapter à l’actualité et de garder un grand public. Il se méfie de l’actualité brûlante. Il n’y touche pas. Il a raison.
C’est pour cela qu’il se remet en question et qu’il fait bien de ne pas baisser les bras. Il veut rester «le boss», il veut être aimé, applaudi. Alors, il a travaillé beaucoup avec son équipe, avec des auteurs qui écrivent avec lui les sketches.
Son parcours est assez remarquable. C’est sur scène qu’il est le meilleur. Ses films sont pas mal; certains sont de gros succès, d’autres moins.
Il m’a confié qu’il adore se produire au Maroc, et trouve que c’est un public sévère. Oui, le public marocain ne laisse rien passer. À la moindre faille dans le spectacle, il le fait savoir.
Mais Gad est dans son élément quand il parle de son pays, de son enfance, de ses parents, et ça, nous, nous aimons beaucoup parce qu’il nous renvoie une image de nous à peine décalée, mais assez stridente.
Gad est un mime, doublé d’un comédien et d’un magicien du quotidien. De plus en plus, il glisse sur le surréel, c’est-à-dire vers un imaginaire fantastique et parfois assez cruel, jamais méchant. C’est un poète qui bricole la vie avec des petits riens. C’est là son talent, son art, son capital. Redoutable observateur de la vie quotidienne, des manies des uns, des habitudes des autres. Il les raconte avec l’air du type qui s’étonne.
Faire rire est un métier. Ce n’est pas donné à tous. Ils ne sont pas nombreux, ceux qui, avec légèreté et subtilité, nous font rire. L’humour a ses lois, et le public est exigeant. Gad le sait, et travaille énormément ses sketches, les corrige, les affine jusqu’à ce qu’ils provoquent un rire général. C’est de ce rire qu’il a besoin pour continuer à monter sur scène et à sortir le public de ses préoccupations quotidiennes qui sont souvent tristes.
En hommage au grand Raymond Devos, Gad nous fait rire en jouant sur les mots, en les tordant à sa manière, en les rendant incompréhensibles. C’est une nouvelle voie. Espérons qu’il la développera. Le travail sur la langue a toujours été une de ses préoccupations.
Enfin, Gad tient, depuis le début de sa carrière, à ne pas confondre son art avec les contingences politiques. En ces temps durs, en cette époque où rien ne va plus dans le monde, où les injustices s’abattent sur des innocents, il faut avoir du talent pour faire rire, réfléchir et prendre de la distance vis-à-vis de la douleur du monde. Dans ce show, il fait à peine une référence au malheur actuel, en priant pour la paix, seul espoir en notre pouvoir.