C’est l’histoire d’un type que je connaissais vaguement pour l’avoir vu traîner, quelquefois, dans les endroits que je fréquentais. Avec le temps, on a fini par se dire «bonjour, bonsoir», et même par échanger quelques bouts de phrases vite oubliées.
Il ne payait pas de mine et semblait timide et assez taiseux. Je me souviens d’un petit détail, a priori sans importance: je me trompais souvent sur son nom et je voyais, chaque fois, qu’il rougissait et baissait la tête.
Puis j’ai changé de fréquentations et de «cliques», alors je l’ai oublié comme j’ai oublié les dizaines de visages plus ou moins anonymes que je croisais à l’époque. Fin de l’histoire.
Passons à présent à une autre histoire. Depuis que j’ai commencé à publier des articles d’opinion (chroniques, éditoriaux, billets d’humeur), il y a quelque temps déjà, je me suis rapidement constitué un petit groupe de «haters», de haineux, qui me suivaient fidèlement comme mon ombre. La plupart étaient amusants. Mais il y en avait un que j’ai fini par repérer. Il était le plus fidèle et le plus haineux d’entre tous. Il me lisait toujours et m’écrivait pour m’éreinter, systématiquement, et de plus en plus violemment.
Ce lecteur fidèle et un peu spécial m’a même suivi quand j’ai changé de journal. Ses écrits devenaient de plus en plus personnels. Ils ressemblaient désormais à des vomissements.
Ben sûr, ces insultes non signées atterrissaient directement à la poubelle. Je ne les lisais plus. J’ai fini par m’en accommoder.
Puis, un beau jour, j’en ai retrouvé quelques-unes, des fragments et des bouts de phrases assassines, tout à fait par hasard, sur un compte Twitter. Un cauchemar. J’ai mené ma petite enquête pour connaître l’identité de cet admirateur anonyme. Et devinez?
Oui, oui. C’est là que les deux histoires se rejoignent. Le lecteur fidèle qui m’arrosait d’insultes personnelles est ce même garçon fade et effacé que je croisais parmi les ombres qui peuplaient certains endroits!
Il faut croire que je l’obsédais. Peut-être bien que j’ai dû le blesser un jour, un soir. Et il n’avait probablement pas eu l’opportunité, la «chance», de me dire tout l’amour qu’il me portait. J’écrivais dans un journal et j’étais même payé pour cela. Et lui écrivait seulement dans sa tête, il fulminait de rage et il ruminait.
Alors il s’est rattrapé. Il s’est répandu. Il s’est défoulé. L’anonymat et la caisse de résonnance des réseaux sociaux lui ont offert cette chance extraordinaire. La chance de vider son cœur, son sac, sa haine, et de se faire des amis, voire des admirateurs.
C’est triste mais c’est comme ça. Il faut l’accepter. Si les réseaux sociaux sont comme ce précieux animal de compagnie qui a permis à certains de se sentir moins seuls, voire important, ils ont, comme disait Umberto Eco, donné aussi «le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité».