Le communisme, tu connais?

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ChroniqueCe que je garde de ce passé communiste, c’est le mot «camarade». J’adore. Au féminin, cela donne camarada.

Le 21/01/2023 à 09h03

Jusqu’à une époque récente, je suis resté communiste. Enfin, je croyais. Qu’est-ce qu’être communiste? Dans le monde d’aujourd’hui, c’est être con. La trivialité de la définition colle bien à l’époque que nous vivons. Vaut mieux dire ce qu’on pense comme ça vient, même en heurtant certaines sensibilités.

Ce que je garde de ce passé communiste, c’est le mot «camarade». J’adore. Au féminin, cela donne camarada.

J’ai connu le camarade Ali Yata, un personnage extraordinaire qu’on appelait entre nous «Si Ali». Oui, comme l’épicier du derb. Tout le communisme est résumé là-dedans, dans cette manière d’appeler son patron comme son fournisseur d’huile et de boîtes d’allumettes. Nous étions tous les mêmes, c’est-à-dire égaux. Ce n’était pas une réalité de tous les jours mais une bulle dans laquelle nous essayions d'entrer.

Et comme toutes les bulles, elle a fini par éclater.

Il reste les mots, les expressions et les tics. Il reste aussi les anciens camarades, dont certains sont encore «sur la route», comme aurait dit ce cher Simon Lévy. «La zilna 3la tariq», répétait le camarade Shm3oune (Simon), qui essayait de faire renaître un certain communisme à la marocaine. En vain, hélas.

Elle est où, cette route dont parlait le camarade Shm3oune?

La première fois que j’ai atterri dans la fête de l’Huma (rendez-vous annuel organisé par le journal communiste L’Humanité, dans la banlieue parisienne), j’ai écrit un reportage qui n’a jamais été publié. La deuxième fois, non plus. Alors j’ai renoncé à ces reportages. J’y allais pour la musique et la fête. Et c’était très bien comme ça.

C’est le camarade Nadir, fils de Si Ali, qui m’a censuré. Il avait fait lire ma prose à d’autres camarades qui n’ont pas apprécié. Mais comment, protestaient-ils, peut-on réduire le communisme à une fête païenne où les plus alcoolisés finissent par vomir et pisser contre les arbres? De qui se moque-t-on?

Les camarades avaient bien sûr raison. Mais la fête de l’Huma, comme toutes les fêtes, c’était d’abord ça. Un cadre champêtre, de la boue, un côté moussem assez fou et de la musique fumante et endiablée. Avec des camarades accourus du monde entier, qui dansaient et buvaient comme des trous.

J’ai récemment retrouvé l’un de ces reportages censurés. C’est un fax écrit à la main, plein de ratures et de passages renforcés. Avec le temps, l’écriture est devenue illisible. Le texte évoque vaguement la chute du mur de Berlin qui a fait péter un câble à nombre de camarades. Les voilà redevenus enfants, dansant jusqu’à l’aube et oubliant les chants révolutionnaires qui ont forgé leur identité.

Ma conclusion, hier comme aujourd’hui, est la même: tant pis pour le communisme, tant mieux pour l’enfant joyeux et insouciant qui sommeille à l’intérieur de tous les camarades. Qu’ils soient ici remerciés pour la sincérité de leurs idéaux et combats, même s’ils n’ont jamais mené à rien.

Mais cela est une autre histoire.

Par Karim Boukhari
Le 21/01/2023 à 09h03