Aïd Al-Adha est passé hier! Quand vous lirez cet article, vous aurez déjà savouré douwwara (tqalya, lkarcha: tripes) et boulefafe (zannane: brochettes de foie enroulées dans de la crépine).
Peut-être avez-vous dégusté arrasse mbakhar (tête à la vapeur). Beuuurk, disent certains dont je ne fais absolument pas partie. J’adoooore!
J’adooore douwwara. J’aime la racler jusqu’à la rendre blanche. La découper avec arrya (poumon), quelques boyaux bien nettoyés, la macérer dans les épices de toutes les couleurs et tous les goûts, l’accompagner de pois chiches et la laisser mijoter avec passion sur feu doux… Un délice!
Vous faites des grimaces de dégoût! C’est votre droit. Chacun son trip. Moi mon trip, c’est les tripes!
Certains ont déjà mangé l’épaule droite, en couscous ou en tagine. J’ignore pourquoi l’épaule droite, un rituel très respecté par de nombreuses familles.
Beaucoup ne touchent pas au mouton le jour de l’Aïd, juste boulefafe et douwwara, pour que la viande sèche et devienne tendre.
Certains mangent la tête au petit-déjeuner du lendemain, avec attaye bi takhlita (thé parfumé à diverses menthes) ou za’tar (thym) pour faciliter la digestion. Au déjeuner, brochettes de gigot.
J’en ai l’eau à la bouche, car, moi, j’ai terminé cet article mercredi, la veille de l’Aïd.
À l’heure où il est publié, ce vendredi à midi, certains ont préparé un tagine avec l’épaule ou peut-être qu’ils l’ont cuite à la vapeur. Miam!
Mais n’oubliez pas la’dame dial laktèfe (os de l’épaule): levez-le pour que la lumière le traverse et captez les signes qui vous diront si l’année agricole sera faste.
Les plateaux de thé valsent à longueur de journée pour accueillir les visiteurs. Certains demandent: kife kharjate douwwartèque? (Et l’estomac de ton mouton?). Elle doit être grasse.
Avant, les gens mangeaient ce que produisait le terroir, selon les saisons. Ils bougeaient beaucoup, travaillaient manuellement. Ils avaient besoin de ces calories que procure la graisse.
Pas de réfrigérateur pour conserver la viande. Elle était cuite et rangée dans elkhabya (jarre), recouverte de graisse.
Je suis sûre que vous n’avez pas encore mangé lkar’ine (pattes de mouton). Ce sont les derniers à être cuisinés. Moi, je les cuis avec des oignons, des raisins secs, des pois chiches, de la cannelle, avec un bouillon généreux. Miammm! Et vous?
Cette fête a donné des sueurs à l’État et aux familles et a provoqué une effervescence dans les médias. La sécheresse, l’inflation et la conjoncture internationale ont fait grimper les prix des ovins de plus de 15% par rapport à l’année passée.
Les consommateurs angoissaient. Beaucoup espéraient l’annulation du sacrifice, comme le fit feu Hassan II en 1963, 1981 et 1996, suite à la sécheresse et à l’inflation.
Des internautes ont lancé le hashtag #annulationdeAïdalAdha. Mais cela aurait été un coup dur pour les éleveurs marocains, déjà affaiblis.
Pour la première fois, le Maroc a permis l’importation de moutons pour stabiliser les prix, et a supprimé les droits de douane et la TVA.
Et votre mouton, est-il marocain, espagnol, portugais ou roumain?
L’idéal serait la prestigieuse race marocaine Sardi, à la toison blanche, surnommée ndidrate ou moul ndadère (lunettes), car les contours de ses yeux sont noirs.
Mais c’est le prix qui a décidé de la nationalité, même si la préférence va aux moutons marocains. Leur viande est meilleure à cause de la qualité du pâturage. Certains disaient que la viande des moutons importés est zarqa (bleue), dure à cuir. Le mouton espagnol est gartite: sa queue est coupée alors que la bête sacrifiée doit être complète.
Mais beaucoup reconnaissent les efforts déployés par l’État. La ville de Casablanca a même offert des possibilités d’hébergement des moutons dans les abattoirs, 48 heures avant la fête, pour 24 dirhams, et le sacrifice pour moins de 250 dirhams.
Combien de bêtes ont été sacrifiées? Nous le saurons bientôt. L’offre a été estimée à 7 millions et la demande à 5,5 millions.
La viande est vite consommée par les familles. Une partie est donnée en sadaka (aumône).
Il reste cependant des traditions culinaires chez la grande partie de la population, pour allonger le plaisir de l’Aïd et agrémenter les couscous et autres plats: lguédide, viande salée et épicée, qui deviendra khli’. Mmmmm! Un tajine de khli’ aux œufs beldi.
Le kourdasse: bourse faite avec la panse de mouton, farcie de morceaux de foie, cœur, crépine, boyaux, épices. Séchée au soleil, elle agrémentera le couscous.
Mjabna, grosse saucisse farcie de viande hachée et d’épices, séchée au soleil.
La Bakbouka de l’Oriental, sorte de bourse faite avec les tripes, du riz, des pois chiches, du foie…
La queue du mouton, salée, épicée et séchée au soleil, est conservée pour le couscous de la fête de Achoura, dans un mois.
La peau du mouton servira à confectionner les tam-tams qui égayeront... la fête de Achoura.
Le deuxième jour de la fête est aussi celui de Boujloud, appelé aussi Boulabtayne, Bouhidour, Bilmawen en amazigh (l’homme à la peau de bête) qui perdure dans plusieurs régions du Maroc.
Un homme habillé en peau de mouton ou de chèvre, la tête ornée de cornes. Il déambule dans les rues, suivi d’une foule, faisant semblant de fouetter les passants qui lui donnent un peu d’argent servant, cette nuit, à financer la fête collective.
De nombreuses familles ne sacrifient pas de mouton par manque de moyens et refus ou impossibilité de contracter des crédits. Une grande frustration, surtout pour les enfants. Pour éviter cela, beaucoup s’endettent.
Les habitudes alimentaires ayant changé, de nombreux jeunes ne sacrifient plus. Ils n’aiment pas le goût du mouton ou craignent le cholestérol. D’autres préfèrent s’offrir des vacances avec le prix du mouton.
Mais la majorité continue à le faire. Cette fête réunit annuellement les membres des familles éloignés. C’est l’Aïd Lakbir, la grande fête.
Qu’elle vous comble de joie et de bien-être.