«Avortement à domicile», «Artotec Maroc», «Avortement Maroc»... De nombreuses pages sur Facebook vendent cet anti-inflammatoire, importé d’Espagne ou de France, lequel, détourné de son usage premier, peut se révéler être un médicament abortif.
Retiré en août dernier des pharmacies marocaines sur ordre du ministère de la Santé à cause de ce «mésusage», l’Artotec s’est retrouvé proposé clandestinement, au vu et au su de tous, sur Facebook.
Il faut dire que le besoin est réel: selon l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac), dirigée par le professeur Chafik Chraïbi, tous les jours, ce sont entre 600 à 800 Marocaines qui se font avorter, très souvent au péril de leur vie, et certaines en gardent des séquelles psychologiques ou physiques, à vie.
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Strictement encadrée par la loi, et réservée à des cas extrêmes, interdite par la religion, la question de l’avortement fait débat dans la société, tout particulièrement après l’affaire de la journaliste Hajar Raïssouni, d’abord condamnée en septembre dernier à un an de prison ferme, avant d’être graciée sur décision du roi Mohammed VI.
La suspension de mise sur le marché, depuis six mois, par le ministère de la Santé, du misoprostol, molécule auparavant vendue sans ordonnance sous le nom d’Artotec, qui avait été utilisé pendant des années par des femmes souhaitant avorter, n’a fait qu’aggraver une situation pourtant déjà très préoccupante.
Cette suspension, ayant pour but à l’origine de limiter l’utilisation du médicament en dehors de sa prescription principale, a donné lieu à un trafic illégal qui se propage à très grande vitesse, tout particulièrement sur Facebook.
Sur ces pages, souvent dirigées par des personnes du milieu hospitalier, dont des sages-femmes ou des infirmiers, tous les moyens sont bons pour motiver les acheteuses potentielles. Des photos de foetus avortés, des conversations de remerciements et un suivi du process sont ouvertement mis en avant par les administrateurs de ces comptes.
«C’est comme si on achetait de la drogue mais en ayant des tuyaux accessibles via Facebook. J’ai consulté plusieurs pages de vente d’Artotec, et les images de foetus avortés exposés publiquement m’ont donné froid dans le dos. J’ai fini par aller chez un médecin pour avorter par aspiration, j’ai eu peur!», confie, sous le couvert de l’anonymat, une jeune femme interrogée par Le360.
Et de fait, de nombreuses pages marocaines sur Facebook proposent aujourd’hui la vente du misoprostol sous le nom d'Artotec ou Cytotec. Les deux médicaments, importés de France ou d’Espagne sont mis à disposition à des prix exorbitants. Vendus dans ces pays à raison de 5,64€ la boîte de 20 comprimés, ces trafiquants marocains de ce médicament détourné de son usage en exigent 1000 à 1200 dirhams pour une plaquette de 10 comprimés. Une boîte entière coûtera donc entre 2000 et 2400 dirhams, soit 40 fois son Prix Public de Vente, lorsque l’Artotec était encore librement disponible dans les pharmacies marocaines…
A Casablanca, ce gynécologue se désole: «plusieurs femmes s'adonnent à des pratiques plus dangereuses les unes que les autres, comme boire de l’alcool, ingurgiter des produits toxiques, ou encore fournir des efforts surhumains pour avorter. Malheureusement les risques de ces méthodes ne sont pas méconnues par ces dernières qui préfèrent parfois mourir que de faire face à une société très renfermée».
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Les Marocaines qui ont ce malheur de tomber enceintes sans être «couvertes» par les liens du mariage sont, de fait, livrées à elles-mêmes. Si elles tentent d’avorter par leurs propres moyens, en cas d’hémorragie, elles ne peuvent même pas se rendre dans un hôpital pour sauver leur peau... A cause, justement, de la loi en vigueur, qui pourrait leur valoir de se retrouver, une fois soignées, en prison.
Depuis l’affaire Hajar Raïssouni, la peur autour de l’avortement grandit au Maroc, et plusieurs médecins refusent aujourd’hui de pratiquer cette opération ou d’intervenir pour sauver une patiente, par peur de se retrouver eux aussi derrière les barreaux.
Une situation qui révolte le Pr Chafik Chraïbi: «cette hémorragie doit cesser, et le législateur se doit de trouver une solution à ce fléau qui menace plusieurs vies. En faisant cela, nous verrons moins de femmes jeter des bébés non désirés dans la rue, moins de suicides et visiblement moins de crimes familiaux pour «sauver l’honneur». Nos médecins seront aussi là, à soigner les gens au lieu d’être en prison».
En effet, les complications possibles liées à la prise de l’Artotec en tant que médicament abortif, ou le risque important d’un avortement incomplet ne sont aucunement signalées dans ces pages. Dans d’autres pays, en France, par exemple, où l’avortement est légal, l’Artotec est administré en cas d’IVG médicamenteuse (une Interruption volontaire de grossesse, par l'absorption de médicaments), pour provoquer des contractions utérines. Cette opération s’effectue systématiquement sous surveillance médicale, ou dans des centres spécialisés, sur des femmes dont la durée de la grossesse est de 7 semaines au maximum.
Né au lendemain de l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni, le collectif des hors-la-loi poursuit aujourd’hui son combat pour le «retrait de toutes les infractions pénales sur les libertés individuelles». Mais pour l’heure, rien n’y fait. Les avortements clandestins se poursuivent, et les activités commerciales malhonnêtes ne font qu’augmenter…
«L’Etat veut que cela se passe ainsi», explique, cynique, un étudiant en médecine, qui vend de l’Artotec sur Facebook.