Quand les dirigeants algériens tombent plus bas que terre, que font-ils? Ils creusent. Évidemment. Leur propre fosse commune. Que dire sinon de la dernière trouvaille du président algérien Abdelmadjid Tebboune qui, paniqué de voir le Maroc se placer confortablement sur la scène sahélienne, a riposté n’importe comment, littéralement. À la hâte, en bricolant sur un coin de table une nouvelle annonce qui vient s’ajouter à la longue liste de promesses non tenues et qui ne le seront jamais, enrobées dans un fatras indéchiffrable de démagogie et d’insipide langue de bois.
L’occasion fait le larron, dit l’adage. Pour Abdelmadjid Tebboune, elle était toute trouvée le mardi 13 février: la 41ème réunion du Comité directeur des chefs d’État et de gouvernement du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, censé être le principal cadre de développement du continent). Par visioconférence, le président algérien a annoncé, rien de moins, l’ouverture dare-dare de zones de libre-échange (ZLE) entre l’Algérie et ses pays voisins (à l’exclusion du Maroc, cela va de soi). «J’annonce à mes collègues présidents qu’en 2024, l’Algérie connaîtra la création de zones de libre-échange avec les pays frères, à commencer par la Mauritanie, puis les pays du Sahel, Mali et Niger, en plus de la Tunisie et de la Libye», nous apprend un communiqué de la présidence algérienne. On passera sur la logorrhée qui sert de lit à cette annonce, pour ne garder que l’essentiel. Qui, a priori, sonne plutôt bien bien.
Mais alors, quels préparatifs ont été menés pour pousser Abdelmadjid Tebboune à faire une telle fracassante sortie? Quelles concertations ont été conduites au préalable? Des accords de principe bilatéraux ont-ils été signés? Un soupçon de début de négociations sur les modalités pratiques de ces ZLE a-t-il été engagé? RIEN. Les États concernés sont-ils même au courant de l’existence de cette volonté algérienne? QUE NENNI! De là à adhérer, signer des deux mains et lancer ce vaste espace de commerce intercontinental… Tebboune rêve. Debout.
Question: comment un chef d’État peut-il se permettre une telle insoutenable légèreté (sa marque de fabrique au demeurant), alors que son pays est embourbé dans de profondes crises avec la plupart des pays avec lesquels il entend librement commercer? Des crises qui ont d’ailleurs soufflé le peu de place qu’occupait l’Algérie dans une zone censée être sa chasse gardée comme le Sahel.
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Avec le Mali, par exemple, dire que rien ne va plus est un doux euphémisme. Dans un ultime camouflet pour l’Algérie, le 25 janvier dernier, le gouvernement de transition malien a annoncé sa sortie des accords d’Alger, signés en 2015 et qui prévoyaient notamment de rétablir la paix au Mali. Les actuelles autorités maliennes considèrent que cet accord fait surtout les affaires des séparatistes touaregs, savamment entretenus par Alger, et de cette dernière, qui en abuse pour s’ingérer sans ménagement aucun dans les affaires intérieures de Bamako.
Dans un double communiqué, lu à la télévision d’État par le colonel Abdoulaye Maïga, porte-parole du gouvernement, le Mali a annoncé la «fin avec effet immédiat» de l’Accord d’Alger, qui aura vécu moins de 9 ans après sa signature. Et pour cause: «Le gouvernement de transition constate avec une vive préoccupation la multiplication d’actes inamicaux, des cas d’hostilité et d’ingérence dans les affaires intérieures du Mali par les autorités de la République algérienne démocratique et populaire, toutes choses portant atteinte à la sécurité intérieure et à la souveraineté du Mali», a appuyé le porte-parole du gouvernement malien.
«Le fond du problème est clair: Bamako reproche à Alger ses liens avec les “séparatistes” touareg, ainsi que l’accueil fait le mardi 19 décembre par le président Abdelmadjid Tebboune à une délégation politico-religieuse malienne dirigée par l’imam Mahmoud Dicko, influent chef religieux d’ethnie peule et opposant au gouvernement de transition. Cela a pu faire penser à ce dernier qu’Alger allait tenter d’ouvrir un nouveau front au Mali, afin de donner de l’air à ses alliés touareg actuellement en difficulté militaire», expliquait l’historien et chroniqueur Bernard Lugan dans une chronique publiée sur Le360. Dommage collatéral, et non des moindres: les intérêts de l’Algérie se trouvent donc opposés et confrontés à ceux de son allié historique, la Russie, pays qui lui fournit la quasi-totalité de son armement… mais qui, en même temps, aide l’armée malienne à écraser les forces touareg soutenues par Alger.
Des ZLE pour échanger quoi?
Avec le Niger voisin, la situation n’est guère meilleure. Les relations bilatérales sont pour le moins conflictuelles, l’Algérie ayant eu le génie d’annoncer une médiation dans la crise au Niger avec un échéancier qui conduit à des élections. Le 2 octobre 2023, le chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf, a poussé le ridicule jusqu’à publier une déclaration dans laquelle il annonçait que la proposition algérienne avait été acceptée. Celle-ci supposait des discussions politiques «pendant six mois au maximum (...) avec la participation et l’approbation de toutes les parties au Niger sans exclusion», sous la tutelle d’une «autorité civile dirigée par une personnalité consensuelle et acceptée par tous les bords de la classe politique», afin de conduire au «rétablissement de l’ordre constitutionnel dans le pays». Sauf que le lendemain, les autorités nigériennes lui apportaient un cinglant démenti dans un communiqué officiel. Le Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Zeine, a d’ailleurs précisé avoir appris l’acceptation de cette médiation… sur les réseaux sociaux. Après un long silence, Alger annonce «renoncer» à son offre de médiation.
Dans les deux cas, une chose est sûre: le Mali et le Niger se sont totalement émancipés de l’influence algérienne et se tournent vers d’autres pays, dont le Maroc, à la faveur notamment de l’initiative royale conduite par Mohammed VI lui-même: l’Alliance atlantique. Mais c’est une autre paire de manches.
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À ces considérations s’ajoute l’épreuve du réel. Une zone de libre-échange suppose en premier lieu qu’il y ait… des échanges. «Qu’elles soient publiques ou privées, les entreprises algériennes n’ont pratiquement aucune présence réelle dans les pays concernés par ces ZLE. Mis à part, peut-être, Air Algérie et, un peu, la Sonatrach. Alors que les banques, les sociétés de télécommunications et de BTP marocaines sont légion dans la sous-région, aucune entreprise algérienne n’y est représentée», souligne le journaliste algérien en exil Abdou Semmar dans une vidéo dédiée.
Concrètement, si les échanges commerciaux entre ces pays et le Maroc sont une réalité, pour l’Algérie, passez votre chemin. Comptez une moyenne annuelle d’à peine 600 millions de dollars (chiffre établi en 2022) avec l’ensemble des pays d’Afrique. Et ces derniers y perdent, puisque la balance commerciale est largement en faveur du voisin qui n’exporte que des hydrocarbures. En face, la valeur des échanges entre le Maroc et les pays africains dépasse les 6,4 milliards de dollars, dont plus des deux tiers sont des importations.
Un pays à quantité négligeable
À côté, l’État algérien, avec tous ses pétrodollars, se montre faillible. Les projets annoncés tambour battant par l’Algérie, pour certains depuis les années 1970, n’ont jamais dépassé l’état de la maquette. Florilège: la route transsaharienne reliant six pays africains, le réseau coaxial transsaharien de fibre optique dans la région du Sahel, le gazoduc transsaharien entre le Nigeria et l’Algérie… N’en jetez plus!
De quoi achever la perte de toute forme de crédibilité de l’Algérie sur la scène tant régionale, continentale qu’internationale. Le véritable coup de grâce qu’a été le rejet absolu de la candidature algérienne à intégrer les BRICS aurait pourtant dû servir de leçon au président Tebboune, qui avait fait de cette adhésion un «chantier de règne». Mais ce serait accorder à l’homme un minimum de bon sens dont il ne dispose pas.
Même les pays censés le soutenir dans cette impossible œuvre, ses supposés alliés russes, chinois et sud-africains, se sont abstenus de cautionner une telle insanité, traitant l’Algérie en quantité négligeable et lui préférant, en août 2023, et de très loin, des pays solides et avec une vraie vision comme l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, ou encore des «outsiders» comme l’Égypte et surtout l’Éthiopie.
La phrase du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Viktorovitch Lavrov, supposant que l’Algérie n’ait «ni le poids économique ni l’influence régionale» essentiels à une éventuelle intégration est rivetée dans toutes les mémoires. Sauf celle de Tebboune, visiblement.
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Comme exercice de rattrapage, le chef d’État algérien se rabat ainsi sur le Sahel. Sans aucun succès, ni présent ni à venir, l’échec de la bouée de sauvetage que sont les ZLE annoncées étant justement annoncé. Une habitude.
Le mandat de toutes les humiliations
La liste des échecs diplomatiques (et des chèques inutilement distribués) signés Abdelmadjid Tebboune est longue comme un jour de ramadan estival. De l’infiniment grand à l’infiniment petit, en voici un aperçu. La médiation proposée par l’Algérie dans le conflit russo-ukrainien, excusez du peu, a littéralement fait pschitt et le sujet n’a à aucun moment été sur la table. Ceci, alors que Tebboune s’était livré à une séance d’auto guili-guili sur Al Jazeera, en mars 2023, affirmant que «l’Algérie n’intervient jamais dans une médiation si le pays n’est pas certain du résultat». Idem pour la crise au Niger.
Le 13 octobre 2022, l’initiative algérienne de réunir pas moins de 14 factions palestiniennes, dont le Fatah et le Hamas autour de «La Déclaration d’Alger», dans laquelle elles se sont engagées à sceller leur réconciliation, a finalement été un parfait non-événement.
S’y ajoutent les fiascos de la conférence de la Ligue arabe organisée en Algérie et de la réintégration de la Syrie dans le corps arabe, sans même que les dirigeants du pays voisin, qui y tenaient tant, ne soient consultés. Sans oublier les toutes récentes humiliations espagnole et saoudienne, le ministre espagnol des Affaires étrangères ne s’étant pas rendu à Alger pour la «réconciliation du siècle», et le prince héritier et homme fort des lieux saints de l’islam n’ayant pas jugé utile de recevoir le chef de l’armée, Saïd Chengriha, lors de son interminable séjour à Riyad.
Le tout, et on en oublie, en un seul mandat présidentiel d’Abdelmadjid Tebboune. Un record. Tout est de savoir si, avec un tel bilan, l’armée qui tient le gouvernail du pouvoir algérien va le laisser rempiler pour un nouveau mandat de déconvenues, de décisions et contre-décisions (les deux-en-un et en même temps, comme ce fut le cas pour le vrai faux boycott du port Tanger Med pour le transbordement des marchandises destinées à l’Algérie). Ou si les généraux vont enfin se rendre compte de leur monumentale erreur de casting et choisir un autre homme de paille pour servir de président de pacotille à un pays en inexorable chute libre.