UE-Algérie: enfin une riposte graduée?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueBruxelles vient de demander la création d’un groupe spécial d’arbitrage, nouvel épisode dans le différend commercial qui oppose les deux partenaires, et une escalade dans la réponse des Européens aux mesures commerciales restrictives progressivement imposées par Alger depuis une décennie.

Le 19/07/2025 à 10h00

C’était en 2021. Bruxelles menaçait Alger d’un arbitrage, après avoir engagé une procédure de règlement de différends l’année précédente. Depuis 2015, l’Algérie multipliait les mesures restrictives au commerce et sur la seule période 2015-2019, l’exportation par les Européens de produits affectés par les mesures restrictives avait chuté de plus de 50%. Mais à l’époque, l’UE n’était pas allée plus loin dans la mise en œuvre de cette procédure formelle, prévue par l’accord d’association, et inspirée par le mécanisme de règlement des différends de l’OMC– comprenant jusqu’à trois étapes successives, une période de consultations, un arbitrage dont le verdict s’impose aux parties; puis, en cas de persistance du différend, des sanctions. Le 15 juillet 2025, la DG Trade annonce que l’UE a demandé la création d’un groupe d’arbitrage contre les restrictions commerciales et d’investissements de l’Algérie– un an après avoir déclenché une nouvelle procédure de règlement des différends… Bis repetita? Rien n’est moins sûr!

Parce qu’entretemps, Alger a multiplié les entorses à l’accord d’association de 2005, et que selon les mots de la commission, «les échanges commerciaux et les investissements avec l’Algérie sont devenus de plus en plus difficiles pour les opérateurs économiques de l’UE en raison d’une série d’obstacles érigés par les autorités algériennes depuis 2021». Pas moins de huit griefs listés dans la procédure initiée en juin 2024, repris partiellement dans la communication de la Direction générale du Commerce: «Un système de licences d’importation quasiment équivalent à une interdiction d’importation pour certains produits, une interdiction totale d’importation de marbre et de produits céramiques, un plafonnement de la propriété étrangère et des exigences de réenregistrement onéreuses pour les entreprises important des marchandises en Algérie, ainsi qu’une politique globale de substitution aux importations». Des mesures lésant les opérateurs européens– mais «portant également préjudice aux consommateurs algériens, en raison d’un choix de produits indûment restreint».

Parce que la liste des entraves relevées par la Commission européenne n’est pas exhaustive. Il en est ainsi du monopole donné, en décembre 2022, à la Grande Mosquée de Paris pour la certification halal des exportations des entreprises européennes vers l’Algérie: il impose une certification plus chère que celle des organismes certificateurs concurrents, moins efficace étant entendu les importants retards de certification (relevés par les services de la Commission), discriminante pour les opérateurs européens, dans la mesure où le monopole du certificateur français ne s’impose pas aux produits provenant d’autres régions du monde. Si l’accord d’association ne contient pas de dispositions relatives aux organismes certificateurs, la mesure prise par Alger «entrave considérablement les échanges avec l’UE» selon la réponse donnée par le Commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, à un eurodéputé des Pays-Bas qui l’interrogeait en relayant sans doute les inquiétudes du secteur laitier néerlandais.

Parce qu’Alger a osé l’arme commerciale pour punir ses principaux partenaires européens, l’Espagne et la France, d’avoir fait évoluer leur diplomatie en faveur de la marocanité du Sahara. Une décision prise dans le cadre de relations bilatérales, par des autorités algériennes sous-estimant sans doute la portée européenne de leurs actes, dans la mesure où les relations commerciales avec les États membres sont «communautarisées» par l’accord d’association. Si l’UE n’a pas su, à l’époque, protéger les petites et moyennes entreprises espagnoles du courroux d’Alger– selon le secrétariat d’État espagnol au commerce, le taux de déclin des exportations a atteint 93% en décembre 2022, la Commission a, depuis, mis au passif de l’Algérie «des restrictions au commerce des marchandises exportées ou importées d’Espagne et aux mouvements de capitaux entre l’Algérie et l’Espagne» dans le cadre de la procédure de règlement des différends. Et elle semble ne plus vouloir perdre de temps, puisque la communication de la DG Trade sur la procédure d’arbitrage énonce que l’UE est «préoccupée par les obstacles supplémentaires mis en place par l’Algérie, visant spécifiquement les exportateurs et entreprises françaises»; des entraves encore difficiles à inventorier, et à chiffrer. Selon les statistiques des douanes françaises sur le premier trimestre 2025, les exportations ont diminué de 18 à 25%.

Un changement de rythme et de ton de la part de la Commission, dont Alger ferait mine d’être surpris… mais ne peut-on finalement pas l’être, tant ils tranchent avec la gestion du volet politique de l’accord d’association.

Par Florence Kuntz
Le 19/07/2025 à 10h00