Staffan de Mistura au Sahara: les dessous de la nouvelle réalité du dossier

Staffan di Mistura, envoyé personnel du secrétaire général de l'ONU au Sahara. Au fond, la ville de Laâyoune.

Staffan de Mistura, envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU au Sahara. Au fond, la ville de Laâyoune.

Si le déplacement de ses prédécesseurs était auparavant marqué par une grande mobilisation et une large médiatisation, l’actuelle visite dans le Sahara occidental de l’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies est somme toute banale. La preuve que la nouvelle réalité du fond du dossier comme sur le terrain a bien changé et que c’est le Maroc qui crée désormais l’événement.

Le 07/09/2023 à 16h42

Jusqu’à présent, une telle visite était considérée comme un véritable événement, précédé de lourds préparatifs, avec implication du gouvernement, des partis politiques, des ONG etc., et entourée d’une large médiatisation. Au Maroc, le temps s’arrêtait et l’actualité politique au Royaume était suspendue à cette visite. Ceci, en plus de bien des tapages orchestrés en pareilles occasions par les adversaires du Maroc, l’Algérie et son protégé le Polisario. Cette fois-ci, il n’en fut rien. Ainsi en est allé de la visite aux provinces méridionales du Royaume de l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, entamée le lundi 4 septembre et qui culminera avec une rencontre prévue, demain vendredi, à Rabat, avec le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Bien que le déplacement soit le premier du genre dans les provinces du Sud, l’activité s’inscrit dans une forme de normalité.

«La visite de De Mistura au Maroc se déroule suivant un agenda onusien et dans le cadre des résolutions 26-02 et 26-54 du Conseil de sécurité qui impliquent de prendre la température des parties au conflit. Elle reflète la nouvelle réalité du dossier, puisque De Mistura a pu constater de visu les grandes évolutions que connaissent les provinces du Sud, notamment à Laâyoune et Dakhla, avec des élus et une élite agissant dans le cadre d’une démocratie locale effective, une population vivant en paix, une stabilité politique et une sécurité totale, de grandes infrastructures et des projets de développement ambitieux», commente Abdelfattah Naoum, politologue, expert en relations internationales et spécialiste du dossier du Sahara.

Alors que les adversaires du Maroc parlent depuis 3 ans d’attaques armées et d’une situation de guerre au Sahara, la visite de De Mistura apporte un démenti irréfutable à la propagande des médias d’Alger et du Polisario. «Il n’a pas échappé à De Mistura de constater l’étendue des dégâts: des villes modernes, des institutions légitimes, des jeunes enthousiastes projetés vers l’avenir…», ironise Naoum.

Mohamed Bouden, professeur à l’Université Mohammed V de Rabat et directeur du Centre Atlas pour l’analyse des indicateurs politiques et institutionnels, abonde dans le même sens. «Pour importante, et d’abord pour De Mistura, cette visite n’est pas un évènement en soi. C’est “business as usual”, dans la mesure où elle est censée servir, dans le cadre d’un périple dans toute la région, de base au rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le dossier et à la prochaine résolution du Conseil de sécurité sur la question, attendue fin octobre».

Le communiqué de l’ONU annonçant la visite à ses correspondants ne dit pas autre chose. Le voyage est une étape qui sera suivie d’autres. «Il (De Mistura) attend avec impatience d’effectuer des visites dans la région et des réunions impliquant toutes les parties concernées, avant la publication du rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité en octobre». Le but: «approfondir encore les consultations avec toutes les parties concernées sur les perspectives de faire progresser de manière constructive le processus politique sur le Sahara occidental».

À cette même fin, la visite de De Mistura au Sahara coïncide avec la tournée régionale du Sous-secrétaire d’État adjoint américain en charge de l’Afrique du Nord, Josh Harris. Ce dernier s’est entretenu le samedi 2 septembre à Tindouf avec le chef du Polisario, Brahim Ghali, et dimanche 3 septembre à Alger avec le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf. L’occasion d’insister sur «l’importance d’un soutien total et d’un engagement avec l’Envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies Staffan de Mistura, dans un esprit de réalisme et de compromis».

Josh Harris est par ailleurs arrivé hier mercredi à Rabat pour des entretiens avec Nasser Bourita. «La visite de Harris est intimement liée à la relance du processus politique en vue d’une solution réaliste au conflit artificiel du Sahara occidental. Les Américains veulent relancer ce processus. D’ailleurs, cela faisait partie de l’accord convenu entre Rabat et Washington: maintenir la reconnaissance de la marocanité du Sahara tout en relançant le processus politique», nous éclaire une source diplomatique.

Cette relance, précise notre source, bute toutefois sur trois obstacles. Le premier n’est autre que le format agréé des tables rondes, recommandé par le Conseil de sécurité, mais auquel l’Algérie refuse de participer. Le deuxième est que le Maroc pose légitimement une question de fond liée à volonté de toutes les parties d’aller vers une solution réaliste. «Le troisième a trait au contexte régional et international peu favorable. Même si Washington veut peser pour une relance, ni le contexte régional, avec la rupture diplomatique entre Alger et Rabat, ni le contexte international, avec la guerre en Ukraine, ne constituent un bon Momentum. Aujourd’hui, il y a un processus de négociation qui est à l’arrêt», explique notre interlocuteur.

Reste que diplomatiquement, le Polisario et son parrain algérien sont perdants. Sur le plan militaire, c’est pire. Malgré ses annonces en fanfare, militairement, le Polisario est à l’agonie. «Depuis l’annonce de la reprise des armes en novembre 2020 par le chef du Polisario, il ne s’est absolument rien passé. Pire, les éléments du Polisario sont immobilisés dans leurs bases de peur d’être neutralisés par les drones des Forces armées royales. Le seul constat irréfutable aujourd’hui, c’est que le Polisario est impuissant militairement et isolé diplomatiquement», analyse Abdelfettah Naoum. D’après lui, tout est de savoir s’il va se satisfaire de cet isolement qui va conduire inéluctablement à sa dissolution, en dépit des dépenses exorbitantes du régime d’Alger, ou s’il va faire preuve de réalisme.

Une chose est certaine: la pression est sur les épaules du Polisario et du régime d’Alger. Si le Polisario ne bouge pas, il est fort à craindre pour sa survie en tant qu’entité. S’il sort de l’immobilisme qui menace de le paralyser, cela ne peut se faire que dans le cadre d’un processus qui conduit à une solution réaliste. «Et la solution la plus réaliste qui soit, applicable immédiatement, c’est l’autonomie, option qui se matérialise déjà sur le terrain. C’est là tout le sens de la visite de Harris», ajoute Abdelfattah Naoum. Guterres tiendra probablement le même discours au chef du Polisario s’il le reçoit la semaine prochaine à New York.

Le Royaume, lui, est rassuré tant dans sa démarche que dans sa progression, le processus ayant pour lui une perspective: une solution réaliste inséparable du plan d’autonomie. «Le Maroc continue de renforcer la coalition autour du plan d’autonomie. Chaque mois qui passe voit le rang des pays soutenant cette solution augmenter. Aujourd’hui, 90 pays le soutiennent. C’est cela le cap du Royaume. De Mistura a d’ailleurs pu constater que le contexte et la réalité du terrain sont favorables au déploiement d’une autonomie. Celle-ci n’est pas seulement une proposition, mais une réalité», insiste Mohamed Bouden.

Par Tarik Qattab
Le 07/09/2023 à 16h42