Sahara: les dessous du jeu malsain du Parti populaire espagnol

Alberto Núñez Feijóo, leader du Parti populaire espagnol.

Alberto Núñez Feijóo, leader du Parti populaire espagnol.

En invitant un représentant du Polisario à son congrès, puis en attaquant l’accord agricole Maroc-UE, le Parti populaire espagnol rallume une vieille défiance et joue une carte saharienne à double tranchant, au risque de fragiliser un partenariat stratégique devenu incontournable pour Madrid. Décryptage d’une attitude qui ne tient pas une seconde face au réel, la marocanité du Sahara, largement soutenue à l’international, étant devenue un verrou stratégique que la droite espagnole aura bien de la peine à ébranler.

Le 20/07/2025 à 12h05

Ce n’est pas la première fois, mais le signal est aujourd’hui particulièrement clair. En quelques jours, le Parti populaire espagnol (PP), principale force de l’opposition chez le voisin du nord, a ravivé la méfiance historique entre Rabat et une frange de la droite espagnole. La scène se déroule lors du Congrès du PP, tenu dimanche 6 juillet dernier et à l’occasion duquel Alberto Núñez Feijóo est reconduit à la tête du parti. Une élection symboliquement saluée ici par Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal, signe que les passerelles partisanes entre conservateurs ibériques et marocains existent encore sur le papier. Mais un détail, de taille, vient tout ternir. La présence d’un représentant du front séparatiste du Polisario à ce même congrès. Nommons Abdulah Arabi, délégué́ en Espagne du mouvement, en voie d’être classé comme organisation terroriste par les États-Unis.

L’affront est évident. En invitant une organisation ouvertement hostile à l’intégrité territoriale du Maroc, le PP ravive de vieux réflexes de défiance. Carmelo Barrio, député PP d’Alava, dans le Pays basque, rajoute une couche sur son compte X. «Aujourd’hui, lors du 21ème Congrès national du PP, nous avons accueilli un invité très spécial, le délégué en Espagne du peuple sahraoui. Nous avons retrouvé de bons amis venus de toute l’Espagne pour saluer Abdulah Arabi et témoigner notre soutien à ce peuple frère», a-t-il écrit.

Dans la foulée, comme pour enfoncer le clou, une eurodéputée du même PP, Carmen Crespo, a pris, jeudi dernier, la parole à Bruxelles pour demander la révision urgente de l’accord commercial UE-Maroc, plaidant pour l’exclusion explicite des produits issus du Sahara atlantique.

Une position qui s’inscrit dans une logique de guerre économique totale voulant l’instauration de mécanismes de réciprocité, de quotas contraignants et de contrôles renforcés et ce, indique le groupe du parti au Parlement européen, au nom de déséquilibres perçus sur le marché agricole européen, une hausse notamment de 18% des exportations marocaines en tomates ces derniers mois qui accentue la pression sur les producteurs européens, des accusations de non-respect des normes sociales et environnementales européennes et même une possible évasion fiscale, estimée à quelque 70 millions d’euros.

Bref, deux actes franchement hostiles en quelques jours. Et deux rappels que, pour le PP, la carte marocaine reste un instrument de pression politique interne et un levier électoral commode.

Une stratégie électoraliste à courte vue

Pour comprendre ces coups de boutoir, il faut se replacer dans la rivalité féroce qui oppose le PP au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Pedro Sánchez. Depuis 2022, le gouvernement socialiste a fait basculer l’équilibre historique de la diplomatie ibérique en soutenant clairement le plan marocain d’autonomie comme seule solution au différend du Sahara. Une rupture majeure après des décennies d’ambiguïté et une reconnaissance de la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud. À Madrid, la droite l’a vécu comme une trahison du «consensus d’équilibre» qui ménageait Alger et les séparatistes.

«Depuis, le PP n’a eu de cesse de marteler son rejet de cette ligne. À chaque échéance électorale ou crise interne, le dossier marocain ressurgit. L’invitation du Polisario au Congrès est une manière de rappeler au PSOE que le Sahara reste un angle d’attaque pour affaiblir la majorité. L’offensive agricole à Bruxelles relève de la même logique: rallier la base électorale rurale, inquiète de la concurrence marocaine, et pointer du doigt la supposée passivité du gouvernement Sánchez face à Rabat», explique une source au fait des relations Maroc-Espagne.

Pour elle, l’invitation du Polisario et l’attaque contre l’accord agricole ne sont pas des accidents. Ils relèvent d’un même réflexe tactique, soit instrumentaliser la question marocaine pour embarrasser la gauche au pouvoir. Mais ils illustrent surtout un décalage grandissant. Alors que le Maroc avance sur la scène internationale, le PP joue encore sur un vieux logiciel, celui d’un voisinage tendu et d’un Sahara perçu comme monnaie d’échange.

Ce jeu est dangereux et le rapport de force actuel n’est plus celui des années 90 ou 2000. Massif, le soutien à la marocanité du Sahara a gagné un terrain impossible à contrer. Des grandes puissances telles que les États-Unis, la France et le Royaume-Uni aux pays d’Afrique les plus influents, à l’image du Ghana ou du Kenya en passant par le monde arabe avec la Syrie ou encore l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, qui plus est, «Rabat détient des leviers d’influence solides. Son rôle dans la coopération migratoire et de lutte contre le terrorisme n’est plus à démontrer. Le partenariat stratégique entre Rabat et Madrid, incarné par la co-organisation de la Coupe du monde 2030 avec le Portugal, fait que le discours et l’attitude du PP sont has-been. Indispensable, l’entente actuelle est un verrou difficile à forcer pour la droite espagnole, même en cas de retour au pouvoir», souligne notre interlocuteur.

Signe de cette nouvelle asymétrie, la réponse immédiate de Nizar Baraka. Dans une lettre ferme, le secrétaire général de l’Istiqlal somme Feijóo de clarifier sa position.

La lettre adressée par le secrétaire général du Parti de l'Istiqlal à Alberto Núñez Feijóo, leader du PP espagnol.

Il rappelle la réalité du front diplomatique. Washington, Paris, Londres, la majorité des pays du Golfe et de l’Afrique soutiennent désormais l’initiative marocaine d’autonomie.

En Europe, les soutiens directs se multiplient, et Bruxelles ne peut ignorer cette dynamique. Chaque geste hostile est un risque, en l’espèce pour Madrid.

Une relation condamnée à la complexité?

L’argument agricole mobilisé à Bruxelles n’est pas nouveau. Depuis des années, une partie des eurodéputés espagnols, français ou polonais dénoncent la «concurrence déloyale» des tomates, fraises ou pastèques marocaines. Mais en ciblant explicitement le Sahara, le PP franchit un cap politique. Cette remise en cause de l’accord commercial vise en réalité à saper la base des échanges entre les deux pays et, plus largement, le Maroc et l’Union européenne.

Ici encore, l’impact est limité sur le fond. L’agriculture marocaine pèse lourd dans l’approvisionnement hivernal européen, et tout coup de frein se retournerait vite contre les producteurs espagnols eux-mêmes, dépendants de la main-d’œuvre saisonnière et des flux logistiques marocains. Mais politiquement, le signal est clair. Le PP joue la carte de la rupture, fût-ce au prix d’un bras de fer commercial dont Madrid sortirait probablement perdant.

«Entre Rabat et Madrid, la ligne de crête reste la même depuis toujours. Interdépendance et méfiance. L’Espagne a besoin du Maroc pour tenir ses frontières Sud et contenir la pression migratoire. L’Espagne, elle, est le premier partenaire commercial européen du Maroc. Pour le Royaume, c’est également un tremplin vers Bruxelles. Mais pour la droite espagnole, l’imaginaire postcolonial, largement dépassé, a la vie dure et le discours est somme toute accommodant», remarque notre expert.

Les gestes du PP montrent que cette tension latente peut ressurgir à chaque cycle politique. La fermeture soudaine des douanes de Sebta et Melilla après l’invitation du Polisario serait-elle un avertissement? Pour le Maroc, le Sahara est une ligne rouge. Mais la diplomatie marocaine choisit le plus souvent le silence stratégique, préférant accumuler des appuis internationaux plutôt que de s’engluer dans des passes d’armes stériles. N’en déplaise au PP, l’avenir de la relation Maroc-Espagne ne se joue pas uniquement à Madrid, mais se négocie à Bruxelles, à Washington, dans les capitales africaines et au sein des autres capitales de l’UE. Et le gouvernement Sánchez tient bon: l’axe Rabat-Madrid est trop précieux pour être sacrifié sur l’autel de la surenchère partisane.

En définitive, le PP peut continuer à agiter la menace saharienne pour mobiliser ses électeurs et embarrasser le Parti socialiste. Mais sur le terrain, la dynamique semble irréversible. Le Sahara marocain s’inscrit progressivement dans les réseaux commerciaux, diplomatiques, culturels et (mêmes) sportifs mondiaux. Paradoxalement, chaque crise symbolique confirme que Rabat est aujourd’hui un acteur trop central pour que ses voisins européens jouent durablement à contre-courant.

Par Tarik Qattab
Le 20/07/2025 à 12h05