Reconnaissance

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueUne image tragique parmi tant d’autres: une mère, visage dévasté, tient dans ses bras son enfant squelettique, probablement en train de mourir. Mourir de faim et surtout de soif.

Le 28/07/2025 à 11h02

Une autre image: une mère, encore jeune, serre contre son cœur le corps de son enfant mort, enveloppé dans un linceul blanc.

Ces images sont devenues banales. Mais elles disent l’horreur. Elles disent l’impuissance d’un peuple bombardé quotidiennement dans son sommeil alors qu’il n’est pas armé, qu’il n’est pas sur un champ de bataille.

Le gouvernement de Netanyahu pratique en toute simplicité et impunité son programme de nettoyage ethnique à Gaza. Vider Gaza de ses habitants par les moyens les plus efficaces: le feu et la famine.

Et cet acharnement est fait avec un naturel déconcertant, quelque chose de diabolique et de persistant.

C’est dans ce contexte d’impasse qu’Emmanuel Macron a annoncé jeudi 24 juillet sa décision de reconnaître l’État palestinien lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre prochain.

Cette décision devait être annoncée en juin dernier. Mais la guerre contre l’Iran l’a retardée.

C’est une décision historique qui a la même importance que celle que la France avait prise en janvier 1949 en reconnaissant l’État d’Israël par la voix de Robert Shuman, président du Conseil des ministres de France.

Cette reconnaissance est la première d’importance, car aucun pays du groupe G7 n’a osé franchir le pas. Macron espère entraîner avec lui la Grande-Bretagne et d’autres pays de l’Occident qui a laissé faire les massacres à Gaza. Certes, 149 pays ont déjà reconnu l’État palestinien. Mais ils n’ont pas le poids des pays européens.

Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël a déclaré que Macron ne pouvait pas attendre, sinon il «aurait fini par reconnaître un cimetière». Sa récente visite en Égypte, où il a rencontré des blessés de cette guerre atroce, l’aurait décidé à agir vite.

La réponse de Netanyahou a été immédiate et sans surprise: «Le président français récompense la terreur». Quant à ses ministres de la Sécurité et de l’Économie, ils ont déclaré publiquement leur conviction «de vider Gaza de tous ses habitants quitte à les tuer tous». Langage guerrier, raciste et brutal.

Cette décision de Macron aura aussi des répercussions à l’intérieur de la France qui compte la communauté juive la plus nombreuse d’Europe (estimée à 600.000 personnes). Elle est, dans son ensemble, très attachée à Israël et même si certains critiquent Netanyahu, le sentiment général est que le Premier ministre israélien fait «le sale boulot» pour les Arabes. Ainsi, il a éliminé une grande partie du Hezbollah au Liban; il a tué les dirigeants du Hamas, etc. Les monarchies du Golfe n’ont pas bougé.

Les juifs de France voient dans cette reconnaissance un danger pour leur propre sécurité. Mais ce qu’ils ne voient pas c’est que la guerre de Netanyahou à Gaza a eu pour effet de susciter davantage de réactions antisémites. Pas uniquement en France. Le soutien à la cause palestinienne s’est généralisé dans les universités américaines et au sein de certaines ONG.

«Macron a voulu consolider la crédibilité de la France, «terre des droits de l’homme». Il ne pouvait pas continuer à pratiquer le «deux poids, deux mesures» dans ce conflit.»

—  Tahar Ben Jelloun

Ce soutien spontané n’a rien à voir avec l’antisémitisme. Les manifestations fréquentes dans la plupart des grandes villes de notre pays ne peuvent pas être taxées d’antisémitisme. Elles sont l’expression d’une solidarité humaine, vu que ce qui se passe sur le terrain est insoutenable. Le peuple marocain n’a jamais abandonné la cause palestinienne.

Récemment, l’acteur américain, Richard Gere, a lu devant une caméra un très beau poème de Mahmoud Darwich, traduit en anglais. Ce poème dit l’exil et le malheur d’un peuple privé de sa terre.

Je me souviens d’un entretien avec Mahmoud Darwich, dans les années 1990, comparant ce que fait Israël avec les Palestiniens, à ce que l’Amérique avait fait avec ses populations indiennes, peaux-rouges.

Macron a voulu consolider la crédibilité de la France, «terre des droits de l’homme». Il ne pouvait pas continuer à pratiquer le «deux poids, deux mesures» dans ce conflit. Il faut dire aussi que l’action des colons juifs en Cisjordanie qui tuent tous les jours des Palestiniens pour s’emparer de leurs terres a dû bouleverser le président français.

Il sait que les 7 millions de Palestiniens ont besoin d’un cadre juridique pour exister. Ils ont besoin d’un passeport reconnu internationalement. Cette reconnaissance n’est pas que symbolique. Elle est politique et juridique. Tout le monde a droit à un État, à des frontières reconnues.

Peut-être qu’arrivera un jour où Israël sera dirigé par un gouvernement non raciste, non extrémiste et qu’il acceptera de négocier avec les Palestiniens un État qui sera à côté de l’Israélien.

Pour le moment, des journalistes de l’AFP (pour la première fois de leur histoire) sont sortis de leur réserve et ont dénoncé la politique créant la famine dont ils sont victimes. Pas d’eau potable, pas de nourriture, pas de médicaments. Ils vivent ce que subit le peuple de Gaza et ont témoigné. Cela a ému le monde.

Par son radicalisme, par son racisme affiché, par son intransigeance et sa volonté de liquider tous les habitants de Gaza, Israël a perdu son âme. Sa crédibilité a été entamée et sa démocratie salie.

Le geste de Macron réussira t-il à changer le cours des choses? Non, tant que Netanyahou poursuivra sa politique génocidaire, il n’y aura pas de paix et Israël vivra dans une insécurité permanente. Car tous les orphelins, tous les pères qui ont tout perdu sous les bombes israéliennes, seront obsédés par la vengeance. Et quand un peuple est mutilé, déchiré, écrasé, son désespoir devient une force que nulle armée ne saurait contenir.

Une autre image: un homme, la quarantaine est debout, entouré de cinq corps enveloppés dans leur linceul blanc. Il a tout perdu. Il ne pleure pas. Il regarde autour de lui et pense que sa vie n’a plus de sens. On devine que son chagrin est immense et inconsolable.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/07/2025 à 11h02