Depuis quelques semaines, je fais régulièrement quelques petites expériences amusantes –à vrai dire, elles n’amusent que moi…– et dont je vous fais juge dans les paragraphes qui suivent. Mettez votre robe noire et verte à grandes manches, votre toque et vos bésicles; et oyez.
À l’hôtel Saadi de Marrakech, je suis tombé pendant le FLAM sur un couple de touristes français. Sérieux comme un pape, je leur ai reproché pêle-mêle l’encombrement des prisons de l’Hexagone –franchement, c’est inhumain–, la situation des bouilleurs de cru du Calvados –je n’ai aucune idée de ce que ça veut dire, mais ça sonne bien– ainsi que l’allongement de l’âge du départ à la retraite.
Leurs yeux s’agrandirent; et comme j’ai appris chez Assimil à lire la langue des yeux, j’y déchiffrai la phrase suivante: «Mais de quoi se mêle cet insolent Marocain?»
À un collègue belge, j’ai vertement reproché avant-hier l’oppression linguistique dans la région des Fourons –vague souvenir d’un séjour d’un an dans la patrie de Brel. Sans lui donner le temps de se ressaisir, j’ai déploré la corruption qui règne dans le secteur de la construction en Wallonie –c’est de notoriété publique– ainsi que le traitement indigne que subissent les demandeurs d’asile dans certaines communes de la banlieue bruxelloise.
Mon collègue belge en resta coi, la bouche ouverte. Ses yeux couleur de bière me demandèrent: «Dis-moi une fois, Fouad, en quoi ça te regarde?»
Vendredi dernier, j’ai carrément engu…lé ma gentille et très compétente traductrice italienne: «L’extrême-droite est au pouvoir dans ton pays, Cristina. C’est scandaleux! Qu’as-tu à dire là-dessus? Justifie-toi! Et je ne te parle même pas de la collusion entre la Mafia et les élus locaux de Sicile…»
Ses grands yeux couleur de ciel s’embuèrent. Elle murmura «cosa c’entri tu, poi?» puis me jeta les œuvres complètes de Pirandello à la tête. Aïe!
Je n’ai pas encore déniché un Allemand pour l’enguirlander à propos de la réouverture des centrales thermiques à charbon –«vous polluez le monde!»– et de la fourniture de chars de combat à l’Ukraine –«vous nous rapprochez de la troisième guerre mondiale!». Honte à vous! Schande über Sie!
Je cherche activement l’entraîneur hongrois Paul Orotz qui dirigea mon club, le DHJ d’El Jadida, au début des années 70. S’il chasse en ce moment dans les prairies célestes de Manitou, paix à son âme; s’il est encore parmi nous, je lui planterai mon index dans la poitrine et lui assènerai: «Ton pays est quasiment une dictature! Qu’as-tu à dire pour ta défense?»
Je vous encourage à faire de même –toujours très poliment. Et quand votre interlocuteur européen vous demandera «mais enfin, pourquoi vous mêlez-vous de nos affaires?», vous pourrez lui répondre:
– Pourquoi vous mêlez-vous des nôtres?
Parce que c’est quand même sidérant: il ne se passe pas de jour sans qu’un journal ou un hebdomadaire d’Europe ne publie un article sur nous, sur nos choix constitutionnels, sur nos questions de société, sur la couleur de notre drapeau. Et je n’ai jamais vu l’inverse. Nous ne nous mêlons pas de leurs affaires.
Peut-être serait-il temps de le faire?
Je comprendrais enfin cette sombre histoire des bouilleurs de cru du Calvados…