Lorsque le Polisario avait décidé entre fin octobre et début novembre derniers de bloquer le passage commercial d’El Guerguerat, asphyxiant du même coup l’économie mauritanienne déjà mise à mal par la pandémie de coronavirus, il n’a pas mesuré l’ampleur de la colère, enfouie, qu’il suscita au sein de l’opinion publique et des décideurs politiques et économiques mauritaniens. Une colère qui n’a d’égal que le grand soulagement que ces derniers exprimèrent, ouvertement ou discrètement, suite à l’intervention des Forces Armées Royales, qui ont rétabli l’ordre et définitivement sécurisé le trafic commercial transitant par la frontière maroco-mauritanienne.
Mais la récente reconnaissance officielle de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis d’Amérique a créé un autre soulagement au sein de l’opinion publique mauritanienne, qui a vu en ce tournant décisif l’occasion de se démarquer à jamais du Polisario. Cette attente s’est matérialisée par les multiples appels de journalistes, chercheurs, hommes politiques et intellectuels locaux en vue d’inciter les dirigeants de Nouakchott à retirer la reconnaissance de la «RASD» que le pays traîne comme un boulet depuis plusieurs décennies.
Ainsi, le chroniqueur et chercheur mauritanien Mohamed Effou, un habitué des plateaux de France 24 pour les débats sur le Sahara, a écrit sur les réseaux sociaux: «Il est quasiment impossible, de par le monde, de voir un Etat retirer sa reconnaissance à une autre entité. Pourtant, plus de 50 Etats ont retiré leur reconnaissance au Polisario». Et d’ajouter que «les nouvelles générations qui ont grandi dans les camps de Tindouf ont été éduquées à la haine de tout ce qui est marocain et mauritanien… Pour toutes ces raisons objectives, je dis (aux dirigeants mauritaniens, Ndlr): retirez la reconnaissance du Polisario».
Pour sa part, l’ancien ministre mauritanien Sidi Mohamed ould Maham avait lui aussi, dans un post sur Facebook, appelé l’Algérie «à réviser» sa position éculée sur le Sahara marocain, «à mettre fin à son radicalisme» et à placer la construction maghrébine au-dessus des «solutions d’un autre âge car irréalisables». Il estime dans ce cadre que la Mauritanie ne doit plus camper dans la position du spectateur mais s’inscrire dans le sens des dernières évolutions positives qu’a connues le dossier du Sahara marocain.
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Le journaliste Mustapha ould Mohamed Mahmoud se dit, lui, «très fier de la reconnaissance américaine sans équivoque de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. C’est un acquis historique qui vient s’ajouter à la longue série de grandes réalisations initiées par le roi Mohammed VI». Exit donc la reconnaissance du Polisario par la Mauritanie, laisse-t-il entendre.
Cheikh ould Salek, correspondant en Mauritanie d’une chaîne arabe satellitaire, écrit sur son compte Twitter, qu’«après la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les Etats-Unis d’Amérique, les Emirats Arabes-Unis, le Bahreïn, la Jordanie, l’heure n’est-elle pas venue pour mon pays, la Mauritanie, de sortir d’une neutralité négative, dans laquelle nous sommes les plus grands perdants? L’intérêt de la Mauritanie réside dans la concrétisation de la neutralité positive que prône Mohamed ould Cheikh El Ghazouani, et qui doit inéluctablement aboutir au retrait de la reconnaissance des séparatistes du Polisario».
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Pour rappel, depuis la chute, en 1984, du colonel-président Mohamed Khouna ould Haidalla, auteur de la reconnaissance du Polisario, son tombeur, Maâwiya ould Taya, faute de pouvoir revenir sur cette reconnaissance pour éviter une rupture totale des relations avec l’Algérie, a quand même immédiatement et définitivement fermé la pseudo-ambassade du Polisario à Nouakchott, qui n’aura duré que de février à décembre 1984.Aujourd’hui, les nombreuses voix qui appellent à la rupture définitive avec le Polisario préconisent au président El Ghazouani de profiter de la nouvelle dynamique au Sahara imprimée, d’une part, de la sécurisation définitive des frontières maroco-mauritaniennes et, d’autre part, de la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la première puissance mondiale.
A cela s’ajoute le fait que la neutralité mauritanienne dans le conflit du Sahara a toujours été décriée par ceux-là mêmes à qui elle est destinée. Au mieux, elle est vue à Rabat comme un jeu d’équilibrisme difficile, mais légitime, entre l’Algérie et le Maroc, en vue de sauvegarder ses intérêts avec ces deux pays. Au pire des cas, cette attitude intenable a été souvent considérée par Alger comme une «duplicité diplomatique», cachant une «proximité avec Rabat». C’est ce qui explique que tout acte mauritanien favorable à l’un de ses voisins du nord est toujours perçu comme inamical par l’autre.Mais le président El Ghazouani a aujourd’hui le vent en poupe pour franchir le Rubicon et aller même jusqu’à ouvrir un consulat au Sahara atlantique, à l’instar des nombreux pays arabes, africains et bientôt les USA. Surtout que la Mauritanie dispose de la plus importante communauté étrangère, commerçants en majorité, établie dans le Sahara marocain. De plus, le gros des transactions économiques du pays provient ou transite par le Maroc.
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L’obstacle algérien peut donc être facilement levé. Il suffit aux dirigeants mauritaniens actuels de rééditer le courage du premier président mauritanien feu Moktar ould Daddah qui avait ouvertement défié, le 10 novembre 1975, Houari Boumédiène (de son vrai nom Mohamed Boukharouba) et son ministre des Affaires étrangères à l’époque, Abdelaziz Bouteflika. Convoqué pour une «visite de travail» à Béchar, dont l’objectif était en fait de le dissuader de signer avec l’Espagne et le Maroc les accords de Madrid sur le Sahara, Moktar ould Daddah a été menacé, comme il l’écrit dans ses mémoires, par Mohamed Boukharouba. En effet, lorsque ce dernier lui demanda, en guise de clôture de leurs discussions, de choisir entre l’Algérie et le Maroc, l’ancien président mauritanien lui répondit: «Je choisis la Mauritanie». Et d’ajouter: «La Mauritanie se détermine, avant tout, en fonction de ses intérêts nationaux et de ses principes propres. En l’occurrence, nos intérêts coïncident avec ceux des Marocains et non avec ceux des Algériens». (Moktar ould Daddah. La Mauritanie contre vents et marées. Editions Kathala, 2003, page 499).
Le «jeune» général de corps d’armée à la retraite devenu président, qu’est El Ghazouani (64 ans), doit lui aussi prendre son courage à deux mains, non pas pour défier les gérontocrates rongés par la maladie qui dirigent actuellement l’Algérie, mais pour défendre les intérêts de son pays, comme inscrit au fronton des «engagements» déclinés lors de sa campagne présidentielle de 2019. Une campagne, rappelons-le, obstruée elle aussi par le Polisario, qui a mobilisé ses maigres soutiens en Mauritanie pour faire vainement barrage à l’élection d'El Ghazouani.