Entré en vigueur le 18 juillet 2019 pour une durée de quatre ans, l’accord de pêche Maroc-Union européenne arrive à échéance le 17 juillet de cette année. Et contrairement aux scénarios passés, il n’est pas près d’être renouvelé, aucune négociation n’étant en cours. Conclu, au même titre que tous les autres accords du genre l’ayant précédé, à la demande de la partie européenne, c’est une instance européenne, à savoir la Cour de justice de l’UE, qui en a contesté le bien-fondé, au motif qu’il couvre les eaux marocaines au large des provinces du Sud. C’était le 29 septembre 2021, date à laquelle le tribunal de l’UE l’a invalidé. Un pourvoi formulé par le Conseil de l’UE, entériné par les juridictions européennes compétentes, permet d’en maintenir les effets jusqu’à terme. Ceci, en attendant la décision finale de la Cour de justice, dont la date, prévue cette année, n’est pas encore fixée. Il sera trop tard.
Prendre légèrement du recul, c’est se rendre compte que le Maroc a tout à gagner à en finir avec cet accord, et ce, pour plusieurs raisons. «Le Maroc n’a plus à s’engouffrer dans les innombrables litiges qui entourent cet accord, les ratifications, les annulations avant reconduction, les procédures d’appel… Le tout, dans un mélange insoluble d’intérêts économiques et de récupération politique. Et cela dure depuis huit ans, quand l’ONG britannique Western Sahara Campaign UK (WSCUK) a commencé à en dénoncer le contenu au nom de la spoliation par le Maroc des ressources halieutiques dans les provinces du Sud», remarque l’économiste Mohamed Jadri. Si le premier partenariat entre l’UE et le Royaume date de 1988, et qu’il a été renouvelé et approfondi au fil des années, ce n’est qu’en 2015 que la dimension politique s’est invitée dans les processus de renégociation.
««L’aide» de l’UE sur 4 ans est de 208 millions d’euros. Or, les exportations marocaines de produits maritimes atteignent 2,5 milliards $»
Dans sa forme actuelle, l’accord permet à 128 navires de 11 pays membres de l’UE de pêcher dans les eaux marocaines. L’Espagne est le plus grand bénéficiaire avec 93 navires. En échange, le Maroc perçoit une aide financière de la part de l’UE qui comprend une «compensation pour l’accès à la zone de pêche, un appui au secteur marocain de la pêche et le paiement de redevances par les armateurs». Le montant total de «l’aide» pour les quatre années est de 208 millions d’euros. Une broutille! Une somme pour le moins epsilon. En 2021, les exportations marocaines de produits maritimes ont atteint 778 mille tonnes, évaluées à 24,2 milliards de dirhams (2,5 milliards de dollars), selon le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime. C’est dire!
Précisant qu’il s’exprime en son nom propre, Hassan Sentissi El Idrissi, opérateur du secteur et président de la Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la pêche au Maroc, est catégorique: «Je n’ai jamais été favorable à l’idée d’un accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne, mais il aura fallu tenir compte des intérêts suprêmes du pays et du fait qu’il penchait progressivement en faveur du Maroc, que ce soit en matière de hausse des redevances, de réduction de la flotte ou d’obligation de décharge au Maroc. Mais une chose est certaine: cet accord n’est valable que dans le cadre d’un package global.»
Un diplomate au fait du dossier ne dit pas autre chose quand il affirme que ce pacte entrait dans le cadre d’un partenariat global. «Mais dans le fond, cet accord, qu’on peut résumer à une cession de matière première moyennant une compensation financière, n’est plus conforme à l’approche marocaine. Même avec l’obligation de débarquement dans les ports marocains, de transformation sur place et de présence d’experts nationaux pour contrôler les contenus des embarcations, cela reste un accord de première génération», note-t-il, soulignant que c’est à la demande de l’UE, et notamment d’un pays proche, que le Maroc a consenti à le renouveler. Non sans réticence.
«C’est une génération d’accords qui ne correspondent plus à l’approche marocaine du partenariat»
— Source diplomatique
Le Maroc n’a été intéressé par cet accord, à un moment précis, qu’en raison de la territorialité des zones qu’il couvrait, nous confie notre source. L’accord de pêche couvrait en effet 80% des eaux du Sahara. L’unique bénéfice pour le Royaume était donc diplomatique. Mais la marocanité des eaux du Sahara s’imposant d’elle-même, même ce gain s’est étiolé au fil des années. «C’est une génération d’accords qui ne correspondent plus à l’approche marocaine du partenariat», martèle notre interlocuteur. En somme, prendre de la ressource naturelle moyennant une redevance financière ne participe plus de l’approche actuelle du Royaume et de l’idée qu’il se fait d’un partenariat. «Ce n’est pas un accord cohérent avec la nouvelle pratique contractuelle du Maroc», insiste notre source. Et de préciser que «cet accord est contraire à l’état d’esprit du Maroc d’aujourd’hui. Le Royaume se positionne comme partenaire et non pas comme un pays qui vend de la ressource contre de l’argent.»
Même son de cloche auprès de Mohammed Jadri. «Nous avons largement critiqué cet accord, qui est considéré comme une exploitation des ressources naturelles marocaines à bas prix. Cet accord a, qui plus est, été exploité politiquement et est devenu un moyen de pression sur le Maroc. Or, nous n’avons nullement à nous justifier d’exploiter des ressources qui profitent d’abord à la population locale, et ce, d’après l’Union européenne elle-même», souligne l’économiste.
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Pour lui, les enjeux liés à la sécurité alimentaire post-Covid imposent un meilleur usage des ressources dont dispose le Maroc. «Les produits de la pêche doivent être valorisés et trouveront facilement d’autres clients, marocains, européens et non européens. D’ailleurs, il y va de notre capacité à diversifier nos partenaires commerciaux et à sortir des schémas traditionnels. Le Maroc est déjà lié par des accords de pêche avec des pays comme la Russie ou le Japon. La Grande-Bretagne, l’Amérique du Nord, la Chine et l’Inde sont autant de clients potentiels pour nos produits de la pêche», détaille-t-il.
Sortir de l’accord de pêche est, somme toute, chose aisée pour le Maroc, vu qu’il s’agit d’un droit de pêche, à maintenir, suspendre ou supprimer. Ceci, contrairement à l’accord agricole, qui repose sur des transactions commerciales, obéissant à une logique de produit et de marché et non de territorialité, et sur lesquels des droits de douane s’appliquent. «Juridiquement, il existe des différences majeures entre l’accord agricole et l’accord de pêche», relève Hassan Sentissi El Idrissi.
Objet d’une même levée de boucliers de la part de la justice européenne, l’accord agricole suppose que les produits en provenance du Sahara soient traités avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et non pas l’accord préférentiel conclu avec le Maroc. Les Européens ne disent pas que ces produits seront interdits d’accès aux États membres. «Même si, au final, les mêmes motivations nourrissent les velléités de nuisance de certaines parties européennes qui, au nom du droit international, veulent uniquement porter atteinte aux intérêts du Maroc, en l’occurrence sur le marché agricole européen», explique pour sa part Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader).
Le verdict attendu de la Cour européenne exprime, au demeurant, une position politique sur la question du Sahara. Ce verdict est particulièrement mis à rude épreuve par la cour britannique, qui a rejeté, le 25 mai dernier, de façon irrévocable la requête d’un organisme qui voulait remettre en cause l’accord d’association liant le Maroc au Royaume-Uni. La justice britannique s’est basée sur le droit pour arriver à des conclusions diamétralement opposées à celles de la Cour européenne. Qui fait du droit? Qui fait de la politique? La réponse est claire comme l’eau de roche.