Le Maroc épinglé à nouveau dans le cadre d’un rapport sur les ingérences étrangères: À quoi joue le Parlement européen?

Lors d'une session de travail au Parlement européen, le 17 janvier 2023 à Strasbourg.

Lors d'une session de travail au Parlement européen, le 17 janvier 2023 à Strasbourg.. AFP or licensors

Mercredi 26 avril, s’est réunie la commission spéciale sur «l’ingérence et la désinformation et sur le renforcement de l’intégrité du Parlement européen», dite INGE 2. Au menu: l’adoption d’un rapport qui épingle de nouveau le Maroc. De quoi cet acharnement est-il le nom?

Le 29/04/2023 à 08h23

Mercredi 26 avril. Au menu du jour de la commission INGE2, l’adoption d’un rapport sur «l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation». Ce rapport en soi n’est pas nouveau, et circule dans les tuyaux du Parlement européen depuis quelques mois. Toutefois, entre le projet de rapport, présenté dans sa mouture initiale le 14 décembre 2022 par la rapporteure Sandra Kalniete, et cette nouvelle version enrichie d’une série d’amendements, il y a une différence de taille: les accusations portées contre le Maroc.

Le Maroc, le nouveau cheval de bataille du Parlement européen

Plusieurs groupes politiques sont à l’origine de l’introduction de nombreux amendements dans ce rapport citant le Maroc et révélant sans grande surprise les inimitiés à l’égard du Royaume. On citera ainsi pêle-mêle Les Verts, le Groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, Renew Europe, le Groupe des Démocrates-Chrétiens ou encore le groupe des Conservateurs et réformistes européens.

Divisé en trois, le projet de rapport attribue ainsi au Maroc, dans une première partie qui couvre les amendements 1 à 371, onze amendements. Dans un second temps, le Maroc écope d’un amendement supplémentaire et dans la troisième et dernière partie du rapport, portant sur les amendements 710 à 927, il y est cité à six reprises dans le cadre de cinq autres amendements qui préconisent des sanctions.

Ainsi, si le projet de rapport faisait état des ingérences étrangères de la Russie et de la Chine, ou s’inquiétait encore de la liberté de la presse dans le monde, de la pratique de leurs métiers par les journalistes, du respect des droits humains, de la désinformation, des fake news et des médias sociaux sans jamais citer le Maroc, le rapport adopté par la commission INGE 2, lui, se voit doté d’amendements où le Maroc est cette fois-ci cité à seize reprises!

Certes, toujours moins que la Russie citée quant à elle 278 fois, la Chine 109 fois et le Qatar 45 fois. Quant à l’Algérie, qui aurait pu décrocher une jolie médaille sur ce podium en termes de non-respect des droits humains, d’entorses à la liberté de la presse et des journalistes ou encore de violences à l’égard des migrants -qui sont pour rappel les sujets phares abordés par cette honorable commission, il n’y est fait mention à aucun moment. Tous ces sujets, pourtant d’une actualité brûlante en Algérie, n’ont donc pas été jugés dignes d’intérêt pour la commission INGE 2 qui a préféré se concentrer sur des rumeurs sans fondement.

Sortis du chapeau, des amendements basés sur des rumeurs et des accusations sans fondements

Nul besoin de chercher dans ce rapport des accusations fondées sur des faits avérés. L’histoire se résume à des accusations sans fondements. Mais cela, les eurodéputés de cette commission n’en ont cure et ont ainsi fait feu de tout bois avec, pour thématiques privilégiées, la liberté de la presse, la situation des migrants ou encore les accusations présumées de corruption et d’ingérence impliquant le Maroc, le Parlement européen et certains de ses députés.

La situation des journalistes

Surfant sur la vague du 19 janvier 2023, date à laquelle le Parlement européen avait adopté une résolution d’urgence sur la situation des journalistes au Maroc, l’INGE 2 fait du neuf avec du vieux en remettant au goût du jour l’affaire Omar Radi, journaliste accusé de viol par l’une de ses consoeurs, Hafsa Boutahar, et incarcéré pour ces faits.

Ainsi, l’amendement 14, qui porte sur «la résolution commune du Parlement européen du 18 janvier 2022 sur la situation des journalistes au Maroc, en particulier le cas d’Omar Radi», est le fait de quatre eurodéputés, respectivement autrichien, croate, tchèque et italien, du Groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen. Ce groupe de la commission INGE 2 est présidé par l’eurodéputé français Raphaël Glucksmann.

La question des journalistes surgit à nouveau dans l’amendement 88, proposé par Maite Pagazaurtundua, eurodéputée espagnole rattachée au groupe Renew Europe, présidé par le Français Stéphane Séjourné. On y dénonce ainsi «la stratégie de harcèlement judiciaire appliquée par le Royaume du Maroc à l’encontre du journaliste espagnol Ignacio Cembrero». Ainsi donc, recourir à la Justice de pays européens pour se prononcer sur des accusations fantaisistes et des articles diffamatoires devient du «harcèlement judiciaire». On aura tout vu!

L’ingérence étrangère

Le Maroc dont l’image est dans ce rapport intrinsèquement liée à la problématique de l’ingérence étrangère au Parlement européen écope de cinq amendements (719, 720, 725, 726 et 728) où sont dénoncées «avec la plus grande fermeté les tentatives présumées du Qatar et du Maroc d’influencer des députés (…)».

Les tentatives présumées «d’influencer le processus démocratique au sein du Parlement européen» ou encore «d’influencer des députés, d’anciens députés et des membres du personnel du Parlement européen par des actes de corruption» sont aussi dénoncées dans les amendements 269 et 331.

Mais le caractère «présumé» de ces accusations, bien que mentionné à plusieurs reprises, n’est pourtant pas une constante et n’empêche pas les eurodéputés de porter des accusations sans fondement, comme c’est le cas avec l’amendement 641 qui «redit son inquiétude devant les révélations régulières de financement, par des entités ou pays étrangers, notamment la Russie, la Libye, le Qatar, le Maroc, l’Azerbaïdjan et d’autres, de partis et de responsables politiques dans un certain nombre de pays démocratiques».

L’instrumentalisation des migrants

Autre accusation sans fondement portée contre le Maroc, celle de l’instrumentalisation de la question migratoire. Ainsi, l’amendement 208 considère «que l’instrumentalisation des migrants et des minorités est de plus en plus employée par des acteurs étrangers dans le cadre de leurs stratégies d’ingérence à l’étranger (…) comme le Maroc à de nombreuses reprises, qui en a fait un outil politique; que cette instrumentalisation se traduit par l’envoi de migrants aux frontières européennes, mais aussi par la diffusion de la désinformation, qui a des effets néfastes sur les démocraties européennes en polarisant ses sociétés».

Maite Pagazaurtundua, de Renew Europe revient à nouveau à la charge, en proposant également l’amendement 205, qui considère que «l’instrumentalisation des migrants et des minorités est de plus en plus employée par des acteurs étrangers dans le cadre de leurs stratégies d’ingérence à l’étranger, comme (…) par le Maroc en mai 2021 à Ceuta (Espagne), (…) qui a eu recours à la ruse et à la tromperie pour que des mineurs se retrouvent dans une telle situation; que cette instrumentalisation se traduit par l’envoi de migrants aux frontières européennes, mais aussi par la diffusion de la désinformation, qui a des effets néfastes sur les démocraties européennes en polarisant ses sociétés».

Le sujet des migrants, décidément très prisé au sein de cette commission, revient à une troisième reprise avec l’amendement 211, qui est du fait de l’eurodéputée allemande Viola Von Craon-Taubadel, du Groupe Les Verts, qui considère «qu’il est arrivé que des pays tiers, à l’image (…) du Maroc en juin 2021, conduisent des migrants et des demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’Union dans l’intention de déstabiliser l’Union ou certains de ses États membres; que ces tentatives d’instrumentalisation des migrants et des minorités se traduisent également par la diffusion de la désinformation, qui a des effets néfastes sur les démocraties européennes en polarisant ses sociétés».

Des sanctions dans le viseur

L’amendement 720 porté par Les Verts «dénonce avec la plus grande fermeté les tentatives de pays étrangers, notamment du Qatar et du Maroc, d’influencer des députés, d’anciens députés et des membres du personnel du Parlement européen par des actes de corruption (…)» et insiste «sur la nécessité d’intensifier les efforts visant à accroître la transparence et l’intégrité des institutions de l’Union». Entre autres mesures à appliquer impliquant le Maroc:

- «Le recours au registre de transparence» et la lutte «contre la corruption et les campagnes d’influence»;

- «La mise à jour des «règles de transparence et d’éthique ainsi que la cartographie des financements étrangers pour l’influençage de l’Union, en garantissant le financement des organisations à but non lucratif œuvrant à la promotion de la transparence et de l’intégrité, et en mettant en place une réglementation et un contrôle appropriés des groupes d’amitié»;

- «La nécessité, en attendant de disposer des informations et éclaircissements appropriés à l’issue de l’instruction judiciaire, de suspendre immédiatement tous les travaux sur les dossiers législatifs concernant le Qatar et le Maroc et de désactiver les badges d’accès des représentants d’intérêts de ces deux pays».

L’analyse de Thierry Mariani, eurodéputé français du groupe ID au Parlement européen

Contacté par Le360, Thierry Mariani livre une analyse sans concession d’un rapport qu’il qualifie de «flou et sans grande cohérence», lequel selon ses dires, «fait suite à celui de Raphaël Glucksmann, qui n’avait pas vu venir le Qatar Gate émanant de son propre groupe politique».

Sans compter que ce rapport, pour Thierry Mariani, «n’a évidemment aucune consistance puisqu’il est monomaniaque contre la Russie et la Chine, mais néglige complètement les ingérences des États-Unis, première puissance à influencer les décisions de l’Union européenne et du Parlement européen».

Que faut-il alors en penser et en déduire du point de vue marocain? Plusieurs constats s’imposent, et non des moindres, selon l’eurodéputé. Primo, «que le Parlement européen essaye de noyer le gros poisson de cette affaire: la mainmise du Qatar sur tous les sujets qui l’intéressaient en matière de droits de l’homme depuis 10 ans».

En deuxième lieu, Thierry Mariani y voit «la volonté de dissimuler le sens politique de cette influence en préférant des amendements partisans plutôt qu’une vraie commission d’enquête politique comme proposée par ID».

Revenant sur l’amendement 14 sur la situation des journalistes, Thierry Mariani rappelle «qu’ils (la commission INGE) sont souvent hors sujet», car en l’occurrence le cas Omar Radi «n’a rien à voir avec le dossier évoqué» et globalement, «ces amendements ressemblent d’ailleurs fort à ceux qui avaient été votés en février dernier en session plénière et qui visaient déjà cavalièrement le Maroc».

À quoi s’attendre désormais?

Pour l’eurodéputé français, «il s’agit de procédures d’affichage politique, d’ailleurs sans autres fondements que des bruits et des rumeurs, qui pourraient eux-mêmes être issus de puissances étrangères, et qui sont sans valeur réglementaire». En effet, s’agissant de l’interdiction des diplomates marocains à accéder au Parlement européen, Thierry Mariani rappelle que ces mesures d’accès doivent être votées par le bureau du parlement. Sans ce vote, ces résolutions resteront sans effet.

Désamorçant l’impact de ce rapport, celui-ci rappelle qu’il a été adopté en commission et non en séance plénière. «Nous sommes uniquement à la moitié de la procédure», explique-t-il, préconisant d’attendre la plénière à Strasbourg.

Toutefois, de l’avis de Thierry Mariani, il convient de s’attendre à un troisième rapport émanant de la commission INGE qui portera cette fois-ci uniquement sur les affaires dites Qatar Gate et Maroc Gate, et qui sera présenté dans quelques mois. En effet, s’agissant des accusations portées contre le Maroc et qui se résument en une série d’amendements, Thierry Mariani annonce d’ores et déjà qu’il a été décidé qu’en «réponse aux tentatives présumées de pays étrangers, dont le Qatar et le Maroc, d’influencer les députés européens, la commission spéciale préparera un rapport distinct identifiant les lacunes dans les règles du Parlement européen en matière de transparence, d’éthique, d’intégrité et de corruption, et présentera des propositions de réformes pour lutter efficacement contre la corruption» et que «le vote en commission aura lieu le 1er juin».

Quant à la question algérienne, grande absente de ce dernier rapport de la commission INGE 2, elle ne devrait toutefois pas rester lettre morte, car il se murmurerait qu’elle fera l’objet d’un rapport présenté en session plénière dans la semaine du 6 au 12 mai à Strasbourg.

Deux questions se posent de l’avis de Thierry Mariani: «Pourquoi le Parlement insiste-t-il autant contre le Maroc? Pourquoi les proches conseillers du président de la République, dont Stéphane Séjourné, participent-ils à cette opération anti-marocaine?»

Par Zineb Ibnouzahir
Le 29/04/2023 à 08h23