Voici une semaine, SM le Roi a prononcé un discours à la Nation à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche verte. Il a rappelé cette épopée, et a mis l’accent sur la position de plus en plus avantageuse et consolidée de la cause nationale, tant au Conseil de sécurité, avec la résolution 2703 du 30 octobre dernier, qu’auprès de puissances influentes, dont la France. Il a enfin mis en relief le développement des provinces méridionales du Royaume depuis près d’un demi-siècle, et en particulier depuis son annonce du programme quinquennal de quelque 80 milliards de dirhams à Laâyoune, le 6 avril 2015.
Mais il y a plus. Ainsi, le Souverain a réaffirmé précisément la vocation atlantique du Sahara. Ce littoral-là est bien placé désormais pour s’insérer dans la mise à niveau de cette façade, qui compte pas moins de 23 pays. Que faire? Réunir les conditions d’une économie maritime adossée à des infrastructures, à des programmes et à des chantiers logistiques et de transport, ainsi qu’à une flotte maritime conséquente. Le Maroc dispose par ailleurs d’acquis et d’une expérience qui peuvent être d’une grande utilité, notamment dans les secteurs suivants: les ressources naturelles offshore, la pêche, le dessalement de l’eau de mer, l’économie bleue, les énergies renouvelables et le tourisme atlantique.
Une mise en exergue d’une priorisation de la vocation maritime du Royaume, après avoir réalisé le grand projet du port Tanger Med. Le Maroc a un littoral atlantique de 3.000 km, dont 1.000 km sur sa côte saharienne; sa zone économique est de l’ordre d’un million de km2, soit plus que sa superficie territoriale de 750.000 km2. Il est aussi gardien du Détroit de Gibraltar, avec deux autres pays, l’Espagne et le Royaume-Uni: il enregistre annuellement le passage de plus de 100.000 navires. Il a quatre frontières maritimes atlantiques avec la Mauritanie, l’Espagne, le Portugal et Cabo Verde. Une conscience géo-maritime est à l’ordre du jour, et elle ne peut qu’aider à faire des avancées dans cet espace maritime de l’Atlantique Sud.
Pionnier, le Maroc l’a été dans cette vision de redéploiement vers l’Atlantique Sud. L’on doit rappeler que dès les premières années de son règne, SM Mohammed VI a mis en œuvre une diplomatie ouverte, allant au-delà des partenaires traditionnels (Europe, États-Unis) et des solidarités culturelles (Maghreb, monde arabe). Il faut rappeler à cet égard sa tournée en Amérique latine, en décembre 2004, dans cinq pays (Mexique, Pérou, Brésil, Argentine et Chili). Elle s’est traduite par l’établissement de nouvelles relations diplomatiques et d’ouverture d’ambassades. Elle s’est prolongée avec le statut de membre observateur accordé au Maroc dans des instances régionales de cet espace (Parlement d’Amérique centrale, Parlement d’Amérique latine et des Caraïbes, Parlement andin et Système d’intégration d’Amérique centrale).
En 2009, Rabat prend l’initiative d’une rencontre des États riverains de l’Atlantique. Celle-ci adopte la Déclaration de Rabat, un document fondateur du Processus africain atlantique. Ce cadre prend une forme ministérielle ensuite avec la 1ère Réunion institutionnelle des États africains atlantiques, tenue dans cette capitale le 8 juin 2022. La deuxième réunion se tient à New York, en septembre 2022, en marge des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies. Et la troisième, elle, a lieu de nouveau à Rabat en juillet dernier, avec la participation de 21 pays. La vision royale développée depuis près d’une quinzaine d’années est ainsi consacrée autour de ce triptyque: paix, stabilité et prospérité partagée. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, souligne à cette occasion les atouts de cet espace maritime, ainsi que les défis et les menaces auxquels il est confronté. Les potentialités sont importantes: 46% de la population du continent, 55% de son PIB, 57% de son commerce et ses énormes ressources maritimes. Mais en creux, il faut évoquer de fortes contraintes: vulnérabilité climatique et menaces sécuritaires multiples (criminalité, piraterie maritime, terrorisme, trafics…).
Le Maroc met en avant depuis des années un référentiel d’action articulé autour de ces priorités: valorisation du potentiel de l’espace maritime, mobilisation des champs de coopération, partage d’une vision et d’actions communes, action collective, réponse aux impératifs de développement durable et de sécurité… Dans son discours du 6 novembre, SM le Roi a appelé aussi à la structuration de l’espace africain atlantique. Un cadre institutionnel est à mettre en place, sur la base d’une nécessaire coordination autour de thèmes stratégiques et de secteurs structurants. Il permettra des positions unitaires sans pour autant faire concurrence à des organisations régionales ou à des configurations africaines. S’approprier finalement l’Atlantique en ne lui tournant pas le dos: voilà l’axe et l’enjeu de l’approche marocaine.
L’espace atlantique global dispose en effet de grandes potentialités, mais il se distingue aussi par de fortes disparités entre les trois aires qui le composent. L’aire euro-atlantique nord est développée (Europe et États-Unis), l’aire latino-américaine est en émergence, sous l’égide surtout du Brésil, et, enfin, l’aire afro-atlantique est confrontée, elle, à des contraintes structurelles, économiques et sécuritaires. Quelles pistes de mobilisation et de valorisation du potentiel de coopération au sein de l’Atlantique Sud? Une vision stratégique s’impose à l’évidence. Elle pourrait aider et même conforter la centralité stratégique de cet espace. Elle devrait également avoir un caractère multidimensionnel, sur la base d’un partenariat économique rénové et d’une coopération sécuritaire renforcée. À ce titre, le Maroc propose des institutions appropriées autour de la Conférence des États africains riverains de l’Atlantique.
À un autre niveau, la coopération économique devrait englober les secteurs structurants en mesure de répondre aux priorités de développement de la vingtaine de pays riverains. Lesquelles? L’agriculture et l’exploitation des complémentarités pour mieux appréhender la problématique de la sécurité alimentaire; l’industrie, avec des mégaprojets et un partenariat gagnant-gagnant; les énergies renouvelables; et enfin les infrastructures portuaires (connectivité, flotte marchande…). Dans une telle perspective, le Maroc peut être un aiguillon dans tous ces domaines, dans la mesure où il dispose d’atouts et d’une capitalisation d’expérience dont l’expression la plus notable est le modèle de développement des provinces sahariennes récupérées. Les lignes de force de cette démarche de coopération sont nombreuses: partenariat avec des pays de l’Atlantique Nord (États-Unis, France…); relations prometteuses avec des pays de l’aire atlantique latino-américaine, notamment le Brésil; coopération économique triangulaire avec certains des pays européens positionnés en Afrique (France, Portugal) pour des communautés d’intérêts croisés; mobilisation de l’accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis dans un double sens, celui de l’élargissement de l’offre exportable marocaine et celui de l’attrait des investissements directs américains destinés à l’Afrique et aux pays de la façade atlantique.
Le Maroc opère une réappropriation de l’Atlantique, une sorte de «reconquête» historique, culturelle et économique, à laquelle il entend associer les pays riverains de la façade sud: une vision mobilisatrice ouvrant de nouveaux horizons de coopération et de développement. L’appel du grand large!