Depuis quelques années déjà, religion a été faite sur la qualité de la production idéelle de nos formations politiques. La décision de constituer la Commission pour un nouveau modèle de développement (CNMD) a été en soi une sorte de désaveu infligé aux partis politiques quant à la qualité de leur production programmatique et une manière de leur signifier que l’exercice de la politique n’était pas réductible aux bricolages électoraux. Placés dans l’urgence de produire des «documents recevables» à remettre au CNMD, certains partis politiques ont cru se tirer d’affaire en ayant recours à des cabinets de conseil pour faire «le boulot à leur place» et élaborer des programmes. Le résultat des travaux des cabinets-conseils avait suscité de l’intérêt, avec toutefois une réserve de fond, à savoir que les meilleurs des cabinets agissent en laboratoire et ne peuvent produire que des formules «prêtes à l’emploi» de stratégies nécessairement perfectibles pour pouvoir trouver une application harmonieuse dans une réalité complexe.
La solution ayant rencontré un certain succès, d’autres partis politiques se sont empressés de l’adopter, convaincus qu’ils allaient en tirer avantage à plus d’un titre: se «recentrer» sur ce qu’ils considèrent, bizarrement, leur «unique» métier de base, à savoir la construction d’une machine électorale dotée de moyens financiers et humains et capable de remporter les élections, la production programmatique passant à la trappe, obtenir d’un État de plus en plus «généreux» des subsides supplémentaires pour réaliser les «études», et se débarrasser de leurs «cadres intellectuels», ces coupeurs de cheveux en quatre inaptes de remporter des élections, à qui la fonction d’élaboration de soi-disant programmes était dévolue.
À travers cette générosité, l’État a certainement contribué, sans le vouloir probablement, à réduire notablement l’influence des intellectuels et de la classe moyenne dont ils sont issus dans les partis politiques, contribuant à les affaiblir davantage. Confirmant ainsi, encore une fois, la pertinence de la notion des effets pervers chère au sociologue français Raymond Boudon. Autre effet pervers, la disponibilité de moyens financiers conséquents a créé chez les partis la tentation d’en faire une autre utilisation, en se limitant soit à bricoler en interne des études à la qualité médiocre, soit en les confiant à des cabinets amis ou familiaux pour profiter d’éventuelles ristournes. Dans les deux cas, la production était loin des standards de qualité requis et l’utilisation des deniers publics irrespectueuse des règles établies.
L’exercice ordinaire par la Cour des comptes de ses missions de vérification de la régularité et de l’efficience de l’utilisation des deniers publics par les partis politiques a fait découvrir le pot aux roses. Confrontés aux faits, les partis ont eu diverses réactions. Quelques-uns ont préféré rembourser à l’État le montant indûment perçu en contrepartie d’études élaborées en interne jugées médiocres, alors que d’autres, notamment l’Union socialiste des forces populaires (USFP), ont préféré s’engager dans une cabale contre la Cour des comptes, en alliance avec d’anciens cadres d’entreprises publiques «revanchards» qui ont eu maille à partir avec cette Cour au cours de leur carrière. Les arguments présentés reprochent à cette Cour une sélectivité orientée dans le choix des organismes à contrôler et le dépassement de ses attributions en se prononçant sur la qualité des études produites. Sa seule mission serait, d’après ses détracteurs, réductible à se prononcer sur la régularité de la dépense et non sur la qualité du travail fourni en contrepartie. Les deux arguments sont contestables. D’abord, les vérifications sont sélectives par la force des choses, cette Cour ne disposant pas d’un effectif pléthorique; ensuite, c’est une interprétation courte, voire erronée, des attributions de la Cour des comptes qui est en droit d’émettre un jugement d’efficience donc de qualité d’un travail financé par le contribuable.
Ce qui est surprenant, pour ne pas dire choquant, et il faut s’arrêter pour le dire, c’est l’attitude de l’USFP. Voilà un parti politique historique, déclarant publiquement qu’il a été placé contre son gré dans l’opposition, qui se permet quand même de vouloir limiter la mission d’un organisme constitutionnel dont l’objectif est d’améliorer la transparence des dépenses publiques, alors qu’il n’a eu de cesse de dénoncer la dépravation (al fasad) et l’incursion (at-tawaghoul). C’est une réaction maladroite de la direction d’un parti pris la main dans le sac et qui est en train de sombrer dans un marécage indigne de son passé.
Les partis politiques vont-ils retenir la leçon de cet avis de la Cour des comptes pour s’engager fermement dans une entreprise de production programmatique et veiller à plus de transparence dans leur gestion? Vont-ils se décider à donner l’exemple?
L’enjeu est de taille pour le pays. La dépravation coûte cher, très cher à la communauté. Plusieurs observateurs sont convaincus plus qu’auparavant que c’est «le fléau» qui coûte des points de croissance. Car comment expliquer qu’autant de chantiers d’équipement en infrastructures, d’effort d’industrialisation, de dynamisme de plusieurs secteurs, de confiance des Marocains du monde… puissent ne pas entrainer une croissance soutenue? Il y a de quoi se poser des questions.