Le Maroc s’est engagé ces dernières années sur plusieurs réformes de grande ampleur: mise en place de la protection sociale généralisée, nouvelles relations sociales entre monde du travail et entreprise, encouragement de l’acte d’entreprendre en vue d’initier le décollage de l’investissement privé plus que jamais principal moteur de la croissance, transition énergétique, mise à niveau du système éducatif, Code de la famille… Ces réformes qui demandent à être portées par l’ensemble de la société et non par une partie de celle-ci, au vu de leur intérêt, leur multiplicité et leur variété, requièrent pour leur réussite, la pleine mobilisation des élites politiques: gouvernement et opposition.
La manifestation de cette mobilisation ne peut se limiter à un appel à l’opposition pour donner au Parlement ses voix au gouvernement, il n’en a pas besoin, mais doit se traduire par une invitation à changer de culture et de méthodes dans les rapports gouvernement-opposition d’une part et la manière de pratiquer l’opposition dans le système politique marocain d’autre part. Un changement de paradigme pour mieux adhérer à la modernisation politique, économique et sociale en cours et conforter davantage nos avancées communes.
Mettre une nouvelle fois l’accent sur la nécessité d’établir des rapports empreints de respect et d’échanges fructueux entre gouvernement et opposition, quel que soit le nombre de députés de cette dernière au Parlement, n’est pas de trop. Le gouvernement gagnerait à être plus à l’écoute de l’opposition pour enrichir son offre politique. A travers une présence plus régulière de l’exécutif au sein du Parlement, un accueil plus ouvert aux propositions et amendements des lois, en facilitant le contrôle et l’évaluation du travail gouvernemental. Détenir la majorité ne peut s’apparenter à la détention de la vérité vraie. Rappelons que la Constitution de 2011, en valorisant le rôle de l’opposition au sein du Parlement sous forme d’octroi d’avantages, a eu pour souci de permettre l’écoute des voix minoritaires et dissonantes au sein de la société.
L’opposition actuelle rempli-t-elle justement ce rôle ? D’être le relais des voix dissonantes de la société. Mieux, se donne-t-elle les moyens de transformer ces dissonances en programmes politiques et se charge-t-elle de la mission de former les élites politiques pour les appliquer ? Car in fine c’est bien là son rôle.
Des cinq partis (USFP, MP, PPS, PJD, PSU) qui composent l’opposition parlementaire au Maroc, quatre ont déjà gouté «aux délices du pouvoir», l’exception c’est le PSU. D’où le sentiment présent chez eux que leur non-participation à l’actuel gouvernement est une exclusion. Car nos partis politiques aiment le pouvoir. Ils vivent l’éloignement de celui-ci comme une punition. Au-delà des privilèges qu’il inclut, il assure une visibilité incomparable. Ce penchant pour l’exercice du pouvoir place le souci programmatique au deuxième rang, privilégie les notables, pourvoyeurs de sièges, dans le choix des candidats aux élections aux dépens des militants politiques. La cruauté de l’arithmétique des sièges fait peu de cas des valeurs. Les partis d’opposition se sont placés en posture de conquête de pouvoir, plutôt qu’en construction et relais d’aspirations sociétales. Cela a réduit leurs champs d’intervention à l’arène parlementaire, devenue principale lieu d’exercice de la politique.
L’éloignement des partis politiques de manière générale, et surtout certains parmi eux en particulier, qui étaient très présents dans la société civile (les organisations syndicales et patronales, les organisations non-gouvernementales, les organisations professionnelles…) avant de restreindre leurs activités au travail parlementaire, a contribué à affaiblir les organisations intermédiaires qui participaient à encadrer la société. L’affaiblissement des corps intermédiaires a eu pour conséquence une réduction de leurs capacités de proposition, de canaliser les contestations sociales et à négocier avec les autorités publiques. Réduisant ainsi leurs aptitudes à encadrer et à convaincre les corps sociaux pour amortir les tensions qui peuvent apparaitre au sein de ces derniers. La faiblesse de ces interfaces protectrices entre pouvoir et citoyens, que certains politologues appellent des «garde-fous modérateurs», oblige l’Etat à déployer un surcroit de contrôle direct.
Plus qu’avant, alors que le Maroc s’est engagé dans une grande dynamique de réforme touchant l’économie et la société qui demande une large adhésion citoyenne, un retour des partis politiques dans la société et une revivification des corps intermédiaires constituant la société civile est d’actualité. Au Maroc l’un va avec l’autre.
Seule cette stratégie donnera le maximum de chances de réussite aux réformes, contribuant à mieux les expliquer, à accroître la confiance, dont beaucoup d’analyses minorent l’importance, et à couper la route aux marchands de sentiments religieux et aux «loups solitaires» des principes.
Seul ce retour à la société des partis politiques permettra un enrichissement de leurs programmes, la pertinence de leurs propositions et l’ouverture de la voie à une alternance par les urnes. Au grand bénéfice du pays et de la construction démocratique.