L'éclairage de Adnan Debbarh. Projet de charte de l’investissement: un bon début

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

Une lecture parallèle de la loi-cadre 18-95 formant charte de l’investissement, promulguée le 8 novembre 1995 et le projet actuel 03-22, traitant du même thème, fait ressortir une amélioration de notre aptitude à capitaliser sur les expériences passées. Reste à réaliser l’autre volet d’une bonne politique économique: créer la demande.

Le 20/08/2022 à 09h39

Il semble que nous avons retenu la leçon. La décision d’investir requiert une visibilité et nombre de conditions préalables, elle n’est pas uniquement tributaire de l’octroi d’abattements fiscaux ou douaniers. Cela serait trop facile et à la portée de tous les gouvernements tant soit peu motivés. Ce sont les deux qualités précitées qui ont fait défaut au texte précédent, la loi 18-95, qui, sans caricaturer, se limitait à énoncer une série de mesures incitatives, ignorant pratiquement les conditions transverses de tout investissement, la dimension territoriale, les particularités sectorielles, la taille de l’entreprise. Eléments qui impactent toute décision d’investir.

Les rédacteurs du projet 03-22 formant charte d’investissement, conscients des changements de l’environnement économique national et international intervenus depuis 1995 et des contraintes ayant freiné l’investissement, surtout privé, dans notre pays, se sont attachés à mettre en évidence les améliorations qualitatives que le gouvernement entend apporter à l’environnement de l’investissement.

A titre de rappel, un effort conséquent sera fourni pour améliorer la logistique, le recours aux énergies renouvelables, la formation, l’accès aux Technologies de l’Information et de la Communication, les sources de financement, les procédures administratives, accroître la déconcentration et enfin assurer la sécurité juridique et la libre concurrence.

L’amélioration de l’environnement de l’investissement permettra de faciliter, en modulant notamment les incitations, la déclinaison des priorités gouvernementales: une meilleure maîtrise des politiques sectorielles, une valorisation plus équilibrée des territoires et une politique de soutien aux TPE/PME. Ajoutons à cela l’appui proposé aux grandes entreprises, locales ou étrangères, désireuses de jouer le rôle de locomotives au sein d’écosystèmes futurs, d’une part, et l’aide aux entreprises marocaines souhaitant investir à l’étranger, d’autre part.

Le nouveau texte, d’une meilleure facture que le précédent, au risque de nous répéter, comporte certaines lacunes sur lesquelles nous allons revenir ultérieurement, notamment son inadaptation à l’environnement juridique international et plus précisément européen sur les subventions. Va-t-il permettre de réaliser l’objectif assigné au gouvernement: accroître la part de l’investissement privé dans l’investissement global du pays, inversement des proportions investissement public/investissement privé de 67/33 à 33/67 à l’horizon 2035, et accroître de manière générale la rentabilité des investissements et leur capacité à créer des emplois?

Il y a quelques mois, Abdellatif Jouahri, Wali de BAM, avait rappelé au sein du Parlement quelques faiblesses de notre économie. Parmi celles-ci, un investissement national, bien qu’élevé (30% du PIB), incapable de générer une croissance économique et des emplois conformes aux normes connues dans les pays à un niveau de développement similaire. L’explication avancée est la nature des investissements publics: haute intensité capitalistique (trop de capitaux pour créer un emploi) et à faible rendement; et la faiblesse de la quotepart de l’investissement privé, qui, de par sa nature, devrait être pourvoyeur de plus d’emplois et de croissance.

La faiblesse de l’investissement privé n’a pas donné lieu à une explication exhaustive de la part du Wali, pourtant fin connaisseur de l’économie nationale et connu pour son franc-parler. Bien sûr il a rappelé que les entreprises souhaitant investir avaient à disposition un solide secteur financier.

Essayons d’avancer sur cette question de faiblesse de l’investissement privé qui va probablement revenir souvent dans les prochains mois. Rappelons une évidence économique: l’investissement vient pour répondre à une demande. Faute d’une demande, existante ou potentielle, l’investissement n’a pas lieu d’exister. L’arsenal juridique, incitatif, facilitateur qu’offre une charte d’investissement ne vient nécessairement qu’en deuxième lieu dans la prise de décision après l’identification du marché. C’est un facteur encourageant qui augmente la rentabilité, le délai de retour sur investissement. Ce n’est pas le facteur déterminant.

Aussi, les déclarations de certains responsables gouvernementaux présentant la charte comme la panacée à la problématique de l’investissement privé ne manqueront pas de soulever des questionnements.

Est-il possible de créer une demande dans une économie pour favoriser l’investissement privé? Tout à fait. Les travaux de l’école keynésienne offre toute une panoplie de mesures allant dans ce sens. Cela va de la création du pouvoir d’achat à travers des travaux d’intérêt général (ex: Forsa) aux travaux d’infrastructures, à un protectionnisme de certains produits, voire à la préférence pour les entreprises locales.

Plusieurs pays ont développé des politiques d’une grande efficacité visant à orienter la demande vers les produits locaux et favoriser une production locale.

Le Maroc, grâce aux Hautes orientations du Roi Mohammed VI, est en train de se doter d’une bonne charte de l’investissement. Son exploitation optimale exige son inclusion dans une politique économique d’ensemble visant à favoriser l’investissement privé marocain. 

Par Adnan Debbarh
Le 20/08/2022 à 09h39