La crise régionale qui ravage actuellement le Sahel a plusieurs origines. À la base de tout se trouve le fait que l’espace sahélo-saharien, monde de contacts ouvert, a été cloisonné par des frontières coloniales artificielles qui forcent à vivre ensemble, et dans les mêmes États, des pasteurs minoritaires vivant au Nord et des agriculteurs sédentaires majoritaires vivant au sud. Or, l’ethno-mathématique électorale donne automatiquement le pouvoir aux plus nombreux, c’est-à-dire aux sudistes, excluant de fait les nordistes de la vie politique.
À cette cause de longue durée est venu s’ajouter le fait que depuis une décennie environ, la région est devenue un relais pour les organisations mafieuses, 15% de la production mondiale de cocaïne transitant ainsi par le Sahara. Parallèlement, des organisations terroristes islamistes s’y sont installées, profitant de la porosité des frontières. Trafiquants et terroristes transnationaux utilisent les anciennes structures précoloniales de circulation Nord-Sud. Enfin, la région est devenue une terre à prendre, ses matières premières (uranium, fer, pétrole, etc.) y attirant de nouveaux acteurs comme la Chine ou l’Inde.
Tout ceci fait que la région est hautement crisogène, phénomène aggravé en raison de la proximité de trois autres foyers de déstabilisation, respectivement situés dans le nord du Nigeria, avec Boko Haram, dans la région du Sahara nord occidental, avec Aqmi et l’EIS, et dans la zone des confins algéro-maroco-mauritaniens avec le Polisario.
Dans ce contexte, la disparition de l’État libyen a offert aux mouvements irrédentistes, aux trafiquants et aux terroristes, des opportunités exceptionnelles. La nouvelle géopolitique sahélienne post-Kadhafi est ainsi en large partie la clé d’explication des problèmes actuels. Le colonel Kadhafi avait en effet réussi à imposer la stabilité intérieure dans un pays mosaïque aujourd’hui menacé de fragmentation. La Libye unitaire n’existant plus, est apparue une situation de guerres tribales et claniques avec toutes les conséquences régionales actuellement observables.
Les observateurs n’ont pas compris que le sens profond de la politique saharo-sahélienne conduite par le colonel Kadhafi s’expliquait par ses origines. Sa tribu, les Khadafa ou Gueddafa, dont le cœur est la ville de Sabha, est certes numériquement peu importante avec ses 150.000 membres. Cependant, elle occupe un espace stratégique à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, mais d’abord à la verticale reliant la méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte à Mourzouk. Cette tribu chamelière engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement en relation avec les Toubou et les Touareg, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le Sud saharien et sahélien.
Comme le colonel Kadhafi déstabilisait et contrôlait tout à la fois une vaste partie de la sous-région, le bouleversement politique libyen a créé une nouvelle définition géopolitique régionale. D’autant plus que les armes dérobées dans les arsenaux libyens ont irrigué de vieux conflits régionaux le long de milliers de kilomètres de frontières artificielles qui ne sont plus contrôlées.