Napoléon Bonaparte aimait répéter que «si vous connaissez la géographie d’un pays, vous pouvez comprendre et prédire sa politique étrangère». Cette citation s’applique parfaitement au régime algérien qui a hérité, en 1962, d’une géographie généreusement façonnée par la France coloniale. À regarder la carte de l’Algérie, on distingue une pyramide inclinée vers l’ouest –qui constitue une excroissance qui semble s’étendre au-delà du reste du pays.
Cette configuration géographique projette presque un bras tendu, s’étirant vers l’ouest avec la volonté acharnée d’atteindre les eaux de l’Atlantique. Ce tracé, imposé par les autorités coloniales, laisse entrevoir un projet inachevé, un désir non assouvi d’accès à l’océan, que l’Algérie post-indépendance s’efforcera de concrétiser par tous les moyens. Ainsi, la géographie révèle les ambitions de l’Algérie dont les frontières portent l’empreinte d’un projet politique resté inachevé.
Le projet a commencé en 1879 avec le tracé de la frontière fluviale de l’Oued Drâa, dont l’embouchure se situe à quelques encablures au sud de Tan-Tan, sur l’Atlantique. Les débats sur la nécessité de garantir à la colonie algérienne une façade atlantique ont été rejetés par des sages tels qu’André Bonamy, dans son rapport de 1924, et surtout par Jean Célérier, qui s’exprimait ainsi sur les liens profonds entre le Maroc, son Sahara et ses relations avec l’Afrique subsaharienne : «La fonction propre, l’originalité du Maroc, c’est d’être à tous égards le lien, le lieu de passage entre l’Europe méditerranéenne et l’Afrique tropicale. Ignorer soit ce qui lui est venu par le Sahara, soit le rayonnement de son action à travers le Désert, c’est le mutiler et se condamner à ne pas le comprendre.»
Ce point de vue n’a pas empêché la France de se lancer dans des projets des plus audacieux, comme en témoigne la ligne de chemin de fer de 1957. Cette ligne, qui a entraîné l’annexion de vastes territoires, avait pour but de freiner le soutien marocain à la révolution algérienne déclenchée en 1954. La carte ci-jointe illustre cette obsession territoriale, focalisée sur l’accès à l’Atlantique, dont les premières études furent entamées entre 1952 et 1954. La question de l’Atlantique fut perçue comme une lourde hypothèque pesant sur la présence française en Afrique, en raison de l’absence de fondement juridique international pour la frontière de l’Oued Drâa. Cette frontière, conduisant vers l’Atlantique, repose essentiellement sur des critères géographiques, ethniques et économiques.
C’est donc en juin 1953, quelques mois avant l’exil du sultan Mohammed V le 20 août 1953, que la France lance le projet intitulé «Étude de la grande Rocade Sud entre Colomb-Béchar et l’Atlantique». C’est ce projet d’accès à l’Atlantique qui poussera la France à annexer le plateau de Kem-Kem et de vastes territoires marocains vers Taouz et Merzouga. Cette grande rocade fut conçue par l’inspecteur général des Ponts et Chaussées, Maître-Devallon, dans le but d’«évacuer les minerais de fer dits de Tindouf», et, à cet égard, la construction de ce tronçon semblait s’imposer dans un avenir assez proche.
En 1954, le Résident général au Maroc tente de s’impliquer dans ce projet. Lacoste a déclaré que, «si les statuts du B.I.A. (Bureau industriel africain) ne s’y opposent pas, il serait heureux d’assister personnellement aux prochains conseils, étant donné l’importance capitale que représente pour le Maroc le développement futur de l’affaire de Tindouf et des autres activités du B.I.A. dans la zone Sud».
L’étude de projet a focalisé cette fois-ci sur le port d’Agadir au lieu de celui de l’embouchure du Drâa, en présence de Demnati qualifié par le rapport de «Conseiller du gouvernement, homme d’affaires et banquier très important du Maroc».
Le projet français de construire la ligne de fer Béchar-Océan Atlantique fut adopté suivant cet argumentaire économique: «Sa réalisation est peut-être lointaine, mais elle pourrait devenir urgente si les gisements de Tindouf, du versant sud du Grand Atlas et même du Djbel Bet Tadjine venaient à tenir leurs promesses». On est en 1955, mais le projet de la ligne ferroviaire vers l’Atlantique n’est pas pour demain. En effet, le projet de construction d’une voie ferrée vers le Cap Noun ou le port d’Agadir va être abandonné à la suite de la suppression du commandement des confins d’Agadir en 1955, pour empêcher le Maroc de récupérer ses régions sahariennes et permettre ainsi à l’Algérie un passage vers l’Atlantique.
En 1957-1958, la France finira par solliciter un partenariat avec le Maroc, exigeant surtout une garantie militaire et économique pour un accès à l’Atlantique. Feu Mohammed V refusera ce projet, contraignant le Maroc à affronter deux initiatives séparatistes fomentées depuis Tindouf (avec les Reguibat utilisés comme une «ligne Maginot» contre l’armée de libération entre 1958 et 1962) et depuis Béchar (avec la République sahraouie des Ouled Sidi Cheikh et des Chaânbas). Ce projet sera ultérieurement récupéré par l’Algérie, poursuivant les ambitions territoriales amorcées à l’époque coloniale.
Derrière la guerre des sables, la frontière de l’Oued Drâa menant vers l’Atlantique
La carte ci-dessous montre que la zone occupée est considérée comme l’une des plus riches au monde en ressources minières. Cette occupation permettait à la fois de maintenir l’objectif d’un accès à l’Atlantique et d’éviter que le Gouvernement général de l’Algérie ne soit contraint de solliciter des autorisations auprès du Service des mines au Maroc pour l’exploitation de ces ressources. Le message a été bien compris par les officiers de l’ALN, qui s’efforceront de prévenir toute récupération de ces territoires par le Maroc, malgré la signature du traité secret de 1961. Cette tension constituera la cause directe de la guerre des Sables en 1963.
Le ministre français du Sahara, Max Lejeune, écrit à propos de la frontière qui suit le cours de l’oued Drâa et mène donc à l’Atlantique: «Mon sentiment est qu’il convient, au contraire, d’y maintenir une ligne de police que les troupes françaises situées de part et d’autre « matérialiseront » par leurs déplacements et leurs contacts, et qui finira par être considérée, de fait, comme la frontière, après de nombreux mois qui se succéderont sans doute dans l’attente d’une décision.» (Lettre envoyée par Max Lejeune, ministre du Sahara, au secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé des affaires marocaines et tunisiennes, Paris, le 26 septembre 1957)
Le ministère de l’Intérieur était de même avis et réclame dans une note confidentielle datant du 12 juin 1957 l’adoption de «cette voie naturelle» pour justifier l’accès à l’Atlantique: «Le cours de l’Oued Drâa, ligne verte sur la carte, présenterait l’avantage de constituer une ligne naturelle. Cette limite qui serait une importante concession devrait permettre d’obtenir en contrepartie la création d’une zone franche s’étendant du parallèle 11° Ouest de Paris (Région de Tindouf) à la côte Atlantique au Sud d’Ifni».
Héritière du projet colonial, l’Algérie post-1962 nourrit l’ambition d’accéder à l’Atlantique par El Mahbès
Au lendemain de 1962, le régime algérien entreprend de se rapprocher des éléments militaires espagnols dans la Sâqiyya El Hamra et précisément à El Mahbès comme le montre le document ci-dessous.
Ces liens secrets avec les Espagnols remontent à 1958 et ont été orchestrés par Houari Boumediene, encore installé à Nador et surtout soutenu financièrement et militairement par le Maroc. Comme quoi, la traitrise coule dans le sang du fondateur du «Système» en Algérie.
L’Algérie encore colonisée n’a pas hésité à s’allier aux puissances coloniales pour concrétiser le projet français d’obtenir coûte que coûte une façade sur l’Atlantique.
Au lendemain du coup d’État de Boumediene, l’Algérie proclame son intention d’«ouvrir une voie vers l’Atlantique».
Les archives françaises du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) révèlent un document officiel explosif concernant la position de l’Algérie sur le Sahara dit occidental, lors de la Conférence d’Addis-Abeba de 1966, organisée par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’Union africaine.
Ce jour-là, après l’allocution du délégué marocain, l’Algérie prit la parole en formulant des déclarations surprenantes. Le document, reproduit ci-dessous, révèle les ambitions algériennes sur le Sahara dit occidental, notamment Oued-Ed-Dahab (Rio de Oro) et Sâqiyya El Hamra. Le représentant algérien fit deux déclarations fracassantes, dont la portée résonne encore aujourd’hui. Premièrement, l’Algérie revendiqua officiellement que Oued-Ed-Dahab (Rio de Oro) et Sâqiyya El Hamra demeurent sous souveraineté espagnole. Il déclara qu’il était «illusoire d’accorder l’indépendance à un territoire dont la population ne compte que 50 000 habitants» et ajouta que «l’Algérie ne pouvait se désintéresser du destin du Sahara espagnol». Autrement dit, la stratégie algérienne pour contrer la souveraineté du Maroc sur le Sahara atlantique consistait à soutenir la présence coloniale de l’Espagne dans la région.
Ensuite, l’Algérie revendiqua un accès à l’océan Atlantique. «L’Algérie a besoin d’une ouverture sur l’Atlantique», déclara le représentant d’Alger à l’OUA, exposant les nouvelles ambitions de Houari Boumediene dans la région. Cette ouverture sur l’Atlantique, s’inscrivant dans la continuité du projet de l’Algérie française, permettrait à Alger de développer des échanges maritimes commerciaux, non seulement avec l’Afrique subsaharienne, mais aussi avec l’Amérique latine, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives économiques.
L’Algérie de Boumediene et la question de l’Atlantique entre 1968 et 1972
À partir de 1968, et surtout après la rencontre d’Ifrane en 1969, la presse internationale affirmait que les relations algéro-marocaines semblaient s’orienter vers un apaisement et la signature d’un traité de bon voisinage. Cependant, en décembre, grâce à l’appui du représentant du Ghana selon la résolution onusienne du 16 décembre 1968, l’Algérie, initialement qualifiée de «toute autre partie intéressée», accéda au statut de «partie intéressée» entre 1969 et 1970. Le Maroc s’était toujours opposé à cette reconnaissance de l’Algérie comme partie intéressée. Il alla même jusqu’à accepter la signature du traité de 1972 sur les frontières et l’exploitation commune du gisement de fer de Gara Djebilet, espérant ainsi enterrer définitivement le projet colonial et miser sur un avenir de prospérité commune pour les peuples marocain et algérien. La suite des événements montre que notre voisin n’a pas été digne de cette confiance et que sa prétendue aide au Maroc pour parfaire son intégrité territoriale n’était qu’un mensonge.
Le dénominateur commun de la position algérienne, comme rapporté par les services secrets français, est celui d’une «partie intéressée» visant d’abord à obtenir un couloir vers l’Atlantique et, après la signature du traité de 1972, à s’emparer d’une partie du territoire. Marcel Barthélemy, chargé d’affaires de la France à Alger, envoya une lettre à son ministre des Affaires étrangères dans laquelle il s’interrogeait sur le soutien éventuel du président Boumediene au Maroc concernant le Rio de Oro lors de la conférence prévue du 6 au 13 septembre 1968. Résumant ou anticipant les accords algéro-marocains, le chargé d’affaires se demandait: «La concession (du Sahara oriental) qui serait ainsi faite à l’Algérie appellerait en bonne logique une compensation importante. Le colonel Boumediene aurait-il laissé entendre que son gouvernement serait disposé à faire un geste dans la question du Rio de Oro? Rabat attache en effet un grand prix à ce territoire et souhaite y conserver les mains libres. Or, jusqu’ici, l’Algérie n’a pas manqué une occasion de rappeler, aux Nations unies et à l’OUA, qu’elle se considérait comme « partie intéressée bien que non reconnue par l’ONU » dans la solution de ce problème. L’abandon éventuel de cette position, qui irrite considérablement le Maroc, pourrait-il constituer pour lui une contrepartie suffisante au « gel de ses revendications territoriales »?» À cette époque, l’Algérie ne parlait pas encore de «peuple du Sahara» ni d’autodétermination, mais exigeait à tout prix le statut de «partie intéressée» dans l’espoir de faire aboutir le projet colonial et d’arracher un débouché sur l’Atlantique.
Pour atteindre cet objectif, l’Algérie exerça des pressions sur l’Espagne, accueillant à Alger Antonio Cubillo, secrétaire général du M.P.A.I.A.C. (Mouvement populaire pour l’autodétermination et l’indépendance de l’archipel canarien).
Un document du SDECE, daté du 22 juin 1970, rapporte pour la première fois que «le gouvernement espagnol estime logique que l’Algérie, qui possède –si réduite soit-elle– une frontière commune avec le Sahara espagnol, dispose d’un couloir d’accès à l’Atlantique. Cette épineuse question pourrait trouver une solution pacifique lors d’un arrangement à l’amiable entre les nations intéressées». Cette déclaration n’est qu’un écho des demandes pressantes de l’Algérie pour obtenir ce «droit» en vertu de sa frontière commune avec le Sahara espagnol, via Tindouf, annexée par la France en 1955, comme le démontre également ladite note.
La suite est bien connue: la création d’un État fantoche, entièrement soumis à Alger, qui agirait comme son vassal et concéderait à l’Algérie l’accès au littoral atlantique du Sahara si elle le souhaitait. Ce projet, pour lequel le régime algérien a dépensé des centaines de milliards de dollars, s’est révélé aussi inefficace qu’un verre d’eau versé dans le sable du désert.