Alors que l’actualité en 2024 est dominée par les velléités d’affrontement armé avec le Maroc que le régime d’Alger recherche dans l’espoir de sauver un «Système» en fin de vie, il est important de revenir sur la guerre des Sables, en 1963, et de montrer, documents à l’appui, que c’est l’Algérie nouvellement indépendante qui a attaqué des positions marocaines et non pas l’inverse, comme s’évertue à le propager la propagande algérienne.
Lors de la déclaration commune du 2 mars 1956 proclamant l’indépendance du Maroc, le gouvernement français avait réaffirmé son engagement à respecter l’intégrité territoriale du Royaume, conformément aux traités internationaux, dont certains soutenaient les revendications marocaines sur les territoires sahariens (notamment le traité franco-allemand du 4 novembre 1911). Une commission mixte franco-marocaine avait été envisagée pour définir le tracé précis de la frontière méridionale.
Cependant, le refus du sultan Mohammed V de négocier avec la France poussa cette dernière à imposer unilatéralement la ligne de 1957. En conséquence, le Maroc fut sanctionné, d’abord pour son soutien à la cause algérienne en 1957, puis, de manière ironique, par l’Algérie elle-même après son indépendance.
La veille de son indépendance, la carte de l’Algérie correspondait à celle de l’Algérie ottomane, délimitée par les trois départements d’Oran, Alger et Constantine. La France, pour sa part, considérait les départements de la Saoura et des Oasis comme faisant partie intégrante du Sahara français. C’est le traité signé en 1961 entre feu Hassan II et le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) qui permit à l’Algérie de défendre son intégrité territoriale et d’aborder, par la suite, le contentieux frontalier avec le Maroc.
Une fois indépendante, l’Algérie a eu les mains libres pour contrer les revendications marocaines, allant jusqu’à renier ses engagements visant à résoudre le contentieux territorial. Les cartes et les archives inédites viennent aujourd’hui confirmer l’existence d’une ingratitude, doublée d’une trahison et d’un complot.
Le territoire marocain de 1951 a été réduit encore une fois entre 1957 et 1962
À la suite d’un accord entre le Résident général au Maroc et l’administration algérienne, la frontière fut déplacée de 20 à 100 kilomètres à l’ouest, englobant des qsars considérés jusqu’en 1951 comme marocains. Parmi eux, Oum El Achar, Hassi Mounir et Hassi Beida furent annexés en 1957. Cette annexion, désignée sous le nom de «ligne de fait», avait pour objectif d’empêcher tout soutien marocain à la révolution algérienne.
Ironiquement, après l’indépendance, l’armée algérienne s’installa le long de cette même ligne, empêchant cette fois le Maroc de récupérer ses localités et territoires. Pourtant, cette frontière était bien connue des éléments du FLN, qui avaient bénéficié du soutien marocain à travers cette même région, comme l’illustre la carte ci-dessous. Cela démontre que le FLN connaissait parfaitement le terrain ainsi que les lignes frontalières ayant conduit à l’annexion des territoires marocains.
Après son agression contre les localités marocaines, l’Algérie a conservé dans son héritage colonial les territoires situés entre la ligne de 1938 et celle dite «de fait» de 1957. Ainsi, l’Algérie a mené une opération militaire pour maintenir sous son contrôle un territoire marocain annexé après l’indépendance du Maroc.
Aux origines du conflit: l’affaire de l’accord secret de 1961 avec le GPRA
Peut-on considérer la signature du traité de 1961 avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et son président Ferhat Abbas comme un piège, à l’instar des accords de 1969 et de 1972? Les événements survenus après cette signature indiquent clairement que l’Algérie n’avait ni l’intention de négocier avec le Maroc après son indépendance, et encore moins de lui restituer les territoires pourtant marocains. S’agit-il d’une trahison? Les faits marquants entre 1958 et 1963 le suggèrent fortement, mais il a fallu attendre la déclassification des archives entre 2000 et 2023 pour en avoir la confirmation.
En soutenant le GPRA, fidèle à son idéal de fraternité arabe et d’unité maghrébine, et en appuyant l’indépendance de l’Algérie sans exiger de garanties, le Maroc a fait preuve d’une générosité remarquable, voire d’abnégation. Cette posture est d’autant plus notable qu’elle impliquait des risques considérables, notamment la fixation d’une frontière avec l’Algérie au sud du Drâa.
Cette frontière résultait de la pénétration coloniale française depuis des bases algériennes, motivée par la volonté des autorités françaises d’étendre au maximum la souveraineté française sur ces territoires. Les frontières, qu’elles soient naturelles ou administratives, avaient permis à l’Algérie coloniale de s’étirer vers l’océan Atlantique comme un pseudopode stratégique.
Le projet de développement de la région de Tindouf et de la Saoura était intrinsèquement lié à cet accès à l’Atlantique. Les officiers de l’ALN, souvent en contact, voire encadrés, par des officiers allemands et surtout français, étaient pleinement conscients des enjeux stratégiques et économiques hérités de ces politiques coloniales.
L’Algérie indépendante s’est rapidement positionnée sur les postes militaires de la ligne de fait, occupés auparavant par la France en 1957, et a commencé à recourir à la force contre des garnisons tenues par des mokhaznis marocains, en ignorant le traité de 1961. Elle semblait également oublier que ces territoires avaient été annexés après l’indépendance du Maroc.
Une intervention ou une médiation française aurait pu dissuader les éléments de l’ALN, prévenant ainsi une guerre entre les deux pays voisins. L’examen des cartes établies par la France met en évidence la réalité de cet expansionnisme algérien.
Le malaise et les intentions algériennes concernant la région de Tindouf furent analysés dans un article signé par l’Espagnol Salvador Lopez de La Torre, publié le 3 octobre 1961 dans le journal ABC. L’auteur y résumait la situation et la position algérienne en ces termes:
«Mais, en réalité, le Sahara et l’Algérie sont deux mondes radicalement hétérogènes. C’est pourquoi l’inexistence du FLN au sud de l’Atlas saharien ne constitue même pas un échec de l’organisation nationaliste; elle est simplement le reflet d’une réalité historique. Le pire, c’est que les choses sont encore plus compliquées. La quatrième complication réside dans le fait que la frontière entre l’Algérie, le Sahara français et le Maroc n’est pas tracée officiellement par le traité de Lalla-Marnia de 1845.»
Ce constat, lourd de conséquences, met en lumière la manière dont l’Algérie avait transféré ses problèmes frontaliers en redéfinissant le sud marocain comme étant limité à l’ex-Sahara espagnol. Cela est particulièrement significatif lorsque l’on examine d’autres télégrammes datant de septembre 1962, révélant des contacts entre des officiers de l’ALN algérienne et des officiers espagnols:
«Un lieutenant de l’Armée de libération nationale algérienne s’est présenté le 16 septembre 1962, à la tête d’une patrouille motorisée, au chef du poste espagnol de Mahbès, dans la Saguia El Hamra. Il a déclaré que son déplacement avait pour but d’établir des relations amicales avec les autorités espagnoles du secteur limitrophe de Tindouf. Il a proposé un échange régulier d’informations sur le Maroc, l’établissement de liaisons radio chiffrées communes entre militaires algériens et espagnols, ainsi que des contacts étroits entre les patrouilles des deux nationalités.»
Ces échanges, révélateurs d’une coopération officieuse entre l’Algérie et l’Espagne, ajoutent une complexité supplémentaire aux tensions frontalières et territoriales de l’époque.
Quelques jours plus tard, la situation se dégrada avec les violences perpétrées contre les Reguibat pro-marocains et le caïd de Tindouf, Senhouri. Interrogé par un journaliste à propos de ces événements, le colonel Houari Boumediene déclara simplement qu’il n’avait «rien à dire sur cette situation».
Le télégramme du 13 octobre 1962, qui rapportait cette réponse, fournissait également des informations sur la situation à Tindouf:
«De même, les incidents répétés provoqués aux mois d’août et septembre par les Rguibat favorables au Maroc, n’ont suscité, pas plus que ceux de ces derniers jours, aucune réaction officielle à Alger. La presse algérienne n’en a rendu compte que très succinctement et ce n’est que le 4 octobre que, pour la première fois, un journal algérien (l’organe officieux du parti communiste Alger républicain) a évoqué la question de Tindouf.»
Ces silences révèlent clairement comment le pouvoir algérien misait sur le temps pour rendre la situation à Tindouf favorable à ses objectifs politiques et territoriaux. Ils illustrent également l’écart frappant entre les déclarations officielles algériennes et les actions menées sur le terrain, notamment en ce qui concerne les stratégies anti-marocaines au Sahara.
Le lecteur pourra ainsi mesurer le hiatus entre le discours colonial français, souvent décrié, et celui de l’Algérie, soi-disant national, qui prétendait œuvrer pour la «décolonisation» du Sahara… tout en évitant soigneusement de parler de la décolonisation de «son» propre Sahara.
Les déclarations algériennes sur les engagements de 1961
L’origine du conflit de 1963 réside dans une revendication marocaine concernant le tracé des frontières entre le Maroc et l’Algérie, dont l’existence avait été officiellement reconnue et admise dans une convention signée à Rabat en juillet 1961 par feu le roi Hassan II et Ferhat Abbas, président du GPRA.
L’Algérie, par l’intermédiaire de son organe de presse officiel Al-Moujahid, reconnaissait le 19 juillet 1961 l’engagement pris par Ferhat Abbas et Mohammed Khider en ces termes:
«Le Sahara n’est pas une terra nullius comme veulent le faire croire les dirigeants français et les Africains ne sauraient en aucun cas leur emboîter le pas sur ce chemin. Le Sahara n’est pas un territoire vacant, un territoire dépourvu de caractère et identité. Il n’est pas une notion abstraite, mais une terre pétrie par la personnalité algérienne et marquée d’empreinte indélébile de la Révolution du peuple algérien. En ce qui concerne les rectifications de frontières réclamées par certains États, notre position est également connue: sans rejeter a priori ces revendications territoriales, nous estimons cependant qu’elles constituent un problème que nous ne pouvons étudier et trancher qu’après l’accession de l’Algérie à l’indépendance.»
Cet article démontre la bonne disposition algérienne initiale vis-à-vis de la marocanité des territoires revendiqués par le Maroc, tout en incluant les ingrédients de la volte-face algérienne qui allait suivre en 1963.
Les positions du président Ben Bella et ses contradictions
Les origines du conflit du Sahara demeurent difficiles à comprendre si l’on se limite aux déclarations contradictoires des hauts responsables algériens.
Dans une première déclaration, datant de 1962, peu après l’indépendance, Ben Bella, alors nouveau chef de l’État algérien, affirmait:
«Il ne saurait être question pour les Algériens d’être purement et simplement les héritiers de la France en ce qui concerne les frontières de l’Algérie.»
Cependant, en 1963, Ben Bella tenait un discours diamétralement opposé. Il déclarait que l’accord conclu entre le Maroc et le GPRA était caduc, rejetant ainsi tout droit historique du Maroc sur les territoires dont l’a amputé la France et hérités par l’Algérie.
Cette volte-face permit de constater que la région de Tindouf, autrefois utilisée par les autorités coloniales pour bloquer toute avancée marocaine vers la Mauritanie, était désormais au centre d’une nouvelle stratégie algérienne. Celle-ci visait, sous couvert de logiques tribales, à encourager un projet de dissidence territoriale dans la région.
Les positions contradictoires des responsables algériens
Le préfet de la Saoura et de Béchar, Abdelmajid Meziane, ancien étudiant de philosophie et assistant du doyen de la Faculté des lettres de Rabat, Mohammed Aziz Lahbabi, s’était opposé aux massacres des Reguibat à Tindouf en 1962, ces événements ayant eu lieu alors qu’il était en visite à Rabat. Bien que fermement opposé aux revendications marocaines sur Béchar et Tindouf, il confia néanmoins à M. Pierre, consul de France à Béchar, une remarque significative:
«Une précision intéressante qui confirme les indications données depuis le 1er juillet à de nombreuses reprises par la presse marocaine. Il est exact, a-t-il indiqué, que Ferhat Abbas puis Benkhedda ont reconnu le caractère marocain de Tindouf.» (Note du 18 octobre 1962, Archives La Courneuve)
L’ambassadeur de France à Rabat, Roger Seydoux, rapporta également les propos du diplomate algérien Abdelkader Chanderli, qui décrivait une Algérie en proie à des difficultés majeures dues, selon lui, «au départ des Français, à la destruction des archives et des rôles d’imposition, à la fermeture d’un très grand nombre d’entreprises industrielles et commerciales, et au chômage généralisé. Quant au Maroc, qui avait délibérément grossi l’affaire de Tindouf, Alger lui rendrait prochainement deux postes-frontière dans le sud, sans grand intérêt. On parlerait de Tindouf peut-être pendant cent ans.»
Dans un revirement étonnant, l’ambassadeur algérien à Rabat, M. Dahleb, déclara le 1er avril 1963 à l’ambassadeur de France au Maroc, M. Leusse:
«Jamais le G.P.R.A. n’a pris d’engagement vis-à-vis des propositions marocaines, et en particulier de Tindouf. Tout au plus, a-t-il accepté que la question soit examinée après la cessation des hostilités. La seule solution possible est économique. Si les deux pays se mettent d’accord pour exploiter la région en commun, la question de l’administration devient secondaire... L’Algérie a prolongé d’un an sa guerre d’indépendance pour le Sahara. C’est dire l’importance qu’elle y attache.»
Ce discours soulève une question cruciale: les idées et propositions algériennes ne s’inspireraient-elles pas des documents français encore inédits relatifs aux négociations de 1956-1957? L’Algérie aurait-elle bénéficié de certaines pièces clés de ces archives?
Ce qui est certain, selon les échanges entre Dahleb et Leusse, c’est l’étonnement exprimé par l’ambassadeur algérien face à l’indignation de feu Hassan II après l’explosion de la bombe atomique dans la région de Reggane, et la nécessité de ne pas dévoiler les clauses secrètes des accords d’Évian, notamment celles concernant Mers El Kébir. L’étonnement de Dahleb suggère que l’indépendance algérienne fut obtenue sous couvert de clauses secrètes.
Alors, à qui accorder du crédit? Aux propos du préfet Meziane, du diplomate Chanderli, de l’ambassadeur Dahleb ou du président Ben Bella? Chacun livre une version différente des engagements pris lors du traité de 1961.
Quelques mois avant le déclenchement de la guerre, une fiche datée du 15 avril 1963, émanant des services de l’ambassade de France à Rabat, livrait une observation révélatrice de la volte-face algérienne:
«Il est à noter que pendant toute cette période, les hommages rendus du côté algérien « à l’aide et au concours du gouvernement et du peuple marocain » se limiteront à quelques gestes officiels de courtoisie exprimés en termes très académiques.»
Les relations avec le Maroc furent rapidement rompues, ouvrant la voie à une propagande ciblée contre le Makhzen et le Royaume chérifien. L’Algérie, qui avait mal évalué la situation et sous-estimé la puissance militaire du Maroc, pensait trouver dans ce conflit un «nouveau souffle pour la révolution algérienne».
Feu Hassan II et la guerre des Sables
Le Journal El Moujahid, dans son édition du 19 juillet 1961, rapportait:
«S.M Hassan II et le président Ferhat Abbas affirment que les problèmes de délimitation territoriale entre le Maroc et l’Algérie les concernent seuls et ne peuvent être réglés qu’entre les deux États, en dehors de toute prétention ou ingérence étrangère. S.E Ferhat Abbas, président du G.P.R.A., exprime au nom du peuple algérien et de son gouvernement à S.M le Roi et au peuple marocain leur gratitude pour l’appui constant que l’Algérie a toujours trouvé auprès du Maroc.»
Cette déclaration s’inscrivait dans le contexte des négociations d’Évian, entamées le 20 mai 1961, qui achoppaient notamment sur la question du Sahara. Bien qu’annoncée par El Moujahid en 1961, cette convention ne fut rendue publique par le Maroc que le 22 octobre 1963, quelques jours après la cessation des hostilités liées à la guerre des Sables.
Le journal algérien, dans une tentative manifeste de manipulation, cherchait à faire pression sur la France, laquelle refusait initialement de céder le «Sahara français» à l’Algérie. Ce discours algérien reprenait alors des éléments du discours marocain de 1900 pour réfuter le concept de terra nullius et justifier la revendication de «l’algérianité» du Sahara.
Cependant, les archives disponibles, qui ont servi à produire plusieurs ouvrages et articles sur la question, offrent une tout autre lecture. Ces documents, qui s’étendent sur des kilomètres linéaires, démontrent résolument la marocanité historique des régions sahariennes concernées.
Insérer carte 2 : La carte de l’Algérie en 1962 (Les trois départements comme au temps des Turcs que la France voulait céder à l’Algérie en 1962)
Le calme qui précède la tempête
Feu le roi Hassan II, conscient que les dissensions entre les différentes factions algériennes pouvaient dégénérer en drame, adopta une position de neutralité, craignant à la fois une contagion de la «révolution» algérienne et une éventuelle alliance entre le FLN et l’opposition marocaine.
Dans un premier temps, l’heure était à la détente. L’Algérie salua même la victoire de la monarchie chérifienne après l’adoption de la Constitution le 7 décembre 1962, une Constitution qui soulignait notamment les devoirs du Roi en matière de défense de l’intégrité territoriale. Cependant, face aux choix entre le projet maghrébin et le panarabisme, Ahmed Ben Bella opta pour un rapprochement avec la France, mettant fin à son image de satellite du régime égyptien de Gamal Abdel Nasser.
Le 7 mars 1963, des négociations sur le problème des frontières débutèrent à Alger, en présence de feu le prince Moulay Abdellah. La presse évoqua alors la possibilité de signatures de conventions et de traités. Pourtant, depuis cette date, l’Algérie s’engagea dans une logique de «déclarations d’intentions». Cette même logique allait miner l’application du traité de 1972, dont certaines clauses restent encore en suspens.
Dans un contexte interne difficile, Ben Bella commença à s’éloigner de la main tendue par le Maroc. L’Algérie adopta une politique de «socialisation de la révolution», tandis que le colonel Houari Boumediene déclara rapidement que la révolution algérienne serait transnationale et donc sans frontières. Ainsi, la monarchie marocaine se retrouva dans le viseur des «révolutionnaires algériens».
Adoptant le principe d’une révolution sans frontières, l’Algérie se prépara à la guerre tout en prônant le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. La défense de l’intégrité territoriale algérienne fut alignée sur celle des acquis de la révolution algérienne. Le Maroc, victime de lourdes amputations territoriales et attaqué par surprise le 9 octobre 1963, fut accusé d’«expansionnisme». Le temps n’était ni à l’histoire ni à la géographie, mais aux slogans et aux acquis révolutionnaires.
Face à cette trahison, scandée par les cris de «Hagrouna», feu Hassan II ne put dissimuler sa déception. Le Maroc, qui avait offert un tiers de ses blindés à l’Algérie indépendante, ne s’attendait pas à être attaqué par l’armée du pays voisin. Cette information fut confirmée par le Roi lui-même au correspondant F. Monnelet du journal Le Figaro. À la question «Vous le regrettez?», Hassan II répondit:
«Pas du tout, je crois à la justice immanente de la divinité.»
Homme de foi, il confia également au Sunday Times sa stupeur face à la présence de soldats algériens et cubains à la frontière:
«On se serait cru à Cuba. J’avais peine à croire que je me trouvais en Afrique du Nord.» (Propos rapportés par Le Monde, Paris, 19 novembre 1963)
L’Algérie lança une guerre circonscrite, soutenue par des pays étrangers tels que Cuba, la Yougoslavie et l’Égypte. Les archives secrètes françaises évoquent même la présence, bien que limitée, d’officiers français et allemands encadrant les soldats algériens à Tindouf.
L’expansionnisme algérien: slogans révolutionnaires et masque néocolonial
Un retour sur les années 1963 et 1966 s’impose pour mettre en lumière le masque porté par l’Algérie, qui se targuait alors d’être la «Mecque» des mouvements de libération. Mais, en proie à des difficultés depuis son indépendance, l’Algérie cherchait un nouveau souffle dès mars 1963. Cette situation est décrite dans une lettre de l’ambassadeur français à Alger, M. Georges Gorse, intitulée «L’Algérie à la recherche d’un nouveau souffle» (expression utilisée par le ministre algérien Khemisti), envoyée au secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des affaires algériennes. Ce rapport d’une quinzaine de pages souligne comment l’enthousiasme populaire s’était transformé en mécontentement après seulement huit mois d’indépendance.
Malgré des ambitions affichées proches du castrisme ou du nassérisme, l’Algérie resta dépendante de l’aide française et des avantages des accords d’Évian. Mais qu’est-ce qui poussa l’Algérie à attaquer les localités de Hassi Mounir, et plus tard Ich et Figuig?
Le rapport français décrit ainsi la situation interne: «L’unité de l’Algérie a été sauvegardée, le Willayisme a été réduit, le séparatisme kabyle mis en sommeil… et M. Ben Bella a pu, dans le message adressé au peuple algérien à l’occasion de l’Aïd Seghir, se féliciter de l’œuvre accomplie et affirmer que l’Algérie avait trouvé la « stabilité »».
Cependant, l’ambassadeur français précise que cette recherche d’un second souffle n’est pas liée à l’Algérie en tant qu’État, mais à la révolution algérienne elle-même.
Houcine Aït Ahmed, leader du FFS, dénonça ouvertement le régime le 3 septembre 1963, le qualifiant de produit des «jésuites du FLN», soutenus par une presse marxiste de service. Parallèlement, en janvier, l’enlèvement de M. Boudiaf fut confirmé le 23 juin 1963 par le ministre algérien de la Justice. De son côté, Khider, principal opposant à Ben Bella, dut partir en exil malgré une médiation de Gamal Abdel Nasser. Ces événements marquent un tournant majeur dans la politique algérienne.
Les trois leaders cités furent rapidement qualifiés de «traîtres» à la révolution, accusés de collusion avec des puissances étrangères. C’est dans ce contexte que le Maroc permit à M. Boussouf d’emporter des malles contenant des archives sur l’armement et les activités du G.P.R.A. le 20 mars 1963 (Le quotidien La Nation africaine).
Ces tensions et ces trahisons internes tracent les contours d’un grand virage dans la politique algérienne, désormais marquée par un expansionnisme qui cachait mal ses aspirations néocoloniales derrière des slogans révolutionnaires.
Vérités sur l’agression algérienne
Les incidents à la frontière algéro-marocaine se sont multipliés côté algérien, coïncidant avec le complot de Rabat et l’arrestation de Fquih El Basri. En août 1963, l’Algérie interdit aux ressortissants marocains l’accès au territoire de Béchar. Le point culminant de la crise fut atteint en octobre 1963, lors du premier soulèvement kabyle.
Les autorités algériennes accusèrent alors le gouvernement marocain de profiter de l’instabilité intérieure pour mener des attaques frontalières. Certains journaux rapportèrent même un contact entre Krim Belkacem et le roi Hassan II à Tanger le 1er octobre 1963, coïncidant également avec ces événements.
À la suite de l’expulsion des ressortissants marocains d’Algérie entre septembre et octobre 1963, le Maroc a protesté auprès du chargé d’affaires algérien à Rabat, dénonçant les «accusations» et les déclarations du président Ben Bella concernant les relations algéro-marocaines. Plusieurs documents confidentiels, dont certains classés secret-défense, attestent de l’agression algérienne et établissent un calendrier précis des affrontements jusqu’au cessez-le-feu survenu le 4 novembre 1963. Parmi ces preuves, on note notamment la capture d’un hélicoptère égyptien le 20 octobre. Si les cinq officiers égyptiens à bord furent libérés le 15 février 1964, l’équipage algérien ainsi que le conseiller personnel de Ben Bella, M. Abderrahman Chérif, restèrent en détention jusqu’au 15 avril 1964.
En parallèle, 375 soldats algériens furent libérés au poste-frontière de Zouj Bghal en échange de 52 soldats marocains. Malgré ces faits établis, le 15 octobre, Ben Bella et l’Assemblée nationale algérienne rejetèrent la responsabilité de la guerre sur le Maroc. Des médiations et conférences de paix furent organisées, notamment à Bamako entre le 20 et le 29 octobre 1963, puis à Addis-Abeba entre le 15 et le 18 novembre de la même année.
On peut conclure qu’entre les événements de 1963 et ceux de 1975-1976 (dont les affrontements à Amgala), il n’y a qu’un fil conducteur: les ambitions tactiques de l’Algérie. Les revendications marocaines, solidement ancrées dans l’histoire, mettent en lumière le caractère opportuniste et fluctuant des positions algériennes, qu’il convient d’interpréter dans le cadre d’une politique coloniale reprise et adaptée par le régime algérien.
C’est dans ce contexte que fut introduit le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, permettant à l’Algérie de préserver son empire territorial tout en échappant aux processus de décolonisation. Ce principe, appliqué au Maroc, provoqua la perte de deux axes commerciaux majeurs avec l’Afrique au profit de la colonie algérienne. Pire encore, il menaçait le dernier lien commercial reliant le Maroc à l’Afrique subsaharienne, alors que ces routes et ces régions étaient historiquement dominées par le Maroc depuis le 11ème siècle.