Mais que se passe-t-il ces temps-ci avec les critiques faites à des institutions constitutionnelles? Le 9 mai courant, voilà le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, qui s’en prend frontalement au Conseil économique, social et environnemental (CESE), à propos de la publication d’un avis sur la situation détériorée de l’emploi, et en particulier des 1,5 million de NEET (jeunes sans emploi, ni éducation, ni formation). Une action malvenue aux yeux du Chef de l’exécutif qui, deux jours auparavant, devant les deux Chambres du parlement, avait dressé un bilan optimiste du bilan à mi-mandat de son cabinet. Un tel procès, fait à une institution constitutionnelle consacrée dans le titre 11 de la loi suprême (articles 151, 152 et 153), rebondit cette fois dans le champ partisan, en visant la Cour constitutionnelle pour des décisions rendues lors des précédents mois.
Pourquoi une telle polarisation aujourd’hui sur l’institution judiciaire suprême? Chronologiquement, il faut mentionner le dossier Abdelkader El Boussairi (décision N° 221/24). Cet élu, troisième vice-président de la commune de Fès (USFP) et membre de la Chambre des représentants (circonscription Fès-Sud), avait été détenu préventivement pour de graves chefs d’inculpation (détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, falsification de documents officiels et corruption). Le 6 octobre 2023, il avait été déchu de ses deux mandats par le tribunal administratif de première instance de Fès. Le 3 janvier 2024, la Cour constitutionnelle a décidé sa déchéance. Il n’a pas fait appel de ce verdict, comme le confirme un certificat de la juridiction administrative précitée, établi après examen des registres du greffe (Affaire N° 786/101/2023). Or, la notification du jugement lui a été faite le 13 novembre 2023 à la prison locale de Bourkaïz, sans qu’il interjette appel dans le délai de 10 jours prévu par le Code de procédure pénale (art. 488 al.1). Il s’en suit que l’ordonnance sur référé révoquant Abdelkader El Boussairi de ses fonctions est devenue irrévocable. En application des dispositions de l’article 2 de la loi organique relative à la Chambre des représentants, sa déchéance de son mandat parlementaire a été prononcée. La vacance de son siège a été actée et des élections partielles ont été organisées conformément aux dispositions de l’article 91 (al. 5) de la loi organique de cette institution parlementaire. Le scrutin partiel en date du 23 avril a vu l’élection du candidat RNI, Khalid El Ajli, en tête avec 9.767 voix. À noter au passage le très faible taux de participation (8,8 %) à ce scrutin par rapport à celle de 28,16% lors des précédentes élections du 8 septembre 2021.
Le même jour, le 3 janvier 2024, la Cour a rendu une autre décision, prononçant elle aussi la déchéance du député Saïd Zaïdi (PPS) de son mandat. Elle fait suite à l’arrêt de la Cour d’appel administrative de Rabat, en date du 21 mars 2023, confirmant le jugement en première instance du tribunal administratif de Casablanca, en date du 29 décembre 2022. Ce député de la circonscription de Benslimane avait été condamné à un an de prison pour corruption. Il n’a pas fait un pourvoi en cassation, comme l’atteste une correspondance, en date du 2 janvier 2024 (No 24/3), du Premier président de la cour administrative de Rabat, la notification de l’arrêt de la juridiction d’appel lui ayant été signifiée le 27 avril 2023 (dossier de notification n° 2023/7507/679). Ce même justiciable s’est fondé sur les dispositions de l’article 20 de la loi organique de la Cour constitutionnelle, lesquelles prévoient une procédure «en rectification d’erreur matérielle d’une de ses décisions». Or, il n’a pas pu démontrer ladite erreur matérielle pouvant conduire cette haute juridiction à la révision de sa décision. L’erreur matérielle, telle qu’elle est définie en droit processuel, est involontaire, par négligence, inadvertance ou inattention du juge (faute de frappe sur le nom d’une partie ou le sens d’une phrase, faute de calcul, substitution ou une adjonction erronée d’un mot, indication d’une fausse date…). La chose jugée, dans l’éventualité d’une erreur matérielle à rectifier, ne permet aucunement de modifier la substance et l’économie générale de la décision rendue.
D’autres situations particulières regardent le statut d’un mandat parlementaire. Tel est le cas de Mohamed Karimine (Parti de l’Istiqlal), ancien maire de Bouznika et membre de la Chambre des représentants. Il est actuellement en détention à la prison d’Oukacha pour des délits liés à la gestion des affaires locales. Déchu de son mandat de président de la commune de Bouznika le 3 mai 2023, il a vu la Cour d’appel administrative de Rabat confirmer ce jugement, un mois plus tard, le 13 juin 2023. En février 2024, la Cour de cassation l’a également débouté après son recours introduit auprès de cette même juridiction. Dans ce même registre, il faut s’arrêter mur la situation d’un autre parlementaire, Yassine Radi (UC), condamné notamment pour incitation à la débauche et non-dénonciation d’un crime.
Il avait été révoqué de ses fonctions de président de la commune de Sidi Slimane pour mauvaise gestion par le tribunal administratif de Rabat. Un jugement de confirmation d’une décision du ministre de l’Intérieur le 15 mai 2023, sur la base d’un audit de l’Inspection générale de l’administration territoriale. En novembre de cette même année, il a écopé d’ un an de prison ferme. Les deux maires, Mohamed Karimine et Yassine Radi, ont été déchus de leur mandat de membre de la Chambre des représentants. Saisie par le président de cette institution le 20 décembre 2023, la Cour constitutionnelle a décidé leur déchéance, en se basant sur le règlement intérieur de cette Chambre qui frappe d’inéligibilité toute personne déchue d’un mandat électif sur décision de justice définitive (art. 6). Les deux sièges déclarés vacants seront pourvus lors de scrutins partiels. Enfin, il faut mentionner le cas de Babour Sghir (UC), condamné pour escroquerie financière à quatre ans de prison en juillet 2023. Il a démissionné, mais a été ensuite frappé de déchéance et partant d’inéligibilité.
Cela dit, comment appréhender les décisions rendues par la Cour constitutionnelle? Dans le dossier Mohamed Karimine, dans sa décision en date du 21 mars 2024, la Cour a considéré que sa démission adressée au président de la Chambre des représentants en date du 9 janvier 2024, consignée dans le procès-verbal du bureau de cette institution le 10 janvier, n’avait pas d’effets juridiques et était sans objet. Elle rappelle que l’éligibilité est d’ordre public et qu’elle peut être invoquée d’office. Démission et déchéance sont de nature juridique distincte, la première n’emportant pas d’effet sur la seconde. Dans les cas de Mohamed Moubdie et de Babour Sghir, ce sont des démissions dont n’a pas à connaître la Cour constitutionnelle, aucune procédure d’autosaisine n’entrant dans ses attributions. Dans le cas de Saïd Zaïdi, sa demande de rétractation pour «erreur matérielle» de la décision de cette Cour, faute de produire des éléments justifiant sa requête, n’est pas recevable. Enfin, Abdelkader El Boussairi n’a pas interjeté appel du jugement de première instance.
Une question s’impose alors: où sont donc les contradictions des décisions de cette Cour relevées, entre autres, par le Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar, pourtant avocat depuis plus de quatre décennies?