Pour ce qui est des relations entre le Maroc et Israël, le fait le plus marquant est l’accélération, l’élargissement et en même temps la consolidation. Les échanges commerciaux ont atteint environ 60 millions de dollars en 2022 et les prévisions d’ici 2025 tablent sur plus de 500 millions de dollars. Pour cela, il faut des prérequis qui sont en train d’être réunis: un cadre juridique et fiscal approprié, un environnement réglementaire d’affaires incitatif, une plus forte implication du secteur privé, etc. Le secteur du tourisme nourrit de grandes opportunités. Quant au partenariat stratégique, sa déclinaison sécuritaire et militaire a déjà engrangé de grands acquis avec des perspectives encore plus marquées. A noter ici que de grandes entreprises de l’État hébreu s’investissent dans les provinces méridionales du Royaume (New Med Energy, Adarco, Selina, etc.). La preuve, s’il en était besoin, de la reconnaissance de la marocanité de celles-ci, sans hésitation ni ambigüité.
Précisément, sur ce point, se repose avec une toute récente actualité la question de la reconnaissance, cette fois formelle, du Sahara marocain. La ministre israélienne des Transports, Miri Regev, y a fait référence le 31 mai dernier à Rabat. En visite officielle, le président de la Knesset, Amir Ohana, a été encore plus explicite, en déclarant que son pays «devrait aller vers une reconnaissance du Sahara marocain»; que «des discussions sérieuses entre nos deux gouvernements sont en cours»; et qu’il croit que «le Premier ministre Netanyahou annoncera sa décision dans un avenir proche». Question: mais pourquoi Tel Aviv n’a-t-elle pas pris cette décision dans la foulée de celle de l’administration américaine Trump en décembre 2020? Quels facteurs ont pesé dans ce sens? Le précédent cabinet en responsabilité n’avait-il pas, sans préconditions, toute latitude à cet égard? Il semble bien que la réponse affirmative s’impose.
Alors? Sans doute qu’il escomptait en jouer pour tenter d’avoir plus de «compréhension» de Rabat sur des «questions d’importance stratégique pour Tel Aviv», comme vient de le reconnaître un responsable de l’ONG Abraham Accords Peace Institute, fondée par Jared Kushner, ancien conseiller et gendre de Trump. C’est sans doute mal appréhender la diplomatie du Royaume que compter sur un infléchissement de ses positions, en particulier pour ce qui est de la question palestinienne. La solidarité du peuple marocain est totale. Les principes défendus par SM Mohammed VI, président du Comité Al Qods, sont des constantes: un processus de règlement négocié sur la base de deux États avec Jérusalem-Est comme capitale de l’État palestinien.
Ce qui interroge aujourd’hui, c’est la nature particulière de la précédente conjoncture. De quoi s’agit-il? De la formule du nouveau cabinet israélien investi fin décembre dernier, avec Netanyahou et une majorité la plus à droite de l’histoire d’Israël, avec le Likoud et ses alliés religieux et d’extrême droite. Un gouvernement où des ministres comme Ben Gvir et Smotrich se distinguent par des provocations sur l’Esplanade des mosquées et allant même jusqu’à nier l’existence des Palestiniens. Comment attendre quelque chose des responsables de tels propos? Le protocole veille d’ailleurs à ce que les ministres effectuant des visites soient d’origine marocaine, il est exclu, semble-t-il, que des profils extrémistes aient un accueil officiel dans le Royaume.
C’est sur la base de cette considération de principe que se pose le problème de la deuxième édition du Forum du Néguev. Après le premier, en mars 2022, dans le désert israélien, il était prévu qu’il serait suivi par celui de Dakhla. Or, pour la quatrième fois depuis janvier de cette année, ce rendez-vous est reporté à la demande de Rabat, qui a invoqué cette fois-ci la proximité avec l’Aïd Al-Adha, le 29 juin courant. Cette justification «diplomatique» retient l’intérêt en ce qu’elle enrobe d’autres paramètres. Est-il opportun de se réunir avec un officiel israélien de ce cabinet? Ne convient-il pas de débaptiser ce Forum du Neguev -une dénomination par trop israélienne- pour lui substituer une nouvelle dénomination AMENAPD (Association des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord pour la Paix et le Développement) pouvant être plus attractive pour d’autres membres de la région? Et comment envisager une représentation de l’Autorité palestinienne si ne se prépare pas la relance du processus de négociation avec Tel Aviv?
Pour l’heure, il est question du mois de juillet à Dakhla comme le soutient le Maroc. A Marrakech comme l′envisagerait, dit-on, Washington? Et avec quel niveau de représentation? L’administration américaine vient de décider cette semaine même la création d’un poste d’envoyé personnel du Département d’État chargé du suivi des Accords d’Abraham et de l’intégration continue d’Israël au Moyen-Orient, selon les termes mêmes d’Antony Blinken. La perspective globale est de mettre en place une plateforme de coopération multilatérale couvrant des secteurs comme la santé, l’économie, le changement climatique, l’eau et la sécurité. Ce serait une organisation régionale, avec une présidence tournante et un sommet annuel. Rabat et Le Caire font pression pour y faire admettre notamment la Jordanie et l’Autorité palestinienne et pour que le gouvernement Netanyahou se décide à reprendre le processus de règlement de la question palestinienne, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
Comment ne pas le voir? Il y a un enchevêtrement entre les rapports de normalisation Rabat–Tel Aviv, le report du Forum du Néguev II et ses prolongements internationaux. Que Tel Aviv décide la reconnaissance du Sahara marocain traduit-il une «avancée» diplomatique pour le Maroc? C’est qu’en effet, son coût ne serait pas négligeable dans la politique intérieure du Royaume et même pour ses positions diplomatiques sur la question palestinienne...