Une flotte aérienne, si moderne soit-elle, n’a de valeur que si elle vole. Derrière chaque mission de transport, de combat, de surveillance ou de sauvetage, se trouve un travail colossal de maintenance et de soutien logistique. À Benslimane, ce travail prend la forme d’un véritable complexe industriel militaire: la BASG. Révisions générales d’avions et d’hélicoptères, réparation de moteurs, contrôle d’équipements, gestion logistique et approvisionnement… tout converge vers un seul objectif: maintenir la flotte des Forces Royales Air dans un état de disponibilité maximale.
Née de l’Atelier magasin général des années soixante, la Base aérienne de soutien général (BASG) de Benslimane a progressivement grandi pour devenir un pôle industriel unique en son genre, nous apprend La revue des Forces armées royales dans son dernier numéro.
Cette base concentre aujourd’hui la maintenance lourde des aéronefs, la réparation des moteurs et accessoires, ainsi que l’approvisionnement logistique des bases aériennes du Royaume. Ici, tout est pensé pour une seule finalité: assurer la disponibilité et la sécurité des avions et hélicoptères en dotation, du transport stratégique aux appareils de chasse, des bombardiers d’eau aux hélicoptères de manœuvre.
De l’atelier au pôle industriel
L’histoire de la BASG est celle d’une transformation réussie. Dans les années soixante, l’Atelier magasin général avait pour vocation d’assurer l’entretien basique et la logistique de pièces. Mais les besoins se sont rapidement amplifiés: nouveaux avions, nouvelles missions, complexité accrue des systèmes.
Le Maroc a alors fait un choix stratégique, celui d’investir dans une capacité locale, moderne et intégrée, plutôt que de dépendre des prestataires étrangers. La BASG est devenue la colonne vertébrale industrielle des Forces Royales Air, une base où s’allient infrastructures modernes, ingénieurs formés dans les écoles des FRA et techniciens certifiés selon les standards les plus exigeants.
Le GVMA ou «la renaissance des aéronefs»
C’est au sein du Groupement des visites majeures des aéronefs (GVMA) que se déroulent les opérations les plus spectaculaires. Là, un avion n’entre pas pour un simple contrôle, mais pour une véritable renaissance. Les équipes procèdent à un démontage complet de la cellule, inspectent chaque structure grâce aux contrôles non destructifs – radiographie, ultrasons, courants de Foucault – et remettent à neuf les systèmes avioniques, hydrauliques et électriques.
La peinture est refaite, les câbles remplacés, les joints vérifiés. Puis vient le temps des essais, d’abord au sol, ensuite en vol. Chaque opération est encadrée par les règlements FRA Part-145 et FRA Part-66, qui définissent les standards de certification des ateliers et des techniciens.
Le colonel Mahboub, commandant le GVMA, résume la philosophie de son unité en une phrase: «Notre ambition est de garantir un haut niveau de disponibilité opérationnelle tout en assurant la conformité aux normes les plus strictes de sécurité et de qualité.» Ce travail ne se limite pas à remettre des appareils en état, il bâtit une véritable filière de souveraineté, où les compétences locales se renforcent par la formation continue et le transfert de technologie.
Lire aussi : Comment, brique par brique, le Maroc édifie son propre complexe militaro-industriel
Dans ces ateliers, la technique se double d’une dimension humaine forte. Les ingénieurs et techniciens ne cessent de se former, d’intégrer de nouvelles méthodes, d’améliorer leurs gestes. La formation continue, la gestion du stress, l’ergonomie et la lutte contre la fatigue font partie intégrante de leur quotidien. Car la maintenance aéronautique est autant affaire de précision technique que de maîtrise humaine.
Le Groupement industriel, la précision au service des aéronefs
L’un des piliers majeurs de la BASG est le Groupement industriel (GI), qui concentre son expertise sur les moteurs et les accessoires.
«Il assure en permanence un soutien de maintien en condition différée de valeur, au profit de l’ensemble de la flotte aérienne des FRA. Alliant précision dans ses interventions et qualité d’exécution des tâches, le GI parvient efficacement aux missions assignées, et ce, en tirant profit de son noyau dur en personnel qualifié et rompu aux procédés de la maintenance 4ème échelon», selon le dernier numéro de La revue des FAR.
De plus, le groupement opère dans un cadre normatif des organismes d’entretien, «le PART 145, qui est le règlement reconnu à l’échelle nationale pour la qualification dans l’exercice de ses activités de maintenance aéronautique. Pour ce faire, le GI est fort de ses entités essentielles qui contribuent à la réussite et l’accomplissement des missions imparties au Groupement», explique-t-on.
Le sous-groupement moteurs (SGM) se distingue, quant à lui, par sa capacité à prendre en charge la révision et la réparation des modules moteurs d’avions, tels que l’ATAR 09K50 du Mirage F-1, du T56 du C-130, ou encore du J85 équipant l’avion de chasse F-5.
Concrètement, dans ses ateliers, les moteurs sont démontés, nettoyés chimiquement, réparés, remontés, équilibrés statiquement et dynamiquement, puis soumis à des contrôles rigoureux.
Cette unité conçoit aussi des outillages spécifiques et fabrique certaines pièces grâce aux machines numériques et à l’impression 3D. «Ceci inclut en grande partie les adaptations et les supports pour les chantiers de visites majeures, optimisant ainsi les ressources nationales et élargissant le spectre de l’autonomie industrielle du Royaume», commente-t-on.
Le SGM est, par ailleurs, sur la voie d’intégrer une nouvelle capacité de pointe inhérente à la réparation et à la confection des structures à base de matériaux composites, élargissant ainsi le spectre du soutien apporté par le GI aux différentes composantes des FRA.
Installation du volet interne de l'aile gauche d'un avion C130H en visite majeure.
À ses côtés, le sous-groupement accessoires se concentre sur les équipements hydrauliques, électriques et mécaniques. Vérins, servocommandes, démarreurs, alternateurs, moteurs, hélices... Tout y est réparé avec la même rigueur.
Il intervient également sur les équipements de sécurité situés en bout de piste, assurant leur fiabilité en situation d’urgence en leur conférant un nouveau potentiel d’exploitation de 10 ans.
Le contrôle dimensionnel de haute précision et les tests non destructifs, réalisés dans un atelier certifié selon les normes EN4179/NAS410, garantissent une fiabilité totale. Même les bouteilles sous pression embarquées sur avion sont testées.
Lire aussi : Industrie de la défense: avec le groupe Tata, le Maroc se lance dans la production de véhicules de combat
Sans logistique, aucun atelier ne fonctionnerait. Et c’est justement la mission du groupement ravitailleur principal (GRP), maillon essentiel de la chaîne. Fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, il prend en charge tout le processus, à savoir de l’expression du besoin à la livraison finale.
Son champ d’action couvre l’ensemble des pièces et consommables nécessaires aux avions de chasse, de transport, d’entraînement, aux hélicoptères et même aux drones.
Grâce à des systèmes numériques avancés – logiciels spécialisés, systèmes de gestion des stocks, plateformes de suivi en temps réel, analyse prédictive des besoins, visibilité des volants disponibles, le GRP anticipe les ruptures et réduit les délais. Son réseau d’approvisionnement combine sources locales et partenaires internationaux, utilisant des voies terrestres, aériennes ou maritimes selon l’urgence.
Mais derrière les flux et les chiffres, il y a un capital humain précieux: des logisticiens formés à la supply chain, au management des achats et à la sécurité. Le GRP incarne ainsi une double dimension: l’efficacité opérationnelle et l’émergence d’un savoir-faire local dans un domaine où le Maroc aurait pu rester dépendant.
La formation et la relève
La puissance d’une armée de l’air se mesure aussi à sa capacité à former sa relève. Cette mission passe par le sous-groupement de maintenance des DA40/42, avions-école indispensables à l’apprentissage des futurs pilotes. Ces appareils, qui constituent la première marche vers le cockpit des avions de chasse ou de transport, nécessitent une maintenance régulière et rigoureuse.
Chaque opération est menée par des techniciens des Forces Royales Air titulaires des licences délivrées par la Direction de l’aéronautique civile. Les inspections couvrent tout le spectre, de l’entretien préventif aux réparations correctives. À l’issue de chaque chantier, la remise en service est validée par un ingénieur licencié catégorie C, garantissant la conformité aux exigences réglementaires.
Les simulateurs de vol, dotés de technologies de dernière génération, sont eux aussi entretenus localement. Ils constituent un outil essentiel à la formation des pilotes, réduisant les coûts et améliorant la sécurité. Là encore, les techniciens, spécialement formés à ce type d’interventions, assurent la continuité et la qualité.
Lire aussi : Défense: une nouvelle commande de dix H225M Caracal pour renforcer les capacités des Forces royales air
Un système qualité performant encadre l’ensemble, reposant sur des audits internes, des inspections indépendantes et un processus rigoureux de gestion des écarts. L’objectif est on ne peut plus clair: garantir non seulement la conformité, mais aussi instaurer une culture d’amélioration continue.
La métrologie, science invisible de la précision
À première vue, la métrologie peut sembler une discipline secondaire, réservée aux laboratoires. Mais dans l’univers aéronautique, elle est un maillon essentiel. Chez les FRA, ce rôle est assuré par le service métrologie, provisoirement localisé à la 3ème Base aérienne des FRA à Kénitra.
Sa mission est simple en apparence, celle de garantir la précision, la fiabilité et la conformité des instruments de mesure. Mais derrière cette simplicité se cache une responsabilité immense. Car sans instruments parfaitement calibrés, aucun contrôle sur un avion, aucun test sur un moteur, aucune inspection sur un accessoire ne pourrait être considéré comme fiable.
Chaque instrument est suivi depuis son acquisition jusqu’à son retrait, selon des protocoles stricts alignés sur les normes internationales. L’étalonnage et la vérification se font par comparaison avec des étalons de référence. Si des écarts sont détectés, des ajustements, réparations ou déclassements sont immédiatement recommandés.
Ce service ne profite pas seulement aux Forces Royales Air puisque la Gendarmerie royale, la Marine, l’Artillerie, l’Arme transmissions ou encore l’Office national des aéroports bénéficient aussi de cette expertise.
L’Atelier magasin général des années soixante n’est donc plus qu’un souvenir. À sa place s’élève aujourd’hui un pôle industriel militaire qui rivalise avec les meilleurs au monde. La BASG, c’est l’histoire d’un pari audacieux, devenu réussite éclatante, celle du Maroc qui a choisi l’excellence pour protéger son ciel.



















