La Tunisie n’en a pas encore fini avec les affronts que lui font subir les généraux algériens. Et les épisodes s’accélèrent sous le mandat de Kaïs Saïed qui intrigue par son inertie. La Tunisie est considérée comme le pays africain le plus exposé à faire défaut sur sa dette. Mais tout miser sur le «soutien financier relatif» de la junte algérienne est une solution de courte vue, avec de graves conséquences sur les choix souverains de la Tunisie et son image.
Les prêts octroyés par la junte ne ciblent pas des projets de développement ou de co-développement. La junte se fiche de la prospérité de la Tunisie. Ce sont des prêts usuraires toxiques qui ont pour but de servir de levier à tous les chantages. La contrepartie est que la Tunisie doit adhérer au projet séparatiste anti-marocain qui hante la junte depuis 1975. D’ailleurs pour un résultat nul!
La Tunisie s’est donc convertie à l’hostilité contre le Maroc sans aucun motif qui la concernerait en propre. Juste sous la pression d’un tiers. Elle fait de la sous-traitance pour des lubies géostratégiques d'un voisin déréglé.
Mais la junte algérienne comprend de plus en plus, à sa grande douleur, que le Maroc ne peut être «tunisifié»… et qu’il relève définitivement et imprescriptiblement du «non gérable absolu» pour les soudards qui la composent.
Depuis l’élection de Kaïs Saïed en octobre 2019, on a bien observé comment s'opérait l’anéantissement de la respectabilité de la Tunisie. Mais on regardait ailleurs parce qu’on espérait un sursaut.
Le Maroc comprit que Kaïs Saïed se dirigeait vers des chemins inédits et aventureux lorsque la Tunisie a décidé de s’abstenir, en octobre 2021, lors du vote de la résolution 2602 du Conseil de sécurité sur le conflit artificiel autour du Sahara marocain. Une décision qui insultait aussi les formidables liens humains tissés entre les deux peuples.
Or, 10 mois après cette inanité, lors du forum économique entre le Japon et des pays africains, tenu à Tunis, Kaïs Saeid décida contre la volonté du coorganisateur japonais de faire participer, par effraction, une «entité fantoche». Il a aussi décidé de réserver à son prétendu «président» un accueil digne d’un chef d’Etat en lui déroulant le tapis rouge. Pourtant, le pantin est connu pour se faire trimballer partout, comme un clandestin, dans les bagages des émissaires de la junte.
Le masque est finalement tombé et le Maroc décida de défendre fermement son intégrité territoriale.
Comment la Tunisie en est-elle arrivée là? Comment s'est-elle départie de sa neutralité pour adhérer –sur le tard– à une escroquerie, un projet infâme qui n'a jamais été le sien? Comment en est-elle arrivée à ne pas pouvoir bouger le petit doigt sans l’aval d’une junte autoproclamée «tutrice»? Comment est-elle restée passive face à un travail de sape de sa souveraineté par une junte frappée à la fois de mégalomanie, mythomanie et paranoïa (la totale!) et engluée dans des analyses complètement fausses des relations internationales? Comment les forces vives en Tunisie peuvent-elles accepter qu’un pays millénaire soit vassalisé par un Etat créé et baptisé par la France en 1837?
Il y a tellement d’exemples qui illustrent, hélas, ce travail de sape mais on a «choisi» d’évoquer trois épisodes marquants. L’un en 1980 (déjà!) sous le mandat de Habib Bourguiba, le deuxième en 2012 après l'élection du président Moncef Marzouki et, enfin, un autre en relation avec les coups portés par la junte à l’ex-général tunisien Mohamed Salah Hamdi.
L’agression de GafsaEn 1980, la ville de Gafsa fut attaquée par un commando de 300 assaillants. Une attaque criminelle conçue par Kadhafi pour déstabiliser Bourguiba, en complicité avec un «clan» de généraux algériens qui agissaient dans le dos du président Chadli Bendjedid.
Le fondateur Habib Bourguiba, fervent patriote, et qui n’avait pas une idée dégradée de son pays, réagit vivement et contra l’agression. Il reçut la solidarité pleine et entière du Maroc ainsi que le soutien des Etats-Unis et de la France. Le coup de Gafsa a montré les méthodes de ceux qui allaient devenir, par la suite, les «éradicateurs» de leur propre peuple et une source permanente de désordre au Maghreb et en Afrique.
D’autres tentatives d’atteinte à la souveraineté tunisienne eurent lieu, mais toujours avortées par Bourguiba, et par la suite par Benali. L’histoire retiendra que ces deux présidents n’ont jamais plié devant la junte algérienne, ni accepté qu’elle oriente leur politique étrangère.
Le traumatisme du Printemps arabeLe deuxième épisode est lié à l’avènement du «printemps tunisien» et il fut très mal accueilli par la dictature algérienne. Cette dernière décida de tout mettre en œuvre pour mettre la Tunisie «sous contrôle».
Quand Moncef Marzouki fut élu président en 2011, elle fulmina de rage. Il avait, aux yeux des généraux, trois «défauts» majeurs: il était politiquement légitime, il était militant des droits de l’homme et il avait dénoncé les atrocités de la décennie noire. Et, surtout (horreur pour la junte!), il était marocophile en raison de ses attaches familiales dans notre pays.
La visite officielle du président Marzouki au Maroc en 2012 et sa visite à Marrakech où il s’est recueilli sur la tombe de son père fut un choc pour le pouvoir algérien. Lors de cette visite, il n’a fait qu’exprimer des convictions sincères pour l’apaisement et la réconciliation en prônant l’idée d’un espace maghrébin commun entre les 5 pays du Maghreb. Un espace, dit-il, où les citoyens pourraient circuler, travailler, investir ou voter librement.
C’en était trop pour les généraux. Il fut déclaré ennemi numéro 1. Il faussait tous leurs plans. Ils jurèrent (évidemment sur la tête de leur Benbattouche préféré) que jamais il n’y aurait un président tunisien «proche» du Maroc. Ni même un président «neutre». Le compte à rebours commença pour Marzouki.
Lors de la campagne électorale pour les présidentielles de 2014, la junte actionna ses «relais» visibles et invisibles pour déclencher un bashing inouï, quasiment un lynchage, contre Marzouki, accusé de tout. Elle s’est même rapprochée de Rached Ghannouchi et des islamistes pour fomenter une cabale anti-Marzouki.
Il perdit l’élection en faveur de Beji Caid Essebssi qui fut élu président à l’âge de 88 ans. Homme d’Etat tunisien majeur et compagnon de route de Bourguiba, Beji Caid Essebssi résista avec courage et parfois difficulté à l’ingérence du voisin insensé. Il n’est jamais allé vers le casus belli comme l’incertain Kaïs Saeid.
Le général Mohamed Salah Hamdi tient tête à la junteLe troisième épisode porte sur le parcours du général tunisien Mohamed Salah Hamdi, lui aussi considéré comme un ennemi par les généraux algériens. Formé en Tunisie, en France et aux Etas-Unis, il fut aussi attaché militaire à l’ambassade de Tunisie à Tripoli en 2011. Il est certain qu’il ne portait pas la junte algérienne dans son cœur. Il connaissait les agissements des généraux, notamment au niveau de la zone frontalière montagneuse opaque entre l’Algérie et la Tunisie, et leurs accointances avec les bandes criminelles déstabilisatrices.
Il fut nommé chef d’état-major de l’armée de terre tunisienne en 2013, sous le mandat de Moncef Marzouki. Mais il démissionna, dit-on, ou mieux, il fut «évincé en juillet 2014 de l’armée de terre… à la demande d’Alger», selon notre confrère Jeune Afrique.
Les mésaventures du Mohamed Salah Hamdi avec Alger n’étaient pas encore terminées.
Dès sa prise de fonction, Kaïs Saïed, lors d’une très courte période de lucidité, le «réhabilita» et le nomma, en octobre 2019, «premier conseiller à la sécurité nationale».
Mais il eut la «mauvaise idée» de l’envoyer le représenter aux funérailles du général Gaid Salah à Alger en décembre 2019. Alger n’a pas du tout apprécié sa présence. La réaction fut immédiate. Il fut mis à l’écart dans l’entourage du président et poussé à la démission en avril 2020. L’armée tunisienne, qui devait être le bouclier du pays, fut elle aussi déstabilisée.
Ces trois épisodes montrent comment la Tunisie a perdu la maîtrise de la gestion de ses propres affaires.
Les cas d’ingérence, au grand jour, se sont multipliés sans aucune retenue depuis le coup de force du 25 juillet 2021 de Kaïs Saïed (on peut envisager par qui il fut inspiré).
L’enlèvement par les services algériens à Tunis de Slimane Bouhafs, militant algérien des droits de l’homme, réfugié et bénéficiant de la protection internationale. Kaïs Saïed est resté muet à ce jour sur cette affaire. Le cas de Othman Jerandi, ministre des Affaires étrangères, considéré par tous les observateurs comme un loyal obligé de l’inénarrable Ramtane Lamamra devenu son maître à penser. Au point que les communiqués du MAE tunisien charrient les éléments de langage archi-usés et poussiéreux de Lamamra. Triste référence!
La déclaration de Tebboune en mai 2022 à Rome, affirmant: «Nous sommes prêts à aider la Tunisie à sortir de l’impasse et ce jusqu’à ce qu’elle retrouve la voie démocratique.» Malgré l’indignation des forces vives tunisiennes, Kaïs Saïed garda le silence.
La déclaration d’Elhouari Tigharsi, économiste et député algérien membre de la Commission des finances, qui a affirmé sans honte: «Disons-le en toute franchise, la Tunisie est considérée comme l’une des plus importantes wilayas algériennes.» Un affront sans nom!
La Tunisie, très mal gouvernée, s’est retrouvée satellisée par un régime voisin incompétent, qui opprime son peuple. Un déclin qu’elle ne mérite pas car elle a souvent montré la voie pour de nombreuses évolutions sociétales, et des acteurs tunisiens, agissant en faveur du dialogue national, ont reçu le prix Nobel de la paix en 2015. Cette Tunisie que le monde arabe associait à un jardin paradisiaque en l’appelant, jadis, par affection «Tunisie la Verte»… n’est plus, hélas, que l’ombre d’elle-même.