Jamais Alger n’avait affiché une telle fébrilité diplomatique. L’annonce, sur les bancs du Congrès américain, d’un projet de loi visant à inscrire le Polisario sur la liste noire des organisations terroristes, a eu l’effet d’un coup de tonnerre dans les cercles du pouvoir algérien. En coulisses, c’est une véritable panique qui s’est emparée du régime, inquiet de voir sa marionnette séparatiste perdre le peu de crédit qui lui reste sur la scène internationale.
Pour tenter d’éteindre l’incendie avant qu’il ne prenne, l’Algérie tente le tout pour le tout. Elle a dépêché mercredi son ambassadeur à Washington, Sabri Boukadoum, pour rencontrer en urgence l’un des deux députés à l’origine de la proposition. Il s’agit du congressman démocrate Jimmy Panetta. On s’en souvient, le 26 juin dernier, Panetta avait présenté avec son homologue républicain, Joe Wilson, un projet de loi au Congrès américain pour classer le Polisario comme organisation terroriste.
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Le geste est révélateur: en allant frapper à la porte de ceux qu’elle ne cesse pourtant de décrier comme «instrumentalisés par le lobby marocain», Alger montre que sa marge de manœuvre se réduit à mesure que la dynamique américaine se durcit. Le tweet partagé par Panetta sur X en dit d’ailleurs long sur la froideur de la rencontre. Le congressman de Californie a confirmé avoir discuté avec le diplomate algérien des relations entre Washington et Alger, de sécurité régionale… et des organisations transnationales terroristes en Afrique. Panetta s’est contenté d’exprimer son appréciation du dialogue, émettant le souhait de poursuivre les «conversations qui favorisent notre compréhension mutuelle et notre sécurité». En la matière, il y a du boulot.
Au-delà du symbole politique, l’enjeu est considérable. Être classé organisation terroriste par la première puissance mondiale signifierait pour le Polisario une stigmatisation juridique et diplomatique irréversible. Une telle désignation activerait toute une batterie de sanctions: gels d’avoirs, restrictions de déplacement, surveillance accrue des flux financiers, et surtout une perte de relais politiques en Occident.
L’argumentaire des initiateurs de ce projet de loi s’appuie sur des éléments de plus en plus difficiles à ignorer: zones d’ombre sur le financement du Polisario, collusions avec des réseaux criminels et terroristes sahéliens, circulation d’armes et de combattants dans le no man’s land du Sahara, liens avérés avec l’Iran des Ayatollah et ses proxies, notamment le Hezbollah libanais et le régime déchu de Bachar Al-Assad en Syrie. Autant de réalités que le Maroc ne cesse de documenter depuis des années, mais qui trouvent désormais un écho favorable dans une Amérique plus que jamais résolue dans sa guerre contre le terrorisme.
Le timing n’est pas anodin. Sous l’administration Trump, cela signifie que la démarche du Congrès pourrait trouver une oreille attentive au plus haut niveau, d’autant plus que la Maison-Blanche avait déjà marqué un tournant en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara.
L’administration Trump, réputée imperméable aux pressions classiques du lobbying pro-Polisario, ne se laisse guère attendrir par les arguments éculés d’une «lutte pour l’autodétermination». En parallèle, la coopération militaire entre Rabat et Washington, consolidée par des accords de défense et une vision commune de la stabilité régionale, marginalise encore davantage le Polisario aux yeux des stratèges américains.
Une diplomatie de la dernière chance
Pour Alger, il ne reste donc que le vieux réflexe: activer tous ses relais au Capitole, financer des cabinets de lobbying à prix d’or, et envoyer son ambassadeur jouer les bons offices dans l’espoir de dissuader les sénateurs de pousser le texte jusqu’au bout du processus législatif. C’est ce qui explique le ballet diplomatique improvisé ces derniers temps, quitte à marchander un recul de dernière minute. Le même Boukadoum avait d’ailleurs fait étalage de tout ce à quoi Alger était prête, quitte à sacrifier le «grand frère» russe et son armement, pour se prémunir contre une éventuelle colère américaine. Le 7 mars dernier, l’ambassadeur d’Algérie aux États-Unis a acheté un entretien à DefenseScoop pour valoriser le mémorandum d’entente militaire signé le 22 janvier entre Washington et Alger et ouvert grand le portefeuille algérien, y compris pour acheter des armes made in USA. Au diable Moscou et son arsenal.
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Chemin faisant, Alger n’a pas hésité à réactivé le vieux, éphémère et très ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, «l’une des personnes les plus stupides de Washington», selon le président américain Donald Trump.
Aujourd’hui âgé de 75 ans, John Bolton, c’est aussi LA voix du Polisario aux États-Unis. Il n’est autre que l’architecte, en 2003, du tristement célèbre plan James Baker II (du nom de l’ancien envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara, dont Bolton était membre de l’équipe). Ce plan défendait, entre autres, la thèse de l’impraticable référendum d’autodétermination et l’élargissement des attributions de la Minurso aux questions de droits de l’Homme. Deux options intégralement abandonnées.
Ces manœuvres de la dernière chance sont risquées. Car en plaidant aussi directement la cause du Polisario, Alger conforte tous ceux qui dénoncent depuis toujours un lien organique entre le régime algérien et le front séparatiste. Officiellement, l’Algérie s’entête à affirmer qu’elle «soutient un peuple frère» au nom d’un «principe sacré». Officieusement, elle révèle à quel point le Polisario reste un instrument stratégique qu’elle ne peut se permettre de perdre.
Cette agitation diplomatique trahit surtout un aveu d’impuissance. Depuis la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara, le rapport de force diplomatique s’est inversé. La plupart des capitales influentes, de Washington à Madrid en passant par Berlin ou, tout récemment Lisbonne, affichent une lecture pragmatique du conflit. Le plan d’autonomie gagne en crédibilité, pendant que le discours séparatiste s’essouffle. Dans ce contexte, un classement terroriste viendrait donner le coup de grâce à un front déjà miné par les soupçons d’infiltration de groupes jihadistes.
En agissant ainsi, le régime d’Alger se retrouve acculé à défendre l’indéfendable. Plus il s’active pour amadouer l’administration Trump, plus il expose le lien toxique entre son appareil et un mouvement dont les zones d’ombre et la nature foncièrement terroriste deviennent difficiles à camoufler. Le forcing algérien à Washington ne fait que mettre en lumière un projet géopolitique hérité de la guerre froide, anachronique, coûteux et désormais dangereusement instable pour la sécurité régionale. Si la désignation terroriste devait se confirmer, elle marquerait un tournant historique, non seulement pour le front séparatiste, mais aussi pour l’Algérie, contrainte d’assumer, devant la communauté internationale, le prix de ses faux calculs… et de ses illusions perdues.








