Elle fait partie de la guerre hispano-marocaine, qui est dite par les Espagnols « Guerra de Tétuan » ou « Guerra de Africa », témoignant de son envergure continentale.
Prenant d’abord la forme d’escarmouches de frontières, elle s’annonce dès le début du mois d’août 1859 avec la construction, par des soldats du préside occupé de Sebta, d’un fortin en dur remplaçant la baraque en planche qui servait auparavant de poste militaire.
De quoi exacerber la réaction des membres de la tribu voisine des Anjra qui procédèrent à la destruction de la redoute sur laquelle avaient été hissées les armes espagnoles.
Le consul d’Espagne à Tanger adresse aussitôt une plainte au représentant du sultan, dans des allures d’outrage à l’honneur national en exigeant le châtiment des responsables.
Pour régler le problème, le nouveau sultan Sidi Mohammed ben Abderrahmane, proclamé le 28 août à la mort de son père, dépêche à Tanger Hajj Mohamed Zebdi comme envoyé spécial aux côtés de Mohammed al-Khatib, sans résultat favorable.
L’Espagne refuse toute concession, exige la cession d’une portion du territoire en avant de l’ancienne frontière, avant d’officiellement déclarer la guerre, le 22 octobre 1859.
Cette «réaction belliciste» qui fit «l’union sacrée» selon les mots de Charles-André Julien, avait pour motif officiel de laver l’affront, lui valant par son outrance d’être assimilée à la célèbre affaire de l’éventail du régent d’Alger Hussein Dey.
«En réalité, explique pour sa part Daniel Eustache, cette intervention au Maroc fut décidée par le gouvernement espagnol de Leopoldo O’Donnell, qui cherchait des diversions en politique extérieure pour faire passer au second plan les désordres intérieurs provoqués par les carlistes et les républicains, distraire les militaires de la politique et éviter ainsi la révolution».
Cinquante mille hommes sont engagés, avec à leur tête les trois généraux les plus célèbres du moment, expliquent Marie-Claude Lupuyer et Carlos Serrano en précisant que «les moyens mis en œuvre indiquent une volonté de conquête». Un dessein appuyé par la presse et par l’opinion publique faisant valoir «l’honneur national, la tradition historique et la mission civilisatrice et religieuse de l’Espagne».
A Sebta, débarquent, dans un premier temps, 20.000 hommes, alors que, du côté marocain, avait pris position le premier contingent formé de 500 tireurs et de 100 cavaliers sous la direction du caïd Mamoun Zirari, contingent rejoint par près de 5.000 volontaires des tribus puis, quelques jours plus tard, par 5.500 membres de la troupe régulière commandés par Moulay Abbas, frère du sultan et général de ses armées.
Malgré les tentatives visant à arrêter la progression, les Marocains ne tardèrent pas à être submergés par le nombre, par le matériel et par l’organisation tactique des Espagnols qui avaient mis, dès le départ, les ports de Tétouan, de Tanger et de Larache en état de blocus, avant d’occuper Fnideq le 3 décembre, puis l’embouchure de l’Oued Martil à la mi-janvier pour arriver enfin aux portes de Tétouan.
Les renforts de 32.000 soldats et de 9.000 cavaliers arrivés sur les lieux, avec à leur tête le prince Moulay Ahmed, fils du sultan, en plus des combattants de la ville et des tribus mobilisés à l’appel de la guerre sainte, ne parvinrent pas à renverser la situation, ni à remporter la bataille décisive du 4 février 1860.
Le siège de Tétouan, étape ultime de l’expédition, est incontournable.
Une nuit d’épouvante est vécue par la population de la cité sur laquelle était concentrés quatorze mortiers pendant la nuit du samedi 4 février et toute la journée du dimanche, ainsi que le décrit Mohamed Daoud.
Le lundi matin, l’armée espagnole, divisée en deux groupes, était au cœur de la ville et son drapeau hissé sur le fort, salué par une salve de coups de canons.
S’y ajoutent, peu après, l’humiliation de voir les toponymes arabes effacés; le sanctuaire de Sidi Abd-Allah Beqqal se transformer en église sous le nom de « Nuestra Senoras de las victorias » ; les mosquées de la Kasbah et Jama’ al-Bacha, devenir des magasins; les mausolées et les zaouïas se muer en hospices pour les malades espagnols, voire en étables ou en toilettes publiques. En plus d’un ensemble d’autres vexations liées à l’occupation de la ville qui allait durer jusqu’au 2 mai 1862.
Les premiers pourparlers, ouverts dès le 11 février 1860, débouchent sur une impasse au vu des conditions draconiennes exigées par l’Espagne, contraignant la reprise des combats le 23 mars à Oued Ras, tandis que Larache et Asilah avait été bombardées successivement le 25 et le 26 février.
L’artillerie lourde ne laissant aucun répit aux troupes marocaines, les Espagnols poursuivent leur marche en direction de Tanger avant d’être arrêtés sur intervention de l’Angleterre.
La proposition de cessez-le-feu et le dialogue entre les belligérants aboutirent finalement au Traité de paix du 26 avril 1860.
Rédigé en seize articles, il stipulait, entre autres clauses, l’agrandissement des limites de Sebta et de Melilla, l’octroi d’un établissement de pêche dans le Sud comprenant le territoire de Santa Cruz de Mar Pequena, ancienne factorerie dont l’emplacement exact ne fait pas l’unanimité.
Sans parler des garanties de commerce; des privilèges judiciaires; et, surtout, du versement en quatre échéances de deux mois, d’une indemnité de guerre de 20.000 douros (soit 100 millions de francs or) en contrepartie de l’évacuation de Tétouan et de sa zone...
Cette «clause dramatique pour le Maroc, et sur laquelle les Espagnols se montrèrent intransigeants» assécha le Trésor public marocain à la première échéance, explique Daniel Eustache.
Un nouvel accord aboutit à l’engagement d’évacuer Tétouan en contrepartie du versement de la moitié de l’indemnité et à l’installation dans les ports d’agents espagnols pour «percevoir directement la moitié des 10% des droits de douane exigés à l’entrée des marchandises», tandis que le fameux emprunt anglais de 500.000 livres sterling est par ailleurs engagé, remboursable en vingt ans et garanti par les revenus de la douane.
Il va sans dire que, pour le Maroc, les conséquences de cette guerre et de son traité de «paix» furent désastreuses, contribuant à l’aggravation de la crise économique et sociale, entravant toute profonde réforme et ouvrant la porte à des appétits insatiables...
L’Espagne ne semble pas avoir tiré tous les bénéfices espérés d’une telle guerre, résumant la situation sous la formule «Una guerra granda, una paz chica» (Une grande guerre, une paix chiche), mais celle-ci n’en occupa pas moins une place importante dans l’imaginaire collectif, dans la culture et dans les arts.
Plusieurs rues et places en Espagne sont baptisées à la gloire de la bataille de Tétouan. Des reliefs en commémorent des scènes, notamment sur le fronton de l’église de San Joaquin aux Philippines, pendant que des peintres de renom lui ont consacré des toiles légendaires, à l’instar de Mariano Fortuny, alors chroniqueur de l’expédition militaire, dont l’œuvre est conservée au musée national d’Art de Catalogne à Barcelone; tout comme Salvador Dali avec sa touche extravagante et non moins réactionnaire.