Beaucoup sont en train de pleurer sincèrement Mohamed Bensaïd Aït Idder, disparu en début de semaine. L’homme politique était un zaïm comme on n’en fait plus. Et l’homme tout court était d’une simplicité et d’une droiture rares, très rares.
Qu’est-ce qu’un zaïm, me diriez-vous, et à quoi le reconnait-on? Ce n’est pas forcément celui qui harangue les foules, c’est plutôt celui qui n’a pas besoin de beaucoup parler pour se faire entendre. Dès qu’il entre dans une pièce, et avant même qu’il n’ouvre la bouche, tout le monde se tait.
D’autres illustres personnages étaient comme ça. Quand on les a vus une fois, on ne les oublie jamais. C’était le cas de M’hammed Boucetta, Abderrahmane Youssoufi ou Ali Yata, entre autres, qui avaient une vraie dimension d’hommes d’État. C’était le cas aussi, dans un autre genre, de personnages plus complexes comme Abdelkrim Khatib ou même Mahjoubi Aherdane.
Tous ces gens et bien d’autres sont partis et ne seront jamais remplacés. Ils n’étaient pas blancs comme neige, pas des saints, pas besoin. Mais ils avaient du charisme, une aura, ils représentaient quelque chose, ils étaient légitimes du fait de leurs combats passés et de ce poids historique, ce petit Maroc, qu’ils semblaient porter en eux en toutes circonstances.
Il ne viendrait d’ailleurs à personne l’idée de les remplacer. Mais comment et à quoi ça sert?
La force de ces hommes, au-delà de leurs qualités (et de leurs faiblesses) personnelles, c’est qu’ils incarnaient totalement leurs partis et leurs idées. Il y avait un très fort lien quasi organique, ils étaient «différenciés», reconnaissables entre mille, on les identifiait facilement. Et on s’identifiait à eux. Comme s’ils étaient des héros de cinéma.
On pouvait rejoindre leurs partis pour leurs beaux yeux ou presque: c’est-à-dire pour leurs idées, et pour ce quelque chose d’unique qu’ils incarnaient. Beaucoup de militants ont d’ailleurs rejoint l’action politique à cause ou grâce à ces hommes, et à quelques autres encore.
Ils ont tout connu, à commencer par la lutte pour l’indépendance. Ils avaient un halo de noblesse et d’intouchabilité qui les accompagnait. Mais voilà, ils sont tous partis. Il ne reste plus de zaïm. À l’exception, peut-être, d’un M’hammed Douiri (Istiqlal) bientôt centenaire…
La fin de la race des zaïms signifie la fin d’une époque et d’une certaine manière d’entrer en politique. L’immense majorité des Marocains d’aujourd’hui n’a pas connu la lutte pour l’indépendance. Ils ont connu, par contre, la lutte pour une existence digne, pour avoir droit de cité, pour ne pas se faire écraser.
Avant, beaucoup s’appuyaient sur la figure du zaïm, qui avait une sorte de procuration pour mener des combats à leur place, en leur nom. Il plaidait leur cause. Il était leur avocat et leur porte-parole, ou presque.
Le zaïm était un genre de père, il était le réceptacle de toutes les complaintes, c’est vers lui que se dirigeaient les projections, les procurations, les transferts.
Mais ce modèle si romantique et si spécial est révolu. Personne n’entrera plus en politique pour les «beaux yeux» d’un zaïm. Il n’y a d’ailleurs plus de zaïm. Et l’écrasante majorité des Marocains n’entre même plus en politique.
L’essentiel de l’action politique est désormais drainé vers d’autres canaux et d’autres véhicules, loin des formations politiques. Un jeune a plus de chance de percer et de faire entendre sa voix en «roucoulant» sur X (ex-Twitter) ou Facebook qu’en adhérant à un parti politique. C’est surtout cela qui a changé.