Qui a gagné? A priori, les droites européennes si l’on s’en tient aux décomptes laissant apparaître la progression du principal groupe du Parlement, le Parti populaire européen (183 élus, +13) et des deux groupes à sa droite, ECR gagnant 7 élus (76) et ID 9 sièges (59). Mais ils ne domineront pas un hémicycle de 720 élus, dans lequel, globalement, les groupes de gauche perdent des députés: un peu (4 pour les Socialistes et Démocrates qui passent à 135 élus), beaucoup (les Verts dégringolent à 53, soit -18 députés), ou pas du tout… puisque l’extrême gauche parvient à gagner deux sièges supplémentaires. Et si le centre s’effondre (79 députés), c’est surtout comme victime collatérale de la lourde défaite du parti présidentiel en France: 10 députés français sur les 23 perdus.
Pays par pays, précisément, les premières leçons de la dixième mandature tiennent au leadership de l’Allemagne, renforcé par son poids au sein d’un PPE fortifié et par la présidence du groupe, doublé de l’influence croissante de la Pologne -la victoire d’une Coalition civique menée par Donald Tusk fait de la délégation polonaise du PPE l’une des plus puissantes de l’hémicycle. L’Espagne revient à un équilibre entre droite et gauche conventionnelles quasi parfait, qui ne pourra que rassurer Bruxelles et Rabat. Il faudra assurément compter sur Giorgia Meloni, et le groupe conservateur que ses élus mèneront, pour imposer le débat et la poursuite des réformes des politiques migratoires; a fortiori si ECR héberge finalement les députés hongrois de Victor Orban. Quant à la France, elle inquiète ou rassure chaque autre État membre selon qu’il voit en la dissolution du Parlement français le risque d’une cohabitation politiquement incorrecte, dont les ministres viendraient faire turbuler le Conseil, ou le moment idoine pour avancer ses pions à Bruxelles pendant que les élites françaises se déchirent à Paris.
Dans la capitale européenne, les tractations avaient commencé avant que les résultats ne tombent, façon salle de bal de Visconti: «Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi». Les enjeux et le calendrier sont connus: nomination des Top Jobs cet été et validation des commissaires européens par les eurodéputés à la rentrée. Moins spectaculaire, mais nerf de la guerre parlementaire: la constitution définitive des groupes pour la rentrée officielle du PE le 16 juillet, puisque le poids de chacun d’eux déclenchera tout à la fois les budgets, le staff, le choix des présidences et bureaux des commissions thématiques, des délégations avec les pays tiers et des intergroupes, la main sur les rapports, et les temps de parole. S’il est prématuré de parier sur le nom du futur président PPE du Parlement, on sait qu’un savant équilibre entre les groupes du triangle de la raison (PPE, S&D et Renew) rendrait la présidence du Conseil européen aux socialistes (circule le nom du Portugais António Costa) et offrirait le poste de Haut Représentant à Renew (a priori d’un État balte, rompant avec le profil méditerranéen des prédécesseurs).
Enfin, incroyable recette de la démocratie à la sauce bruxelloise, les chances d’Ursula Von der Leyen d’effectuer un second mandat demeurent intactes. Son parti est le plus puissant du Parlement, et elle est la candidate officielle autour de laquelle gravitent toutes les négociations. Aura-t-elle la majorité absolue au Parlement? Formellement soutenue par les trois groupes, sans faire le plein des voix dans aucun d’eux, elle reçoit ces derniers jours le soutien des Verts! «Nous sommes prêts à négocier et nous avons prouvé pendant les cinq dernières années que nous étions un groupe fiable (!), disposé à faire des compromis», a confirmé l’eurodéputée allemande Terry Reintke avant la réunion de rentrée des Verts. Avec des coalitions aussi souples idéologiquement, difficile d’émettre davantage de pronostics sur les politiques à venir…
Quant aux premiers enseignements post-électoraux pour la relation Maroc-UE, qu’il soit dit une fois pour toutes que le Parlement européen ne dispose que de pouvoirs très limités en matière de politique étrangère -celle-ci demeure principalement de la compétence des États membres. Sauf qu’il joue un rôle essentiel dans l’approbation des accords bilatéraux; que plus largement, les eurodéputés peuvent être influents dans l’orientation des débats politiques. Et que cette mandature n’échappera pas aux outrances d’une gauche radicale qui a le talent de faire oublier, à chaque élection, à son électorat Front populaire qu’elle est, en Europe, le dernier soutien du Front Polisario.