«Différents mais unis pour vous!», c’est le slogan adopté sur le visuel de la campagne de La République En Marche (LREM, parti fondé par Emmanuel Macron) pour le canton de Montpellier 1 aux départementales. Deux hommes, deux femmes, la parité est respectée, jusqu'ici tout va bien. A l’exception près que l’une des deux femmes, Sara Zemmahi, la candidate remplaçante, porte un voile.
Sous d’autres cieux, ça ne poserait absolument aucun problème, mais en France, où le débat sur la laïcité fait rage, le port du voile sur un visuel de campagne politique cristallise les tensions, jusqu’à éclipser tout le reste, à commencer par les compétences de la jeune femme en question.
Religion et politique, l’équation impossibleLoin de faire l’unanimité au sein de LREM, le visuel qui a été largement diffusé et commenté sur la Toile a été notamment partagé par le vice-président du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui y a vu une belle occasion de faire d’une pierre deux coups. «C’est cela la lutte contre le séparatisme Marlène Schiappa?» a ainsi tweeté ironiquement ce dernier.
Mais contre toute attente, en guise de clarification et de recadrage du débat, cette prise de position de l’extrême droite a été re-tweetée… par le délégué général de LREM, Stanislas Guerini.
«Les valeurs portées par LREM ne sont pas compatibles avec le port ostentatoire de signes religieux sur un document de campagne électorale», a-t-il ainsi déclaré avant d’avertir, «soit ces candidats changent leur photo, soit LREM leur retirera leur soutien». Retweeter l’extrême-droite pour exposer les valeurs de LREM… Plutôt maladroit comme démarche.
Mais malgré les critiques Guerini n’en démord pas et assume. Sur RTL, celui-ci a réaffirmé sa position en déclarant: «je dis les choses très clairement. Avec les instances dirigeantes du parti, je fixe une ligne politique. On ne remet pas en cause le droit. Mais la loi dit aussi que les mouvements politiques peuvent décider du soutien apporté à leurs candidats. Notre mouvement politique considère que les signes religieux n'ont pas leur place sur une affiche de campagne dans le cadre d'une campagne électorale». Et pour marquer le coup, le délégué général de LREM a annoncé que la candidate voilée ne serait pas soutenue par LREM et qu’elle se verrait retirer son investiture.
De son côté, après avoir été prise à partie, Marlène Schiappa, ministre chargée de la Citoyenneté, a à son tour retweeté les propos de Stanislas Guerini dont elle partage le point de vue avant de s’en expliquer à l’Assemblée Nationale.
La ministre a ainsi argué qu’en politique, les candidats doivent représenter tout le monde et de facto, ne pas afficher de signes religieux, la religion et sa pratique relevant de la sphère privée. Un principe fondamental de la laïcité selon la ministre, que soutient également Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, lequel a indiqué sur France Inter que LREM ne souhaitait pas «présenter un candidat avec un signe ostensible religieux».
Quant au président du groupe LREM, Christophe Castaner, celui-ci a tranché mardi matin en déclarant à l’Assemblée Nationale que «quand on est candidat au nom d'un parti politique, on est un candidat qui rassemble et qui ne doit jamais imposer son choix religieux».
Crise des valeurs au sein de la majoritéMais au sein de la majorité, tout le monde ne partage pas le même avis et certains condamnent cette prise de position et la mise à l’écart de la candidate Sara Zemmahi en raison de son voile y voyant une dangereuse récupération du discours de l'extrême-droite.
«L'extrême-droite ne doit pas dicter notre agenda politique, et encore moins les règles électorales. Aucun texte de loi n'interdit le port des signes religieux dans une campagne électorale ou lors d'un mandat», a ainsi déclaré mardi matin Cécile Rilhac, députée LREM du Val-d'Oise.
En effet, les textes de lois sont clairs et s'agissant des élus, l'Observatoire de la laïcité dans son guide "Laïcité et collectivités locales" publié en 2015 stipule que «si le principe de neutralité du service public fait obstacle à ce que des agents ou des salariés exécutant une mission de service public manifestent leurs croyances religieuses, ni la jurisprudence, ni la loi n'étend aux élus cette interdiction».
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Par ailleurs, rappelle BFM TV, dans une décision du 23 décembre 2010, la plus haute juridiction administrative avait estimé que «la circonstance qu'un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs». Ce même arrêt décrète aussi qu' «aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n'impose que soit exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l'occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses».
De son côté, Sacha Houlié, porte-parole du groupe LREM a déclaré à l’Assemblée Nationale être « en désaccord total avec ces propos tant sur le fond que la forme» car de son avis, « la légalité et la liberté de conscience prévalent. Les électeurs disposent».« Quant à relayer un cadre du FN, c'est injustifiable. Ce parti, leurs opinions, leurs dirigeants, je les combats», a-t-il condamné en jugeant que Stanislas Guerini devait présenter sa démission.
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«Manifestement, il nous manque une concertation militante ou un congrès sur le sujet, qui mettrait en place des débats et d’où découleraient des décisions prises collectivement», estime quant à elle la députée de l’Hérault, Coralie Dubost, dans une déclaration à l'Express, en disant par ailleurs considérer que «des femmes peuvent à la fois porter le voile et être engagées sur des idées progressistes».
LREM accusé de réduire à néant les chances pour tousDans les médias, le sujet a suscité un débat virulent et sur le plateau de l'émission Les grandes gueules, la chroniqueuse Isabelle Storra s'est montrée particulièrement virulente à l'encontre de la décision de ne pas soutenir la candidate en raison de son voile. Rappelant que l'un des messages forts d'Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017 était précisément «La France doit être une chance pour tous», Isabelle Saporta s'est indignée de la réaction de Stanislas Guérini. «Vous êtes voilée, je vous réduis au silence», c'est ainsi que la chroniqueuse a interprété l'éviction de la candidate LREM.
«Je suis laïcarde, je ne suis pas vraiment pro-voile mais je ne comprends pas ces polémiques incessantes en France dès qu'une femme est voilée. Je suis très content de voir que cette jeune femme a envie de s'engager. Je ne vois pas pourquoi ce voile serait une discrimination», a-t-elle aussi ajouté. «Cela veut dire que demain, toutes ces femmes qui veulent s'engager mais pour qui c'est important de porter le voile on leur dit: «restez chez vous, fermez vos gueules, laissez les barbus vous gouvernez et vous on ne veut pas vous entendre» a-t-elle poursuivit en concluant: «vous faites pire que ce que font les barbus en réduisant au silence une femme parce que voilée!»