Face à Jean-Jacques Bourdin, le ministre français de l’Intérieur n’y a pas été par quatre chemins pour expliquer la décision du gouvernement français de diminuer de moitié l’octroi des visas vers la France aux pays du Maghreb. Cette décision n’aurait ainsi pas été prise du jour au lendemain, argumente-t-il, annonçant suite à une question portant sur l’application de cette mesure, que quel que soit l’objet du voyage, «on va diminuer très fortement le nombre de visas, mais ce n’est pas une politique nouvelle. Le président de la République l’a déjà fait il y a deux ans et demi vis-à-vis de certains états du Maghreb. On donnait quelques centaines de milliers de visas en 2019. Il y a eu quelques dizaines de milliers de visas en 2020. Il faut dire qu’on a beaucoup baissé avec l’effet Covid, et là l’idée c’est de faire un visa sur deux (pour l’Algérie et le Maroc) et pour la Tunisie, un visa sur trois».
Un total de visas qui avoisinerait donc les 31.000 pour les six prochains mois, dénombre le journaliste. «On va le faire au cas par cas. Ça dépend aussi de la relation qu’on aura avec ces pays», précise Gérald Darmanin.
Les raisons de cette mesure restrictivePour justifier cette annonce, tombée comme un couperet le 28 septembre, le ministre français de l’Intérieur explique ainsi qu'«on le fait parce qu’une partie des compatriotes algériens, marocains, tunisiens qui sont sur le sol français ne sont plus acceptés par ces pays. Soit parce que ce sont des personnes qui sont islamistes radicaux, soit parce qu’ils sont délinquants, soit parce qu’ils doivent partir tout simplement du territoire national». Et d’ajouter à l’adresse du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, «nous on leur dit, tant que vous ne reprenez pas vos compatriotes, et bien on n’accepte pas vos compatriotes».
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Interpellé sur la durée de cette mesure, Darmanin balaie d’un revers de main la période de six mois avancée par son interlocuteur, et reste évasif, «on verra bien».
Une décision de longue date, sans rapport avec la présidentielleRéfutant tout rapport avec le calendrier des élections présidentielles et la place importante qu’occupe la question migratoire dans les arguments avancés par les différents candidats, Darmanin explique ainsi que la réflexion autour de cette mesure dure depuis plusieurs mois.
«Il y a déjà plus d’un an, le président de la République a présidé une réunion, j’y étais, je peux en témoigner, avec le ministre des Affaires étrangères avec lequel je travaille main dans la main, pour réduire le nombre de visas. Ça fait des mois que nous mettons en place un certain nombre de dispositifs qui permettent de faire repartir de notre sol certains des compatriotes d’Algérie, de Tunisie et du Maroc. Simplement, à la faveur sans doute de gens qui nous aiment bien, cette information est sortie, dont acte, nous n’avons rien à cacher, nous n’avons pas attendu les débats politiques pour le faire», se défend-il.
La pandémie du Covid, responsable du ralentissement des expulsionsReproché au Maroc, à l’Algérie et à la Tunisie, le faible nombre de laissez-passer délivrés à leurs ressortissants sujets à expulsion du territoire français.
Chiffres à l’appui, Jean-Jacques Bourdin cite ainsi «7731 obligations de quitter le territoire pour des Algériens sans papiers, 22 expulsions effectives pendant la période de janvier à juillet. Pour les Marocains, 3301 obligations de quitter le territoire, 80 exécutées. Et pour les Tunisiens 3424, et 131 exécutions». Soit un total de 0,3% d’exécutions d’expulsion du territoire.
Un chiffre comparé à l’objectif annoncé par Emmanuel Macron en 2019, selon lequel 100% des obligations de quitter le territoire français, en situation irrégulière, seront exécutées avant la fin du quinquennat.
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«Il est évident que la situation actuelle est inacceptable», réagit Gérald Darmanin face à constat, en invitant toutefois à remettre les choses dans leur contexte, à savoir celui de la pandémie du Covid-19. «Quand Monsieur le Président de la République a dit que 100% des reconduites aux frontières doivent être exécutées, il avait raison, mais c’était avant le Covid».
Et de rappeler que «pendant le Covid, on ne pouvait plus sortir de chez soi, on ne pouvait plus prendre d’avion parce qu’il n’y avait plus d’avion, il faut faire des tests PCR y compris au départ, et il suffit que la personne refuse le test PCR pour qu’on ne puisse pas l’expulser».
«C’est partout pareil!», justifie-t-il en citant l’exemple de l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, les Etats-Unis ou encore le Mexique, autant de pays qui «se sont pris en pleine face le 33 tonnes du Covid»… «Ça change la donne!», ajoute-t-il.
Retour vers le passé, en 2018Et Darmanin de concevoir toutefois que «le Covid s’amenuise. Les vols reprennent», et que cela étant, «nous avons désormais des relations plus différentes avec les pays et nous devons reprendre ce qui se passait en 2018 notamment. C’est très important».
Or, et c’est là où le bât blesse selon le ministre français de l’Intérieur, «on voit que là, les Etats maghrébins ne veulent pas revenir à ce qui se passait avant la crise du Covid. C’est pour ça qu’on hausse le ton, ou en tout cas qu’on leur dit qu’on ne peut pas continuer comme ça. Donc les chiffres que vous évoquez sont vrais mais simplement ils n’ont rien à voir avec la situation d’avant Covid».
Une crise réduite à une crispation naturelle entre paysInterpellé sur le mécontentement du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie suite à cette annonce, Gérald Darmanin a tenté de faire retomber le soufflé en minimisant les tensions actuelles. «Mais ils protestent là, ils ne sont pas contents!», lance ainsi Jean-Jacques Bourdin à l’adresse de son invité.
«Oui, mais ce sont des relations qu’on a entre nous, c’est des pays pour lesquels nous avons beaucoup d’amitié», rétorque Gérald Darmanin.
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«Et puis nous avons besoin d’eux pour lutter contre le terrorisme notamment», relève le journaliste. «Et eux ils ont besoin de nous. Nous avons une mer ensemble qui est la Méditerranée, on doit travailler ensemble. J’ai mes homologues régulièrement au téléphone, il n’y a pas de problème sur ce sujet. C’est une crispation qu’il y a entre les pays, et qui est naturelle dans la vie des pays», tempère Darmanin.
Un problème franco-français, principal obstacle aux expulsionsBien que ce soit une prétendue mauvaise volonté des trois pays maghrébins à délivrer des laissez-passer à ses ressortissants qui ait été avancée pour justifier la mesure de diminution d’octroi des visas, Gérald Darmanin annonce in fine que «ce n’est pas parce qu’on se sera mis d’accord avec eux que demain, 100% des expulsions du territoire se feront».
Une nouvelle version qui ne manque pas de surprendre et qui s’explique à la lumière des propos de Darmanin par un problème franco-français. Présentant cette «deuxième difficulté», celui-ci s’appuie ainsi sur un exemple d’actualité, celui de l’Afghanistan et de ses migrants. «Entre le moment où le président de la République s’est prononcé et la situation d’aujourd’hui, il n’y a par exemple plus d’expulsion possible vers l’Afghanistan. Or, nous avons des gens que nous voulons expulser qui sont Afghans et qu’on ne va pas renvoyer au régime des talibans». Citant en exemple le précédent régime socialiste qui gouvernait en france, «on ne renvoyait pas en Syrie des gens qui étaient Syriens».
Puis, en venant au véritable nœud du problème, Gérald Darmanin évoque ce qu’il qualifie de «difficulté principale»: le système juridique français.
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«On a un système juridique qui fait qu’on peut attendre entre un an et demi et deux ans avant la confirmation d’un tribunal de la décision prise par le gouvernement. Je vous mets un arrêté de reconduite à la frontière, vous avez le droit, et ce même si j’ai le laisser-passer du pays d’où vous venez, d’aller devant le tribunal administratif. Vous avez (aussi) le droit d’aller en appel, (…) en convention européenne des droits de l’homme, (…) de faire attendre le gouvernement français un an, un an et demi, deux ans. Et vous avez le droit de jouer avec les frontières européennes et de faire la même chose en Allemagne ou en Italie!», s’insurge le ministre de l’Intérieur.
«Ça ne va pas. C’est trop long», s’exclame Darmanin qui avance qu’aujourd’hui, «plus de 50% de l’activité des tribunaux administratifs (est consacrée au) droit des étrangers», et annonce travailler à la simplification de ce process.
Une mesure française bientôt élargie à l’Europe?Autre problématique exposée par Darmanin, celle de l’application de la mesure des expulsions du territoire français dans une Europe divisée quant au traitement de la question migratoire. Un écueil qui sera toutefois soulevé et peut-être solutionné d’ici peu, avec la présidence française de l’Union européenne. C’est du moins ce qu’entrevoit le ministre français de l’Intérieur.
«On va présider l’Union européenne dans deux mois», rappelle-t-il. Une bonne occasion pour imposer une mesure, «une seule demande d’asile pour toute l’Europe», en espérant que le prochain gouvernement allemand se rallie à cette cause française. Et pour justifier cette potentielle future mesure européenne, Darmanin préconise un visa commun et un partage des informations entre pays européens, appelés à faire bloc et à appliquer la même politique migratoire.
«Nous devrions avoir la même politique de visas en Europe vis-à-vis des autres Etats. Parce que sinon, ils se jouent de nos différences. Il peut se passer que les Algériens passent par l’Espagne pour avoir des visas d’Europe. Donc nous devons absolument répondre ‘Europe’ quand d’autres veulent répondre nationaliste», poursuit-il.
Le profil des étrangers concernés par les expulsions Invité à fournir le détail du nombre d’expulsions en cours du territoire français, Gérald Darmanin a également livré le profil type des candidats à cette mesure. Il s’agit ainsi des personnes soupçonnées de radicalisation mais aussi «les délinquants, les personnes condamnées pour des actes de viols, de meurtres, de trafic de drogue, de violences conjugales», énumère le ministre de l’Intérieur.
Evoquant le cas des fichés S, Darmanin admet là aussi un autre problème, encore une fois symptomatique de gestion de l’administration française. «Ce qui existe aujourd’hui, c’est les fiches S qui ne sont pas clôturées, les gens qu’on continue de suivre et il y a aujourd’hui 500 étrangers dans cette situation en France, dont 196 qui ont déjà été expulsés depuis les trois derniers mois».
Quid des autres fichés S? Ils sont, selon Darmanin, «soit en prison, soit en hôpital psychiatrique, soit dans les centres de détention administrative en attendant d’être expulsés, d’où notre relation avec les Etats (maghrébins); soit ils sont devant un tribunal et ils attendent leur recours», explique-t-il. Autrement dit, poursuit-il, «toute personne qui est fichée S et qui est étrangère a vocation à quitter le territoire national une fois qu’elle a épuisé ses recours, une fois qu’elle a terminé (sa peine) de prison».
S’agissant des autres étrangers délinquants, mais sans pour autant être fichés S, «la très grande partie de ceux qui attendent encore d’être expulsés sont en prison. On les expulse à la fin de leur peine de prison», explique Darmanin, en disant qu'il voit se profiler la difficulté à expulser les 1100 personnes concernées, parmi lesquelles de nombreux Algériens, des Marocains et des Tunisiens, ceux-ci «donnant plus de mal» à la France à être expulsés que les ressortissants d’autres pays.
«C’est un fait, c’est ce que je constate, d’où également la position évoquée: on ne donnera pas de visa tant qu’on n’aura pas les laisser-passer aux consulats de ces pays. C’est normal. Si un Français, et il y en a, tue, viole, tape sa femme, en Algérie, en Chine, nous le récupérerions à la fin de sa peine de prison. C’est normal, c’est un citoyen français. Après nous le suivrons. Les autres pays doivent faire pareil que ce que nous faisons».