En 1994, et alors qu’il n'était encore que colonel, Saïd Chengriha, actuel chef d’état-major de l’armée algérienne, a commis un crime, de sang-froid, devant ses hommes. Il a sans raison exécuté un homme, un civil désarmé, d’une balle dans la tête. Ce crime a été décrit par l’un des témoins oculaires de la scène, un officier qui servait sous les ordres de Chengriha et qui a pris part à une patrouille, composée de 5 véhicules tout-terrain.
Le crime de Chengriha a été rapporté par l’ancien officier parachutiste, Habib Souaidia, actuellement exilé en France, dans son livre, publié en 2001, «La sale guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne». La date de parution du livre est très importante, parce qu’en 2001, rien ne destinait Saïd Chengriha à occuper le poste de chef d’état-major, dans lequel il a été catapulté à la fin du mois de décembre 2019, suite au décès surprise de Ahmed Gaïd Salah. Ce qui rend d’autant plus crédible le témoignage de Souaidia.
L’extrait du livre de Souaidia, relatif au crime de Chengriha, a été déterré par le journaliste algérien Hichem Aboud, exilé en France, dans une vidéo qu’il a postée sur sa chaîne Youtube le 30 août 2021.
Habib Souaidia, jeune officier parachutiste de l’armée algérienne (et qui était âgé de 25 ans à l’époque), a été en effet le témoin direct de plusieurs scènes macabres de la lutte «antiterroriste» durant la décennie noire, consécutive au coup d’Etat contre le processus démocratique engagé en 1991 en Algérie et qui avait donné la victoire aux islamistes du Front islamique du salut.
Dans son livre-témoignage, Habib Souaidia écrit ainsi qu'«un certain soir du mois de juin 1994, j’ai reçu l’ordre de notre chef, le colonel Chengriha, en vue de l’accompagner, avec l’unité que je commande, dans une patrouille nocturne à travers les rues de Lakhdaria [une commune relevant de la wilaya de Bouira, en Kabylie, Ndlr]. En général, nos hauts gradés, dont Chengriha, sont peureux et n’acceptent jamais de s’exposer en première ligne. Ils gagnent beaucoup d’argent, mais donnent en toute sécurité des ordres, et nous, sous-payés, sous sommes exposés à la mort. Dans une patrouille composée de cinq 4x4 Toyota tout-terrain, et après seulement une demi-heure du début de notre virée, nous croisons un homme, sorti de chez lui après le couvre-feu imposé à partir de minuit. Etant en tête de la patrouille, je le pris en joue avec ma Kalachnikov, tout en le sommant de lever les bras. L’homme était en fait sorti pour chercher des allumettes, selon ses dires.
C’est alors que Chengriha descendit de sa voiture et m’ordonna de procéder à la perquisition du domicile du monsieur. Mais aussitôt entré dans ledit domicile de ce dernier avec cinq hommes de mon unité, un coup de feu éclata. Je me précipitais vers la rue. L’homme gisait dans une mare de sang. Le colonel (Chengriha) lui avait tiré, à bout portant, une balle dans la tête. A ma question de savoir, si l’homme a tenté de fuir, Chengriha me répondit qu’ils sont tous des terroristes. A une autre question de savoir s’il faut appeler une ambulance, Chengriha répliqua par un non catégorique, tout en nous donnant l’ordre de nous barrer immédiatement» (pp. 127-128).
Et l’auteur d’ajouter: «lors des vingt-sept mois que j’ai passés à Lakhdaria, j’ai été le témoin direct d’assassinats de ce type au moins une quinzaine de fois. Ceux qui pratiquaient ces exécutions étaient aussi bien des hommes de notre garnison que des officiers venus d’Alger».
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En 1994 donc, et en pleine Kabylie, Chengriha a exécuté froidement et sans raison un civil désarmé. Il n’a jamais démenti les faits rapportés en 2001 par son subalterne Habib Souaidia.
Seul un officier sans morale et sans honneur peut tirer froidement sur un homme désarmé. Et c’est ce même gradé, entaché par un crime qui déshonore toute l’armée, qui dirige aujourd’hui la junte militaire au pouvoir en Algérie.
Deux autres généraux, aux mains tout aussi entachées de sang pendant la décennie noire, composent avec Chengriha le triumvirat qui dirige aujourd’hui l’Algérie: Khalid Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufik. Tous trois dirigent l’Algérie de 2021, avec les recettes qu’ils ont appliquées pendant les années 90. Respectivement âgés de 76 ans, 82 ans et 84 ans, Chengriha, Toufik et Nezzar sont dépassés par les mutations du monde actuel et freinent l’essor de l’Algérie. La place de ces trois criminels de guerre n’est pas au gouvernail d’un pays, mais dans une cellule de prison.