L’actuelle guerre civile soudanaise oppose en réalité les Nubiens sédentarisés le long du Nil et qui contrôlent l’armée, aux Bédouins présumés «arabes» nomadisant dans les steppes et les déserts de l’Ouest. Or, à l’intérieur de cette guerre, nous assistons à la reprise du conflit séculaire qui, dans l’ouest du Soudan, au Darfour, oppose des nomades éleveurs présumés «arabes» à des sédentaires agriculteurs négro-africains. Les actuels massacres se déroulent dans cette région du Darfour où, à partir de 2003, pour le compte du pouvoir central alors dirigé par Omar Hassan el-Béchir, les milices «arabes» janjawid (cavaliers), menèrent une terrible guerre.
Darfour signifie «Pays des Fur» du nom de la principale ethnie non «arabe» de la région. Le Darfour constitue la partie occidentale du Soudan du Nord. Sa population est estimée à plus de 5 millions d’habitants, mais aucune étude sérieuse n’ayant été faite, rien ne permet de l’affirmer. Cette région est formée par la juxtaposition de la steppe sahélienne dans laquelle vivent traditionnellement des éleveurs nomades «blancs» et une zone à forts noyaux d’agro pasteurs noirs occupant les hauteurs.
Le conflit qui dura de 2003 à 2020 aurait fait 300.000 morts et provoqué plusieurs millions de déplacés, ce qui valut à Omar Hassan el-Béchir des poursuites de la Cour pénale internationale pour «génocide» et «crimes de guerre». L’ONU ayant alors qualifié la situation de «catastrophe humanitaire», de 2007 à 2020 fut déployée la mission conjointe ONU-Union africaine (MINUAD). Puis, en 2020 fut signé un accord de paix qui ne mit pas fin aux combats.
Plusieurs guerres sont donc imbriquées dans l’actuel conflit soudanais et elles ont deux grandes caractéristiques.
-Ce sont tout à la fois des conflits ethniques et raciaux qui opposent des peuples négro-africains sédentaires à des tribus nomades qui se considèrent comme «arabes» et «blanches».
-Les tensions régionales entre agriculteurs noirs et éleveurs «arabes» y ont été exacerbées par la désertification, la baisse des ressources en eau et l’appauvrissement des pâturages.
«En 2025, la dette nationale est colossale, les pénuries apocalyptiques et, pour ne rien arranger, le poumon du pays qui est Port-Soudan sur la mer Rouge, et qui est relié à Khartoum par une voie ferrée, véritable artère vitale du pays, est régulièrement bloqué par l’insurrection de l’ethnie des Bedja qui vit dans son arrière-pays.»
— Bernard Lugan
Alors que les braises du conflit du Darfour étaient encore incandescentes, en 2010-2011, une vague de contestation secoua le Soudan dans le contexte des «Printemps arabes». L’ancien chef janjawid Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», un «arabe» Rizeigat fondateur de la FSR (Force de soutien rapide), un groupe paramilitaire composé de janjawid, la réprima pour le compte du régime d’Omar Hassan el-Béchir. Les FSR prirent ensuite un rang essentiel au sein de l’appareil sécuritaire, à telle enseigne que Omar Hassan el-Béchir en fit sa garde rapprochée. En échange, il laissa ses membres prendre notamment le contrôle des mines d’or du pays.
Puis, en 2019, alors qu’il s’apprêtait à fêter ses trois décennies de pouvoir et à briguer un nouveau mandat présidentiel, la contestation se transforma en révolution. Au mois d’août 2019, l’armée accepta le départ de Omar Hassan el-Béchir tout en demeurant maîtresse du jeu à travers la création d’un Conseil de Souveraineté présidé par le général Abdel Fattah al-Burhane, et d’un gouvernement de transition composé pour moitié de militaires et de civils, présidé par Abdallah Hamdok. Puis, dans la nuit du 24 au 25 octobre 2021, jugeant le moment favorable, le général Abdel Fattah al-Burhane prit un pouvoir qu’il exerçait déjà largement à travers le Conseil de Souveraineté. À la suite de ce coup d’État, de fortes manifestations de protestation secouèrent Khartoum et les FSR jouèrent alors une fois de plus un rôle essentiel dans leur féroce répression.
Le 15 avril 2023, éclata l’actuelle guerre civile entre le numéro deux du régime, Mohamed Hamdane Daglo, dit «Hemedti», chef des Forces de soutien rapide (FSR), et l’armée régulière fidèle au général Abdel Fattah al-Burhane, au pouvoir depuis le coup d’État d’octobre 2021. La cause immédiate du conflit soudanais était que l’armée avait décidé d’intégrer les FSR en son sein, ce que le chef de ces dernières refusait, voulant tout au contraire s’affranchir de l’institution militaire. Résultat, le général al-Burhane décréta la dissolution des FSR, désormais considérées comme rebelles.
Soutenus par les Émirats arabes unis, les FSR furent alors proches de l’emporter. Mais, grâce à l’aide de l’Égypte, l’armée soudanaise les repoussa hors de la vallée du Nil vers leur bastion du Darfour où seule la ville d’El-Fasher échappait à leur pouvoir. Au mois d’octobre 2025, après plusieurs mois de siège, la ville fut prise et c’est là que les FSR se livrèrent à des massacres généralisés.
Cette juxtaposition de conflits déchire un pays ruiné et en faillite depuis que l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 l’a privé d’environ 75% de ses recettes pétrolières. Avant la partition, le Soudan uni produisait en effet 470.000 barils/jour dont les ¾ dans l’actuel Soudan du Sud. En 2025, la dette nationale est colossale, les pénuries apocalyptiques et, pour ne rien arranger, le poumon du pays qui est Port-Soudan sur la mer Rouge, et qui est relié à Khartoum par une voie ferrée, véritable artère vitale du pays, est régulièrement bloqué par l’insurrection de l’ethnie des Bedja qui vit dans son arrière-pays. Comme le Soudan a des frontières avec deux pays extrêmement fragiles et instables que sont le Tchad et la Libye, cette double conflictualité pourrait y réveiller plusieurs conflits dormants.





