Salim Djellab, faux élu français et vrai propagandiste du Polisario: itinéraire d’un agent d’influence ordinaire

Le franco-algérien Salim Djellab, élu municipal à Roanne depuis 2020.

PortraitCe conseiller municipal franco-algérien sans envergure planté dans la Loire, se découvre brusquement il y a deux ans une vocation internationale: défendre le Polisario depuis son fauteuil de Renaison. Il fonde le Comité Action Sahara Occidental (CASO) et se met à livrer un combat obsessionnel pour la «cause» sahraouie en France. Jusqu’à faire de sa chute un spectacle permanent.

Le 16/08/2025 à 11h33

C’est en 2023 que Salim Djellab, jusque-là ombre anodine des assemblées municipales de la Loire, fait son apparition dans le débat public. Un surgissement à la fois brutal et dérisoire. Cet élu de second rang, dont le nom n’avait jamais franchi les ruelles tranquilles de Renaison, se proclame soudain porte-étendard du Polisario. Sur sa biographie X, il s’enveloppe de hashtags qui claquent: #FreeSaharaOccidental, #Polisario, #Autodétermination. La métamorphose est si soudaine qu’elle en devient presque comique, comme si l’homme s’était découvert du jour au lendemain une mission planétaire.

À partir de là, Djellab se met à occuper l’espace numérique avec une frénésie suspecte. Chaque jour, il déverse une logorrhée militante dénonçant «l’occupation marocaine», accuse le président Emmanuel Macron de duplicité, cite les communiqués du Polisario avec la gravité d’un fonctionnaire lisant un Bulletin officiel. Ses publications, répétitives, obsessionnelles, construisent une rhétorique antifrançaise assumée: la France y est toujours complice, traîtresse, instrumentalisée par Rabat. Il organise même, chaque semaine, un Twitter Space baptisé Sahara occidental Hebdo, où il invite membres du Polisario et agents d’influence à s’exprimer depuis les camps de Tindouf, sanctuaires du terrorisme sous tutelle algérienne. L’excès tourne parfois au ridicule: il va jusqu’à écrire à National Geographic, à ses heures perdues, pour contester l’utilisation d’une carte marocaine avec le Sahara dans un documentaire.

En avril 2025, Djellab franchit un nouveau palier: il fonde le Comité Action Sahara occidental – le CASO. Une structure qui, dit-il, doit «défendre l’autodétermination» et «poursuivre en justice les entreprises complices» investissant dans le Sahara marocain. Vaste programme, surtout lorsqu’il est porté par un simple élu municipal dont les compétences se limitent, en théorie, à la voirie ou aux fêtes de quartier. Mais ce décalage même illustre l’opportunisme du personnage prêt à se fabriquer une stature internationale.

Dès lors, le masque tombe. L’énigmatique monsieur Djellab se transforme en activiste à plein temps, publiant des tribunes sur Mediapart, intervenant avec insistance dans les médias algériens (Ifrikya FM, Le Matin d’Algérie, TSA, etc.), recyclant le discours officiel d’Alger avec un zèle de petit télégraphiste. On le voit, semaine après semaine, endosser le rôle de «conscience française» du Sahara occidental, se poser en justicier solitaire d’une cause qui ne concerne ni ses électeurs ni la ville qui l’a élu. Dans cette agitation, il n’est plus question de mandat municipal: Roanne disparaît, Renaison s’efface, il n’y a plus que le Polisario et la croisade contre Rabat. Mais qui se cache derrière l’élu devenu rapidement le propagandiste d’Alger le plus actif en France, et un agent d’influence notoire?

Les vies d’avant: bac pro, petits boulots et parachutage politique

Il se présente comme «Français d’origine algérienne». Mais les contours mêmes de sa biographie demeurent flous, volontairement brouillés. Aucune certitude sur son lieu de naissance, pas une photo d’enfance. Né possiblement en Algérie dans les années 1970, il apparaît en France très tôt, dans la Loire, à cinq ans, on le retrouve sur les bancs de l’école des Tuileries, à Mably.

Le parcours scolaire ne brille pas: il est plutôt orienté vers un lycée professionnel. Bac pro en poche, il s’accroche à une maîtrise de droit, arrachée au forceps en 1999, à l’âge de vingt-neuf ans. Mais aucun cabinet ne veut de lui. L’échec est cuisant. Faute de barreau, il s’improvise web designer, monte une petite échoppe de sites «clé en main»: l’entreprise ferme sans gloire après trois ans.

En 2003, il trouve un poste de commercial chez LexisNexis. Il vend des logiciels juridiques, gravit laborieusement les échelons jusqu’à être aujourd’hui «chef d’équipe» après dix-sept années de devis. Son CV est un couloir long et terne. Rien ne le prédispose à cette époque à la politique où il va tenter sa chance, et jusque-là il s’en fout royalement du Polisario et de l’Algérie.

La mue survient tard, en 2020, lorsque Djellab se lance dans les municipales sous l’étiquette PS. Il décroche un siège de conseiller municipal. Mais la fidélité n’est pas sa vertu: dès 2021, il claque la porte du parti et se vend au camp macroniste, devenant directeur de campagne de la députée sortante Nathalie Sarles. Le pari tourne court: Sarles échoue à se faire réélire, et Renaissance ne cherche pas à le garder.

Alors, il revient, penaud, au PS en avril 2024. Retour de l’enfant prodigue? Pas vraiment: ses camarades socialistes l’accueillent du bout des lèvres. À peine s’il parvient à décrocher une carte du parti. Son opportunisme est connu, sa réputation déjà ternie. Dans les réunions communales consacrées à des questions aussi prosaïques que la réfection d’une chaussée ou l’éclairage public, il insère des tirades sur le Sahara occidental, évoque le Polisario, dénonce «la complicité» du président Macron. L’obsession prend le pas sur le reste.

Son CV, lui aussi, change de peau. Il se pare d’un nouveau vernis identitaire: il met en avant désormais son appartenance à l’Algérie, rajoute les fameux hashtags pro-Polisario, oubliant ses électeurs et sa vie française, et commence à construire son mythe personnel.

Mémoire instrumentalisée, biographie truquée

Peu à peu, Salim Djellab réécrit sa vie comme d’autres fabriquent une légende. Des pans entiers disparaissent, d’autres s’inventent. Ses origines se parent d’une gloire héroïque, à l’algérienne: il se proclame désormais fils de Moudjahid et de Moudjahida. Sa mère, assure-t-il, aurait aussi combattu les paras français dans les ruelles d’Alger, héroïne anonyme de la Bataille d’Alger. Son père, lui, aux galons invisibles, serait tombé en martyr silencieux d’une guerre que nul ne peut vérifier dans cette fraiche biographie. En deux ans, Djellab s’est forgé un lignage de résistants, convoquant même l’OAS pour prétendre que sa famille y aurait tenu tête, et qu’il incarne aujourd’hui, une génération plus tard, la même lutte — transposée cette fois sur le sol français, face à Marine Le Pen.

Mais rien ne vient étayer ce récit. Pas un document, pas une photo, pas un témoignage. Rien qu’une suite d’assertions, enchâssées dans le grand fromage mémoriel algérien où chacun s’improvise descendant de combattants. Le mythe se suffit à lui-même, et Djellab s’y accroche comme à une armure identitaire.

Le grotesque affleure parfois: sur X, il parle à son père mort. Il lui adresse des messages dans sa tombe française, promettant — à cinquante-cinq ans passés — de ne pas oublier «la mission importante» que lui aurait confiée son paternel. À sa mère disparue, il parle aussi, l’apostrophant dans ces étranges live avec les défunts. Ces missives morbides participent d’un rituel lugubre qui n’a rien de spontané: c’est la mémoire familiale transformée en instrument politique. Djellab joue avec ses fantômes comme d’autres trichent au poker, s’octroyant des héritages héroïques attendrissants.

Cette réécriture de soi n’est pas innocente. À mesure que son mythe s’étoffe, ses liens avec Alger se resserrent. Le paumé d’hier s’invente un destin. Chaque 5 juillet, il parade désormais à Roanne pour commémorer l’indépendance algérienne, brandissant des slogans tels que «L’Algérie a écrasé le colonialisme» ou «La France doit reconnaître ses crimes coloniaux». À ces cérémonies locales qu’il transforme en tribunes idéologiques, il associe systématiquement le Sahara et la Palestine, convoquant tous les symboles de la victimisation.

La promotion CASO

D’où viennent à l’élu municipal les fonds pour ériger une sorte de boîte juridique personnelle, le Comité Action Sahara occidental (CASO), dont l’objectif affiché serait de traîner devant les tribunaux, à coups de procédures ruineuses, des entreprises comme Ryanair ou Transavia France, coupables à ses yeux d’opérer avec le feu vert du Maroc dans le Sahara? Djellab, qui peine à exister politiquement, s’invente ainsi un rôle de procureur international. Pour l’heure, l’homme communique sur des sociétés connues en Europe, mais il devra affronter des mastodontes de l’économie mondiale — flottilles de pêche japonaise, chinoise ou irlandaise, géants de l’hydrogène vert, groupes hôteliers planétaires. Même Elon Musk, via Starlink, négocie déjà pour déployer son réseau satellitaire dans la région.

La disproportion saute aux yeux. De propagandiste du Polisario, il rêve de convertir sa petite start-up clientéliste en une juridiction parallèle, un tribunal fantasmé capable de peser sur l’économie. On sait pourtant d’avance que CASO ne pourra rien contre ces mastodontes. Mais ce n’est pas l’efficacité qui compte: le vrai projet est ailleurs. CASO peut devenir une pompe à fric, un prétexte pour capter des fonds, probablement en provenance d’Alger. D’ailleurs, cet été, dans un entretien accordé à la télévision algérienne, Djellab a promis qu’il serait prêt, début 2026, à engager «des avocats de gabarit international» pour lancer les actions judiciaires. Le ton solennel ne masquait pas l’évidence: il vendait un rêve à ses bailleurs.

En attendant, il soigne sa mise en scène. Le hashtag #CASO a fait son apparition dans sa biographie X, signe de la nouvelle identité qu’il veut se forger. Il s’y accroche comme à une planche de salut, persuadé que cette promotion algérienne va le sauver financièrement. Dans ses illusions, il hallucine déjà des millions de dollars qui ruisselleraient sur sa croisade. Il sait aussi qu’Alger paie cher, à fonds perdu, pourvu qu’on crie fort et qu’on agite les bons slogans. Et c’est là tout l’art de Djellab: transformer une cause étrangère en plan de carrière personnel, convertir la propagande en business plan.

Le château de cartes

Depuis trois mois, une peur nouvelle lui mord les talons: l’épée de Damoclès d’un Terrorist Designation Act américain qui, s’il aboutissait, rebattrait toutes les cartes. Ajoutez à cela l’initiative de Trump, qui imprime une inflexion décisive au dossier, et l’édifice commence à vaciller. Djellab le sait: à la fin de l’année 2025, la réalité pourrait se charger de détruire ses rêves de prospérité financés par le CASO.

Sa vie privée, elle aussi, est une débâcle. L’amour de sa vie — une Marocaine — s’est enfui en le voyant tel qu’il était: un opportuniste prêt à instrumentaliser la haine du Maroc pour financer CASO. Reste un homme en ruine, accroché à une idéologie comme à une béquille, substituant au vide intérieur des contentieux, à l’absence de projet une armature idéologique, et à la Loire indifférente l’horizon fantasmatique de l’Algérie. Surveillé de près par les services français, il est devenu — paradoxe risible — le relais le plus actif du Polisario en France, voire en Europe, car il n’a pas d’équivalent ailleurs.

Dernier coup d’éclat: une plainte déposée contre la militante LFI Nina Simone, qu’il accuse de harcèlement après qu’elle a comparé la Shoah à l’expulsion des Marocains d’Algérie en 1975, et qualifié le Polisario de «groupe terroriste». Une bataille de chiffonniers, symptomatique de sa chute: il en est réduit à multiplier les petites bravoures — un thread rageur, une lettre envoyée à une rédaction, l’annonce bruyante d’un recours. Des mots jetés dans le vide. Autrefois, cela s’appelait parler tout seul.

Par Karim Serraj
Le 16/08/2025 à 11h33