Depuis le début de l’invasion russe, les États-Unis ne cessent d’être accusés par la Chine de jeter de l’huile sur le feu. Dès mars 2022, la propagande chinoise a largement repris les théories complotistes russes sur la présence sur le sol ukrainien de laboratoires américains de fabrication d’armes biochimiques, ainsi que les éléments de langage russe sur les provocations de l’OTAN qui rendraient légitimes les agissements russes.
Alors que les accusations à l’encontre de Washington et de l’«Occident» au sens large se multiplient, les relations Chine-Russie quant à elles, se consolident rapidement depuis un an. L’ambitieuse déclaration conjointe du 4 février 2022, signée en marge de la visite de Vladimir Poutine à Pékin pour l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver, n’a pas été remise en cause: loin de là.
«Le partenariat stratégique global de coordination Chine-Russie pour la nouvelle ère a gagné en maturité et en résilience», a déclaré Xi Jinping le 31 décembre, lors d’un échange à distance avec Vladimir Poutine. De fait, la coopération énergétique s’est fortement renforcée depuis le début de la guerre. La Russie est désormais, depuis mai 2022, le premier fournisseur de pétrole à la Chine. Et les exportations de gaz russe vers la Chine devraient augmenter progressivement dans les prochaines années.
En septembre dernier, en marge du sommet de l’organisation de coopération de Shanghai à Samarcande, le ministre russe de l’Energie a annoncé la construction d’un nouveau gazoduc «Force de Sibérie 2» entre la Russie et la Chine, qui devrait débuter en 2024 et s’achever en 2030; il permettrait ainsi à Moscou de réorienter ses livraisons de gaz vers l’Est.
Ce gazoduc devrait livrer 50 milliards de mètres 3 de gaz par an. Il s’ajoutera à celui déjà en fonction depuis 2019, «Force de Sibérie 1» qui devrait progressivement augmenter ses livraisons pour atteindre 20 milliards de mètres 3 chaque année. L’accord vient d’être signé lors de la visite de Xi Jinping à Moscou.
Par ailleurs, la Chine commence à payer le gaz russe en roubles et en yuans. Le géant gazier russe Gazprom a notamment signé, en septembre 2022, un accord pour commencer à convertir les paiements des livraisons de gaz à la Chine en monnaies locales, une façon de s’émanciper du dollar. Outre l’énergie, le commerce bilatéral a également augmenté dans d’autres secteurs. D’après les chiffres des douanes chinoises publiés mi-janvier, le volume total des échanges entre les deux pays a augmenté en 2022 de près de 30% sur un an, par rapport à 2021.
Si la Russie fournit principalement des ressources énergétiques à la Chine -près de 70% de ses exportations-; elle exporte également un volume croissant de produits agricoles vers elle. De son côté, la Chine exporte vers la Russie un volume croissant de produits technologiques, dont des semi-conducteurs, malgré les sanctions existantes.
En décembre, la Chine et la Russie ont conduit ensemble de nouvelles manœuvres navales en mer de Chine orientale, dans le prolongement des nombreux exercices militaires conjoints organisés au cours de la dernière décennie (en mers Méditerranée, baltique, de Chine méridionale ou encore en Sibérie).
Fin 2022, la diplomatie chinoise a lancé une offensive de séduction à destination de l’Union européenne et de plusieurs de ses États membres -offensive qui est toujours en cours-. La Chine s’est dite notamment prête à renforcer ses liens avec la France, tentant de capitaliser sur la rencontre entre le président chinois et son homologue français, lors du G20 de Bali.
Mais dès qu’il s’agit du dossier ukrainien, la position de la Chine reste identique (aucune condamnation de la Russie) et les divergences de vue majeures, jusque dans la caractérisation des faits (refus systématique de parler de «guerre» ou d’«invasion», la diplomatie parle à la place de «crise ukrainienne».
La diplomatie chinoise semble considérer qu’il est possible de restaurer la relation avec ses partenaires européens sans ajuster sa position vis-à-vis de la Russie, voire sans aborder le dossier ukrainien. Cette offensive de séduction peut apparaître non seulement illusoire mais aussi superficielle, vu les divergences de positions mais aussi de perceptions profondes.
En réalité, l’Union européenne et ses États membres, notamment ceux qui envoient des armes à Kiev, sont perçus à Pékin comme étant des «laquais des États-Unis», selon la rhétorique maoïste employée avec davantage de vigueur depuis quatre ans par la diplomatie chinoise.
La diplomatie européenne, pour sa part, semble considérer qu’elle est en mesure d’amener la Chine à ajuster sa position vis-à-vis de la Russie, compte tenu du poids des échanges UE-Chine, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Union européenne en 2020, devant les États-Unis. Lors de sa visite en Chine en décembre dernier, le président du Conseil européen, Charles Michel, avait exhorté Xi Jinping «d’user de son influence sur la Russie afin qu’elle respecte la Charte des Nations unies», comme les représentants de l’UE l’avaient déjà fait lors du sommet UE-Chine en avril 2022.
Un sommet qui s’était converti en «dialogue de sourds», selon l’expression utilisée par Josep Borrell, le Haut représentant de la Commission européenne pour les affaires extérieures et la politique de sécurité. Jusqu’à présent, le commerce n’a pas été en mesure d’adoucir les mœurs...
Lors de leur échange en ligne du 31 décembre 2022, Xi Jinping a déclaré à Vladimir Poutine que «La Chine est prête à se joindre à la Russie et à toutes les autres forces progressistes du monde qui s’opposent à l’hégémonisme et à la politique de puissance, à rejeter tout unilatéralisme, protectionnisme et intimidation (...)».
Et le président chinois pourrait se rendre à Moscou pour une visite d’État, en réponse à l’invitation que lui a adressée Vladimir Poutine en décembre. En parallèle, les tensions avec les États-Unis, l’ennemi commun, se renforcent chaque jour comme en témoigne l’annulation de la visite du chef de la diplomatie américaine en Chine il y a quelques jours.
Au cours de la dernière décennie, le rapprochement sino-russe a été sous- estimé: il a souvent été qualifié –à partir de 2014- de simple «mariage de raison» pragmatique et temporaire, trop déséquilibré pour durer. On évoque désormais la «vassalisation» économique de la Russie par la Chine, qui serait tout aussi intenable.
Parier sur les limites du rapprochement sino-russe est risqué. Prendre pleinement acte des antagonismes structurants et de la solidarité des autoritarismes ne suffit pas. C’est la fin du monde unipolaire et sa réarticulation en termes géopolitiques et économiques au détriment d’un certain Occident contesté et même délégitimé pas l’Eurasie et par le sud global.