Annoncé il y a deux ans par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak et présenté comme une mesure-phare de sa politique de lutte contre l’immigration irrégulière, le projet de loi permettant l’expulsion vers le Rwanda de demandeurs d’asile entrés illégalement au Royaume-Uni a été adopté par le Parlement dans la nuit de lundi à mardi.
Adossé à un nouveau traité entre Londres et Kigali, qui prévoit le versement de sommes substantielles au Rwanda en échange de l’accueil des migrants, le texte visait à répondre aux conclusions de la Cour suprême, qui avait jugé le projet initial illégal en novembre dernier.
La chambre des Lords, où les conservateurs n’ont pas la majorité, a retardé l’adoption définitive du texte en le renvoyant sans cesse à la chambre des Communes avec des amendements, lesquels étaient à leur tour systématiquement rejetés par les députés. Une manoeuvre dilatoire connue sous le nom de «ping pong parlementaire».
Les Lords ont notamment voulu exiger que le Rwanda ne soit pas considéré comme un pays sûr jusqu’à ce qu’un organisme de contrôle indépendant le dise. Ils souhaitaient également que les agents, les alliés et les employés du Royaume-Uni à l’étranger, y compris les Afghans qui ont combattu aux côtés des forces armées britanniques, soient exemptés d’expulsion.
Au final, la chambre haute, dont les membres ne sont pas élus, a décidé se plier à la volonté de la chambre des Communes désignée au suffrage universel, et a décidé de ne plus amender le texte, garantissant son entrée en vigueur.
Enjeu électoral
L’enjeu est surtout électoral pour le Premier ministre Rishi Sunak, au pouvoir depuis 18 mois, alors que les conservateurs sont donnés largement perdants des élections législatives qui se profilent. Il avait assuré que son gouvernement était «prêt» à expulser des demandeurs d’asile vers le Rwanda d’ici 10 à 12 semaines, une fois la loi adoptée.
Le gouvernement a mobilisé des centaines de personnels, notamment des juges, pour traiter rapidement les éventuels recours des migrants irréguliers, et débloqué 2.200 places en détention pour eux en attendant que leurs cas soient étudiés. Des «avions charter» ont été réservés, a ajouté M. Sunak, alors que le gouvernement a peiné à convaincre des compagnies aériennes de participer aux expulsions.
Critiques de l’ONU et de l’UE
Le projet de loi du gouvernement est fortement critiqué par l’opposition travailliste, des associations d’aides au migrants, le chef de l’Eglise anglicane et jusqu’à au Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Volker Türk, qui a estimé ce mardi que «cette nouvelle législation entrave sérieusement l’Etat de droit au Royaume-Uni et crée un précédent dangereux dans le monde».
La veille, les rapporteurs spéciaux auprès des Nations unies ont prévenu que les compagnies et autorités aériennes qui faciliteraient les vols concernés «pourraient être complices d’une violation des droits humains protégés au niveau international».
Le commissaire du Conseil de l’Europe pour les droits de l’homme, Michael O’Flaherty, a de son côté appelé mardi le gouvernement britannique à revenir sur ce texte. «Le gouvernement du Royaume-Uni doit s’abstenir d’expulser des gens aux termes de son plan Rwanda et revenir sur l’atteinte à l’indépendance de la justice que constitue ce projet de loi», a-t-il indiqué dans un communiqué.
«Aucune cour étrangère ne nous empêchera de faire décoller les avions», a insisté Rishi Sunak, répétant le mantra des conservateurs depuis que de premières expulsions vers le Rwanda avaient été bloquées par la justice européenne.
Après avoir atteint un record en 2022 (45.000), puis baissé en 2023 (près de 30.000), le nombre de personnes ayant traversé irrégulièrement la Manche à bord de canots de fortune a augmenté de plus de 20% depuis le début de l’année par rapport à l’an dernier.