Lundi dernier, et ce, malgré les vagues de protestations, le projet de loi géorgien sur les «agents étrangers» a été voté par le président du Parlement, pour contourner le veto présidentiel qui, quant à lui, s’est fait le prolongement des diktats de Washington et de Bruxelles.
Passée in extremis, cette loi obligera toutes les organisations recevant plus de 20% de leur financement de l’étranger à s’enregistrer comme «organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère». Car, en effet, quel pays financerait dans un autre pays des ONG à hauteur de 30 ou 40%, si ce n’est dans son propre intérêt? C’est ce qu’on appelle le soft power, sachant que la charité dans les relations internationales et en géopolitique est une chimère. Et tout pays souverain qui se respecte cherchera à tout prix à se protéger d’une telle influence étrangère.
Mais non, pour Washington et Bruxelles, cette loi, dite russe, est une loi liberticide et une attaque frontale contre la démocratie… On connaît tous la chanson.
Or, le fait est que cette loi est non seulement pas russe, mais américaine! Son nom est «Foreign Agents Registration Act (FARA)», soit la loi américaine sur l’enregistrement des agents étrangers. Et contrairement à la loi géorgienne, dont la portée n’est effective qu’à partir d’un financement étranger supérieur à 20%, la loi américaine exige la divulgation périodique de toutes les activités et de tous les financements, même à 1%, de toutes les personnes ou organisations représentant les intérêts d’un gouvernement étranger. Dans le cas contraire, de lourdes peines pénales sont prévues.
Ainsi, comme d’habitude, s’il devait y avoir un adage pour l’oncle Sam, ça serait : «Faites ce qu’on vous dit, et ne faites pas ce qu’on fait». Le prix à payer par la Géorgie pour ce choix souverain? Des sanctions américaines et bientôt européennes.
Mais qu’est-ce qui explique une telle hystérie de la part des États-Unis et de l’Europe? C’est que depuis la révolution des roses en novembre 2003, la Géorgie a été graduellement mise sous contrôle américain, pour en faire une place d’armes orientée contre la Russie. À la suite à cette révolution colorée, Mikhaïl Saakachvili devient président de la Géorgie. Ce dernier avait été coopté au début des années 1990 par les États-Unis dans le cadre d’un partenariat d’études universitaires du FSA (Freedom Support Act), et dont le nom complet est «Freedom for Russia and Emerging Eurasian Democracies and Open Market Support Act». Plus soft power que ça, tu meurs!
Entre 2003 et 2008, il mène activement une politique de rapprochement avec Washington et de détachement de Moscou, soit ce pour quoi il a été mandaté, ce qui l’amène à l’irrémédiable, à la guerre contre la Russie, au terme de laquelle la Géorgie perd deux provinces, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud.
Après cette défaite et un usage autoritaire de son pouvoir, il quitte la Géorgie pour l’Ukraine, dont il obtient la nationalité en 2015. Et en raison de l’interdiction de la bi-nationalité en Ukraine, Saakachvili accepte de perdre la nationalité géorgienne. Pas mal pour un patriote!
Revenons à la Géorgie en 2024. Le long bras de fer autour de cette loi sur les agents étrangers a donné lieu à deux grandes oppositions. D’un côté, celle qui a opposé en interne la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili au Parlement géorgien et au Chef du gouvernement, favorables à cette loi. Rappelons que la présidente géorgienne n’est pas que géorgienne, elle est aussi française et a eu une carrière dans la diplomatie française qui lui vaudra en 2003 le poste d’ambassadrice de la France en Géorgie. C’est, j’ai envie de dire, limite une tradition en Géorgie que d’avoir des présidents étrangers ou travaillant pour l’étranger.
De l’autre côté, cette loi a opposé le Parlement et le Chef du gouvernement géorgien aux chancelleries occidentales. Et c’est là que la partie la plus intéressante commence.
Le 23 mai dernier, le Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidzé a publié un post sur sa page Facebook, où il affirme avoir été littéralement menacé de mort par le Commissaire européen pour le voisinage et l’élargissement, Oliver Varhelyi, lors d’une conversation téléphonique. Ce dernier lui aurait dit: «Regarde ce qui est arrivé à Fico (le Premier ministre slovaque), tu dois être très prudent».
Pour ceux qui n’ont pas suivi l’actualité du mois dernier et qui ne savent pas ce qui est arrivé à Robert Fico, je vous invite à lire cette chronique.
Suite à cette annonce explosive, on s’attendrait à ce que le commissaire européen fasse un démenti en criant à la diffamation. Mais non! Il assume cette phrase, en se contentant de dire qu’elle a été mal interprétée et qu’elle a été sortie de son contexte.
Mais toutes les acrobaties verbales du monde ne suffiraient pas à occulter le fait qu’il s’agit bel et bien non seulement d’une allusion subtile, mais d’une menace de mort franche et directe. D’autant plus que le commissaire européen a assumé cette malheureuse phrase.
Ainsi, après la tentative d’assassinat du Premier ministre slovaque en raison de son opposition à Bruxelles et Washington concernant le soutien à l’Ukraine, et désormais la menace de mort du Premier ministre géorgien en raison de son opposition à ces mêmes capitales, à quoi doit-on s’attendre?
Peut-être qu’il est temps pour l’Union européenne, qui, soit dit en passant, ne se gêne pas non plus pour s’ingérer aussi dans les affaires internes du Maroc par le biais du Parlement européen, de changer d’hymne, en remplaçant la 9ème symphonie de Beethoven par la célèbre chanson du film «Le Parrain».
Car avec ces différents événements, faire de la politique en s’opposant à Bruxelles et Washington devient de plus en plus un sport risqué. Autant faire du MMA. Au moins, il y a du spectacle et on n’y frappe jamais en dessous de la ceinture.