Depuis son licenciement humiliant par Trump en 2019, John Bolton, dont la carrière politique est plombée de scandales et d’une corruption désormais assumée, ne sort plus de sa tombe politique que pour deux sinistres missions: écouler laborieusement ses «Mémoires» où il s’efforce de maquiller la réalité de son passé trouble, ou honorer ses engagements lucratifs auprès d’Alger, dans une tentative désespérée cette fois-ci d’éviter au Polisario la gifle humiliante d’une classification terroriste américaine. Derrière ses tribunes enflammées en faveur de la «cause shahrawé» comme il peine lui-même à la prononcer, d’autres ressorts moins nobles dans sa trajectoire, voire franchement sordides, éclairent d’un jour nouveau cette romance improbable entre le faucon déchu et le régime militaro-politique qui le sustente.
Surnommé «l’hypocrite» et «le planqué» sous Reagan
C’est dans les années 1980 que Bolton entre à la Maison Blanche, sous Ronald Reagan dont il héritera la dégaine de cow-boy qui sera sa marque de fabrique diplomatique, admiratif du style abrasif de l’acteur dans les films belliqueux, capable d’insulter l’ONU en pleine séance plénière, confondant le cinéma et la vie réelle. À l’époque, les journaux se délectent déjà de ses contradictions, titrant avec ironie: «Bolton, le planqué du Viêt Nam», révélant que ce partisan acharné de la guerre contre le Viêt Nam s’était arrangé, à la fin de ses études et avant de se lancer en politique, pour ne pas en être. Il avait profité d’ajournements étudiants et d’une planque confortable dans la Garde nationale du Maryland.
En 2020, après une vie entière à nier ses lâchetés et à poursuivre pour diffamation les journaux qui dévoilaient ses turpitudes, Bolton, champion autoproclamé de la vertu républicaine, avouera cyniquement dans ses mémoires n’avoir pas vu «l’intérêt d’aller mourir dans une rizière d’Asie du Sud-Est», dans une guerre qu’il estimait déjà perdue. «L’hypocrite», sobriquet cinglant dont on l’affublait déjà dans les couloirs de l’administration Reagan, annonçait ainsi, sans honte ni remords, une carrière placée sous le signe du double discours.
Sir Bolton en Irak, ou le triomphe du salaud ordinaire
Cette étiquette de gosse menteur lui collera définitivement à la peau. Flairant son talent inné pour le mensonge et la manipulation, les Bush père et fils l’enverront au front en Irak, sans se perdre en subtilités inutiles telles que l’existence réelle d’armes de destruction massive. Le journal Business Insider le qualifie sans détour de «l’un des principaux architectes de la guerre en Irak en 2003», faisant de lui le responsable indirect de la mort de centaines de milliers de civils irakiens, dont de nombreux enfants. Fidèle à sa réputation, Bolton avait également prétendu, avec une assurance digne d’un bonimenteur de foire, que Cuba disposait d’un programme d’armes biologiques– une affirmation tellement invraisemblable que même la CIA l’avait publiquement désavoué. Le Los Angeles Times révélait ainsi à l’époque que Bolton avait tenté de faire muter le principal officier de la CIA chargé de l’Amérique latine, coupable à ses yeux d’avoir refusé de confirmer ses allégations sur Castro.
Menaces physiques, harcèlement et corruption
Lors des auditions sénatoriales explosives de 2005, Melody Townsel, consultante américaine, raconte comment Bolton l’a «menacée, harcelée et pourchassée dans les couloirs» d’un hôtel moscovite, allant jusqu’à glisser compulsivement des messages inquiétants sous sa porte. Dans une lettre adressée au Sénat, elle qualifiera son comportement de «tout simplement pathologique», estimant qu’il était inapte à exercer la moindre fonction diplomatique.
Ses anciens collègues dressent volontiers le portrait d’un homme caractériel, associable et moralement dégénéré, certains allant même jusqu’à suggérer des addictions secrètes à la cocaïne.
Autre épisode sidérant: le diplomate brésilien José Bustani, alors directeur général de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), rapporte comment Bolton lui avait glissé à l’oreille, peu avant de demander sa démission lors d’une réunion au département de la Sécurité, avec la froideur menaçante d’un mafieux aguerri: «Nous savons où vivent vos enfants», faisant explicitement référence aux deux fils de Bustani résidant à New York. Bolton ira jusqu’à le menacer de fabriquer de prétendus scandales sexuels, afin de l’obliger à démissionner et empêcher ainsi de délicates inspections sur les arsenaux irakiens et libyens. Quelques mois plus tard, Bustani pliera, la peur au ventre, qualifiant Bolton de «brute».
Clap de fin sous les huées bipartisanes de Washington
Les Démocrates le méprisent ouvertement; sa propre famille républicaine le renie. John Bolton, encombrant personnage devenu indésirable aux yeux de tous, quitte la scène politique en 2006, par une porte dérobée et sous les huées unanimes de ses pairs. Washington, ne sachant plus comment se défaire de ce poids mort diplomatique, tente de l’exiler à l’ONU. Mais même là, l’opposition est farouche: deux sénateurs républicains, dans un geste exceptionnel, s’allient aux Démocrates pour dénoncer ouvertement son caractère instable et pathologique. Face à un risque humiliant de rejet par le Sénat, Bolton ne doit finalement son poste d’ambassadeur auprès des Nations unies qu’à un artifice constitutionnel– le fameux «recess appointment», nomination forcée opérée en catimini par le président Bush durant un congé parlementaire en août 2005. Mais ce sauvetage in extremis est éphémère: il ne restera à l’ONU qu’un an, avant que Bush lui-même, conscient de la débâcle annoncée, ne renonce à défendre sa reconduction toxique devant un Sénat résolument hostile. Bolton quitte ainsi Washington non sans laisser derrière lui le souvenir détestable d’un ambassadeur-vandale à l’ONU, un politicien agressif et outrancier, dont l’efficacité diplomatique rime avec guerre et morts.
L’affaire Cambridge Analytica
Entre 2007 et 2017, Bolton disparait des radars pour mieux prospérer dans les coulisses obscures d’affaires lucratives, révélant toute l’étendue de son éthique élastique. Il fonde notamment un Super PAC (comité d’action politique) destiné officiellement (et légalement) à financer les candidats républicains, mais qui fonctionnait concrètement comme une officine de corruption électorale: en clair, Bolton encaissait l’argent de candidats pour mieux corrompre, à son tour, grands électeurs et lobbys politiques, et manipuler le jeu démocratique.
Comme l’a révélé le média Axios dans une enquête explosive, l’entreprise de John Bolton a versé plus de 1,1 million de dollars à la société britannique Cambridge Analytica entre 2014 et 2016. Cette firme sulfureuse, immortalisée depuis dans un documentaire accablant sur Netflix, s’était illustrée en détournant les données privées de millions d’utilisateurs Facebook à des fins de micro-ciblage électoral. Voilà donc Bolton en terrain familier: manipulation et mensonge, son domaine d’excellence. Toujours selon Axios, Toujours selon Axios, il avait engagé cette entreprise aux méthodes douteuses en parfaite connaissance de cause, ajoutant une ligne de plus au CV d’un homme dont la morale semble décidément soluble dans l’argent. À cet égard, le chèque tonitruant de 4 millions de dollars signé par le milliardaire Robert Mercer au bénéfice de son Super PAC avait longtemps alimenté la presse à scandale, achevant de ternir une réputation déjà bien sombre.
Rémunérations troubles et clients sulfureux
Il est établi que Bolton a empoché d’importantes rémunérations versées par l’organisation iranienne MEK (Moudjahidines du peuple), une secte d’opposants iraniens autrefois classée parmi les groupes terroristes. Selon le quotidien britannique The Guardian Bolton aurait ainsi encaissé plus de 180.000 dollars en échange de quelques discours de soutien au MEK, dont un seul événement en 2017 lui aurait rapporté la coquette somme de 40.000 dollars.
De même, ses prises de position va-t-en-guerre sur Taïwan ont suscité interrogations et suspicion après la révélation de ses liens financiers opaques avec des acteurs influents de l’industrie taïwanaise, via des honoraires généreux et des financements ciblés de think tanks proches de ses intérêts.
Ces deux «causes», ardentes à condition d’être généreusement rémunérées, complètent le portrait d’un personnage faustien qui n’hésite jamais à monnayer ses convictions au plus offrant. John Bolton apparaît ainsi définitivement comme un homme à l’éthique malléable, corrompu par nature, prêt à vendre les principes qu’il affiche à ceux qui sauront en aligner le prix.
Alger, dernière escale avant le naufrage
En 2018, alors qu’il ressurgit étonnamment dans les couloirs de la Maison Blanche, repêché par Trump après onze ans de mort politique, Bolton devient subitement le défenseur inattendu du Polisario à la Maison Blanche. Le voilà préoccupé par le sort des camps sahraouis, lui qui a tout tenté pour semer le feu dans le Moyen-Orient et a été le fossoyeur de l’Irak et de l’Afghanistan. Il a aussi poussé Trump à déchirer l’accord nucléaire avec l’Iran et à adopter une politique de «pression maximale» contre Téhéran, ce qui ne va guère troubler les caciques d’Alger, pourtant alliés historiques des mollahs.
Le mystère de cette soudaine reconversion s’éclaircit vite à la lumière des documents du Forein Agents Registration Act (FARA), le service qui surveille les politiciens lobbystes. FARA expose noir sur blanc les liens financiers étroits et les remises d’argent entre John Bolton et l’Algérie, via son vieil ami conservateur David Keene (ex-président de la NRA qui milite pour la vente et le port d’armes aux Etats-Unis). Keene, payé 180.000 dollars par le gouvernement algérien, s’en est vanté dans ses déclarations aux agents du FARA, indiquant avoir usé de ses réseaux républicains pour appuyer la position algérienne auprès de Bolton et d’autres responsables. Le nom de Bolton est lâché. Et ce témoignage de Keene est une audition officielle du FARA. Il a bel et bien reçu du bakchich des barons d’Alger, et son champ d’action, on le voit à ses sorties lamentables, est le Polisario.
Le même link rapporte: «Ce n’est pas la première fois que Keene travaille pour le gouvernement algérien. Il a déclaré avoir exercé des activités de lobbying pour ce pays d’Afrique de l’Ouest de 2006 à 2008, pour une somme de 360.000 dollars.»
Dernier chapitre d’une carrière qui plie, à se rompre, sous les scandales, Alger apparaît désormais comme l’ultime refuge où Bolton tente désespérément de monnayer ce qu’il lui reste de capital insignifiant à Washington. Bolton ne finit pas sa vie en stratège comme dans le célèbre jeu vidéo Empire, mais au rang humiliant de dictaphone du régime d’Alger, pion d’une basse-cour engraissé à la pitance peu honorable de la corruption. Un croque-mort qui habille, parfume un cadavre avant sa mise en bière définitive. Celui qui prétendait être le chevalier blanc de Washington achève tristement sa trajectoire politique, détesté de tous, sachant pertinemment, comme pour la guerre du Viêt Nam, qu’il est aligné sur les loosers, mais il remplit son contrat. Très probablement le dernier.








