Préparatifs, portée, le jour d’après: la proclamation d’indépendance de la Kabylie expliquée par Aksel Bellabbaci

Lors d'une marche pour l'indépendance de la Kabylie.

Lors d'une marche pour l'indépendance de la Kabylie.

À quelques jours de la déclaration d’indépendance de la Kabylie, prévue le 14 décembre, Aksel Bellabbaci, conseiller du président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, décrit une phase où «il n’y aura plus de retour en arrière» et affirme que le 14 décembre «ouvrira un nouveau cycle pour le peuple kabyle». L’événement, qui rassemblera des personnalités venues du monde entier, ambitionne de projeter la question kabyle sur la scène internationale et augure une quête de reconnaissance qui se traduira par une intense action politique et diplomatique.

Le 11/12/2025 à 08h18

À quelques jours du 14 décembre, la Kabylie est au seuil d’un moment historique: la déclaration de son indépendance de l’Algérie. Porte-voix de cette revendication, le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), présidé par Ferhat Mhenni, s’y prépare ardemment. La proclamation de l’indépendance aura lieu lors d’une cérémonie organisée à Paris et doit, selon ses initiateurs, marquer l’aboutissement d’années de revendications pacifiques et le commencement d’une nouvelle phase diplomatique. Recueillis par Le360, les propos d’Aksel Bellabbaci, conseiller du président du MAK et une de ses figures marquantes, laisse transparaître à la fois la solennité de l’instant, la tension des préparatifs et la détermination d’un mouvement qui estime être arrivé à un point de non-retour.

Espoirs et attentes

Depuis plusieurs semaines, les équipes du MAK sont mobilisées dans une organisation minutieuse de la cérémonie du 14 décembre. À trois jours de l’événement, Aksel Bellabbaci décrit une atmosphère intense où se mêlent pression et assurance. Il confie que «l’approche de la date fait naturellement monter l’adrénaline», mais ajoute que «l’ensemble de l’équipe reste sereine, pleinement engagée et déterminée à offrir une organisation à la hauteur de l’enjeu».

La proclamation se tiendra dans une salle parisienne prestigieuse, une adresse «emblématique» gardée secrète et pouvant accueillir 1.200 personnes, un choix pensé pour combiner visibilité, solennité et charge symbolique. Bellabbaci insiste sur le caractère international de la mobilisation. «Des personnalités politiques, culturelles et artistiques venant de différents continents ont confirmé leur présence», nous confie-t-il. Plusieurs soutiens publics ont déjà été annoncés, parmi lesquels des députés canadiens, des représentants d’un parti politique israélien ainsi que plusieurs parlementaires français. D’autres noms, considérés comme stratégiques, ne seront révélés que le jour même afin de renforcer l’impact de la cérémonie. L’un des objectifs est de créer une scène internationale où la cause kabyle sera portée au-delà de ses frontières traditionnelles.

La cérémonie alternera interventions kabyles, prises de parole d’invités internationaux et déclarations de soutien. Selon Bellabbaci, l’idée est de «donner la parole à des personnalités qui pourront exprimer publiquement leur lecture de la situation et affirmer leur soutien». Cette dimension participative vise à montrer que la question kabyle est suivie, analysée et soutenue par divers acteurs non liés au mouvement. Les orateurs attendus proviennent d’horizons variés, allant du monde politique à celui de la recherche ou de la culture. Pour les organisateurs, cette pluralité traduit l’ancrage transversal d’une revendication qui cherche désormais à entrer dans l’espace diplomatique global.

Aksel Bellabbaci, un opposant et haut responsable du Mouvement d'autonomie de la Kabylie (MAK).

Le choix du 14 décembre fait explicitement écho à la résolution 1514 des Nations unies, adoptée à la même date en 1960 et qui ouvrait officiellement la voie au processus mondial de décolonisation. Aksel Bellabbaci explique que «fixer la proclamation ce jour-là, c’est inscrire l’événement dans la continuité des luttes historiques pour la souveraineté» et «rappeler aux institutions internationales que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes demeure un principe universel, même si leur liste des territoires à décoloniser n’a pas été actualisée depuis 1961». Ainsi, la date n’est pas un simple repère calendaire mais un message politique adressé à la communauté internationale, une manière d’affirmer que la revendication kabyle s’inscrit dans un continuum historique reconnu.

Le jour d’après

Si la cérémonie marquera indéniablement un moment symbolique et médiatique fort, ses initiateurs insistent sur la période qui s’ouvrira immédiatement après. Aksel Bellabbaci estime que «l’acte du 14 décembre n’est pas une conclusion mais l’ouverture d’une phase nouvelle du combat politique kabyle». Il précise que «cette déclaration symbolise la fin d’un cycle de revendications et de tentative de dialogue avec l’Algérie et le début d’un engagement tourné vers les relations internationales». Selon lui, une fois l’indépendance proclamée, «il n’existera plus de possibilité de revenir en arrière, car le peuple kabyle aura officiellement ouvert un processus qu’il assumera pleinement». Le mouvement conçoit ainsi cette date comme un basculement stratégique.

Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).

Le MAK prévoit d’entamer rapidement des démarches auprès de gouvernements étrangers afin d’obtenir des reconnaissances officielles. Bellabbaci explique que «la proclamation permet désormais d’entrer dans une étape où la diplomatie devient centrale», ajoutant que «des rendez-vous sont déjà fixés dans les jours suivant la cérémonie, avec pour objectif d’établir des contacts directs avec plusieurs États». Sans citer les pays concernés, il précise que «des discussions sont déjà en cours sur différents fronts» et que «le travail de conviction sera progressif mais constant». L’ambition est de donner à la cause kabyle un cadre étatique revendiqué, afin d’exister pleinement dans le champ diplomatique mondial.

Le mouvement s’attend naturellement à une réaction hostile du régime algérien. Bellabbaci estime que «le régime ne peut pas accueillir favorablement une telle déclaration, car elle remet en question sa manière de gérer la question kabyle depuis des décennies». Il rappelle que le MAK n’est pas né d’une revendication indépendantiste immédiate. «Nous étions au départ un mouvement autonomiste. Mais le pouvoir algérien nous a refusé jusqu’au droit d’exister. Lorsque nous avons évolué vers la revendication d’autodétermination, nous avons proposé au gouvernement algérien de s’asseoir à une table de dialogue. En guise de réponse, nous avons subi mépris et féroce répression», relate le responsable.

Le régime d’Alger sur les dents

Le MAK demandait notamment la libération des prisonniers kabyles, la suppression de l’article 87 bis du Code pénal assimilant certaines revendications démocratiques à du terrorisme, ou encore le retrait du mouvement de la liste algérienne des organisations terroristes. Bellabbaci considère que «le refus du régime d’engager une discussion sérieuse a fini par rendre inévitable la voie actuelle». Et alors que la date approche, il observe «une agitation croissante dans les médias officiels et les réseaux proches du pouvoir, où des appels sont lancés pour mobiliser la diaspora contre la proclamation». «Des bus ont été affrétés par dizaine pour des rassemblements anti-Kabylie à Paris», nous informe le responsable au sein du MAK. Il nuance toutefois leur portée en estimant que «ces manœeuvres ne sont pas de nature à freiner la démarche engagée».

L’éventualité d’une intensification de la répression en Kabylie en guise de représailles inquiète cependant. Bellabaci la relativise en expliquant que «la Kabylie subit déjà une oppression très forte, avec des centaines de détenus et une région marquée par les événements tragiques de 2021». Il estime toutefois que «le régime n’a pas intérêt à provoquer une explosion de colère dans une région déjà éprouvée», ajoutant que «la situation actuelle est comparable à une cocotte-minute et que toute pression supplémentaire pourrait provoquer une réaction difficile à contrôler». Selon lui, «il est peu probable que les autorités prennent le risque d’une escalade au moment où la tension politique est déjà très élevée».

Une chose est certaine, la date du 14 décembre dépasse la seule proclamation d’indépendance. Elle représente une ligne de partage entre deux entités et deux périodes: celle des revendications et celle de l’action. Aksel Bellabbaci résume cet état d’esprit en affirmant que «le 14 décembre marquera une rupture irréversible» et que, pour la Kabylie, «il existera un avant et un après cette date».

Par Tarik Qattab
Le 11/12/2025 à 08h18