Les exemples sont nombreux, mais pour ne garder que les plus récents, on citera la réunion extraordinaire tenue par le Comité exécutif de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur l’évolution dramatique de la situation en Palestine. L’événement a eu lieu le lundi 23 octobre à Djeddah, en Arabie saoudite. Et qu’a donc trouvé l’Algérie de mieux pour apporter sa pierre à l’édifice? En dénoncer la déclaration finale, au prétexte qu’elle place «sur un même niveau de responsabilité l’occupant et les victimes des crimes commis». Le même scénario s’est répété le 11 octobre au Caire, lors des travaux de la session extraordinaire du Conseil de la Ligue des États arabes au niveau des ministres des Affaires étrangères, présidée par le Maroc.
Alors que la Ligue arabe a tenté de resserrer ses rangs en adoptant une résolution appelant à faire cesser les armes et à protéger les civils, l’Algérie choisit à nouveau de jouer les perturbateurs en émettant des réserves sur le texte sanctionnant cette réunion. Là encore, au nom du refus «que soient mis sur un même pied d’égalité le droit indiscutable du peuple palestinien à l’instauration d’un État souverain et les pratiques de l’entité sioniste qui viole la légalité internationale».
Autre circonstance, même attitude, ou presque. Celle de bouder. Ainsi en est-il allé ce 23 octobre lors de l’ouverture de la 147e session de l’Union interparlementaire (UIP, soit l’organisation mondiale des parlements nationaux) à Luanda, en Angola. Là encore, l’Algérie a brillé, sa délégation parlementaire ayant boycotté cette ouverture en quittant la salle en réaction au «discours partial flagrant» du président de l’UIP, Duarte Pacheco, envers Israël. La cerise sur le gâteau est posée par le président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui a décidé, tout simplement, de ne pas se rendre au sommet du Caire sur la situation en Palestine, tenu samedi 21 octobre. Motif: «des désaccords profonds sur les moyens mis en œuvre par la communauté internationale, et particulièrement certains acteurs régionaux, pour le règlement de la question palestinienne».
Alors que la bande de Gaza est à feu et à sang et que la terre entière est mobilisée autour de la guerre entre le Hamas et Israël, l’Algérie choisit donc de déclarer forfait. Une démission aussi bien intellectuelle qu’opérationnelle qui en dit long sur une diplomatie jadis active, mais qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. Car derrière les bouderies à répétition et les mouvements d’humeur se cachent surtout l’impuissance et l’impéritie d’un régime résolument à la dérive, y compris sur la scène internationale.
Pour le politologue Mustapha Sehimi, fin connaisseur des rouages du pouvoir algérien, il y a eu un avant et un après l’échec algérien à intégrer les BRICS, sur quoi l’administration Tebboune avait tout misé. Pour rappel, le président algérien a commencé à faire campagne dès juillet 2022, en faisant part de sa volonté de rejoindre ce groupement. Cette volonté s’est confirmée le 1er novembre de la même année. «Tout au long de l’année 2023, et jusqu’au mois d’août, date du verdict, tout l’appareil diplomatique algérien était mobilisé à cette seule et unique fin, le but étant de dire que le pays est influent et que la nouvelle Algérie de Tebboune était crédible à l’international», souligne notre interlocuteur.
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Au final, l’intégration du voisin n’a même pas été inscrite à l’ordre du jour du 15e sommet du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui s’est conclu, le 24 août dernier à Johannesburg, avec l’intégration de l’Iran, de l’Argentine, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de l’Éthiopie. L’Algérie, elle, n’a même pas eu droit de cité, alors que son président n’a eu de cesse de demander le parrainage de pays comme la Chine ou la Russie, où il s’était rendu en personne, et tout en courbettes, dans cette perspective, jouant un tout pour le tout qui s’est avéré fatal.
Échec et mat
L’échec a été accablant et toute une construction diplomatique s’est effondrée de manière spectaculaire. Le coup de grâce, c’est le chef de la diplomatie de la Russie, pourtant premier fournisseur d’armes à la junte, qui l’a donné: l’Algérie n’a ni l’influence ni le poids économique nécessaires pour intégrer les BRICS. Le château de cartes a périclité à la même vitesse que la présidence algérienne nous gratifiait de fanfaronnades aussi invraisemblables les unes que les autres sur le «pays-continent» et sa «force de frappe».
La déroute est totale, sur tous les plans. Au sein du monde arabe et islamique, l’Algérie n’est plus du tout audible et n’a fait preuve d’aucune initiative, notamment sur la question palestinienne. À une exception près, celle de la tentative du président Abdelmadjid Tebboune de réunir douze factions rivales palestiniennes en 2022. Avec l’éclatante déconfiture que l’on sait. C’était juste avant le sommet arabe d’Alger, un magnifique «plouf» en soi. Le résultat est qu’aujourd’hui, les groupes palestiniens sont plus divisés que jamais et la carte de capacité d’influence dont l’Algérie pouvait se prévaloir du temps de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ne joue plus.
Euphorique un temps, la relation entre l’Algérie et la France a tout de suite buté sur le réel et l’immensité des entraves dressées des deux côtés. La visite d’Emmanuel Macron à Alger, suivie à grands coups de tapage médiatique par le déplacement de la cheffe du gouvernement Élisabeth Borne, accompagnée de 15 membres de l’exécutif français, n’a abouti à rien du tout. Aujourd’hui, après une série de reports, à mai puis à juin dernier, la visite d’État du président Tebboune est ajournée sine die. «Ceci, alors que Tebboune misait toute sa reconnaissance à l’international sur cette visite, qu’il a exigée avec parade sur les Champs-Élysées, à l’image d’un Winston Churchill, et un discours à l’Assemblée nationale. Il n’en sera finalement rien et le pari est de nouveau perdu», relève Mustapha Sehimi.
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Quant aux États-Unis, la carte Algérie est d’ores et déjà «cramée». Pour la simple raison que les milliards de dollars dilapidés par Alger pour son armement, c’est la Russie, rival de toujours de l’Oncle Sam, qui en tire profit. Au point que des sénateurs américains ont appelé à des sanctions contre Alger, rendue complice dans l’effort de guerre russe contre l’Ukraine.
Un président source d’ennuis
Dernière marche d’une longue et irréversible descente aux enfers, et non des moindres: la question du Sahara, sur laquelle l’Algérie n’a plus la main. Mieux, sa responsabilité dans le conflit artificiel est de plus en plus épinglée. La preuve: l’Algérie est citée pas moins de 21 fois dans le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU sur le Sahara, et le projet de résolution du Conseil de sécurité -qui sera voté cette fin du mois d’octobre- ne manque pas de lui rappeler sa responsabilité et sa nécessaire participation aux négociations pour «une solution politique», expression qui, à elle seule, horripile le pouvoir algérien. «Plus le Maroc consolide ses positions dans l’affaire du Sahara, plus l’Algérie accumule les échecs. Et tout ce que construit Tebboune ne tient pas», résume le politologue.
Derrière ce record de revers, se dévoile la faillite de tout un système de gouvernance. Sinon, comment expliquer qu’une interview accordée par le président au début du mois à de nombreux représentants de la presse algérienne ne soit toujours pas diffusée? «Au lieu de se montrer digne de sa qualité de chef d’État, Tebboune en a profité pour se lâcher contre tout le monde. Et ce qui a fuité de ses confidences sur des pays comme l’Égypte, “pays qui meurt de faim”, ou sur la France, en donne toute la mesure», explique-t-il. Résultat: cet échange de 4 heures de Tebboune avec les journalistes qui a pourtant été filmé est inexploitable, même sous forme de 45 minutes, sous peine de faire apparaître le président algérien comme un homme indigne de la fonction qu’il occupe.
À cette séquence sans fin de revers, s’ajoute celle d’un régime algérien catégoriquement hors-sol sur les questions du moment. Le changement climatique, l’ère numérique, les énergies renouvelables… Le pouvoir algérien n’a rien à proposer au monde sur ces thématiques, si ce n’est des annonces ubuesques. Il n’a pas non plus de leviers de développement ou d’avenir à mettre en valeur ou ne serait-ce que pour se vendre. L’absence totale de soft power et un président qui manque de charisme et de relief, orphelin des moindres bases de savoir-être, n’arrangent rien. Moralité: Abdelmadjid Tebboune est devenu un facteur de déstabilisation même pour le régime algérien, alors que sa mission était, au contraire, de lui donner une façade sereine et un minimum respectable. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs clans parmi les généraux examinent la possibilité de rendre improbable sa réélection.