Le régime algérien menace la Suisse de représailles suite à sa décision de juger Khaled Nezzar pour crimes de guerre

Mohamed Médiène, dit Toufik, Khaled Nezzar et Saïd Chengriha.

La récente décision du Ministère public de la Confédération helvétique (procureur général) de transmettre le dossier d’accusation du général à la retraite Khaled Nezzar au tribunal pénal fédéral, afin d’y être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, a semé la panique au sein de la junte algérienne. Cette dernière a ordonné au ministère algérien des Affaires étrangères de brandir, à travers un communiqué publié le jeudi 31 août, des menaces de rupture des relations diplomatiques avec la Suisse.

Le 01/09/2023 à 10h07

L’Algérie a réagi à la décision du procureur général de la Confédération suisse de transmettre le dossier d’accusation du général à la retraite Khaled Nezzar au Tribunal pénal fédéral, en vue d’y être jugé pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, suite aux plaintes de plusieurs dizaines de victimes algériennes déposées depuis 2011.

Dans un communiqué diffusé hier jeudi 31 août par l’agence de presse du régime d’Alger (APS), le ministère algérien des Affaires étrangères dresse un réquisitoire contre l’un des meilleurs systèmes judiciaires au monde, en accusant la justice helvétique d’avoir fait preuve d’«irresponsabilité» en s’arrogeant «le droit absolu pour juger des politiques d’un État souverain et indépendant».

Ce communiqué, en plus d’ignorer le principe de la compétence universelle des États en matière de crimes de guerre, pointe du doigt bizarrement «une lecture révisionniste de l’histoire» et se plaint que «la justice suisse a offert avec beaucoup de légèreté une tribune aux terroristes, à leurs alliés et à leurs soutiens pour tenter de discréditer le combat honorable de notre pays contre le terrorisme, de jeter l’opprobre sur ceux qui lui ont fait face et de souiller la mémoire de ceux qui sont tombés en lui résistant».

Qualifiant indirectement Khaled Nezzar de héraut de la lutte antiterroriste lors de la guerre civile algérienne, où l’on se demandait pourtant «qui tuait qui?», le ministre algérien estime que l’accusation qui vise l’ex-ministre algérien de la Défense «a atteint les limites de l’inadmissible et de l’intolérable et que le gouvernement algérien est déterminé à en tirer toutes les conséquences, y compris celles qui sont loin d’être souhaitables pour l’avenir des relations algéro-suisses».

L’Algérie va-t-elle donc mettre à exécution ses menaces à peine voilées de rupture des relations diplomatiques avec la Suisse, sachant que la décision de juger Khaled Nezzar n’est plus susceptible du moindre recours en annulation?

Nouveau coup dur pour l’Algérie

Ce qui est sûr, c’est que l’accusation ouvrant la voie à un procès contre Khaled Nezzar est en elle-même un nouveau coup dur pour l’Algérie, un pays peu respectueux des droits de l’homme, et qui ne s’est pas encore relevé de son humiliation consécutive au rejet, une semaine plus tôt, de sa candidature à intégrer le groupe des BRICS.

Il reste à savoir si Khaled Nezzar, premier responsable du déclenchement de la guerre civile en Algérie, qui a fait plus de 200.000 morts et des milliers de disparus durant la décennie noire (1991-2001), va être enfin jugé avant sa mort, alors que les rumeurs le donnent pour agonisant.

Une course contre la montre est donc enclenchée par la justice suisse, afin que le Pol Pot algérien réponde de ses crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’encontre de centaines de milliers d’Algériens. Ces crimes ont été perpétrés, pour l’essentiel, durant les premières années de la guerre civile algérienne, en guise de remake de la Guerre d’Algérie (1954-1962), mais cette fois-ci sous la férule d’anciens caporaux algériens ayant servi dans l’armée française.

L’année dernière, le président algérien Abdelmadjid Tebboune et le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, ont tenté de réhabiliter les deux principaux instigateurs de la décennie noire, les généraux Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufik. En les décorant et en leur rendant hommage le 4 août 2022, à l’occasion de la première célébration de la nouvelle journée nationale de l’armée algérienne, c’est la mémoire des Algériens et le droit international humanitaire qui ont été insultés.

Des témoignages accablants

Il est vrai que c’est le général Saïd Chengriha, l’un des ex-hommes de main du duo Nezzar-Toufik durant la décennie noire, qui avait manigancé cette réhabilitation, qu’il voulait également être la sienne. Chengriha pensait ainsi pouvoir redorer son blason aux yeux des Algériens, qui n’ignorent pas son passé de criminel de guerre et sa responsabilité dans l’emprisonnement et la torture des 300 prisonniers politiques actuellement détenus en Algérie, sans parler de sa violente cabale contre ses adversaires au sein même de l’armée.

Des témoignages d’anciennes victimes rescapées de la décennie noire et d’anciens officiers algériens exilés ont nommément cité Chengriha parmi les principaux bourreaux de la guerre civile algérienne.

Dans «Printemps du terrorisme en Algérie… Témoignages et vérités sur les crimes horribles du DRS», Aomar Rami, rescapé des centres de la mort, cite les principaux instigateurs du carnage des années 1990. Il mentionne ainsi les noms des généraux Khaled Nezzar, Mohamed Médiène dit Toufik, Abdelkader Mejahed, Djebbar Mhenna, actuel chef des renseignements extérieurs, et Saïd Chengriha, actuel patron de l’armée algérienne, pour ne parler que de ceux qui sont encore en vie.

De même, Habib Souaidia, ancien officier parachutiste actuellement exilé en France, a publié en 2001 un livre-témoignage intitulé «La sale guerre. Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne». Il y rapporte que Saïd Chengriha, colonel à l’époque et sous les ordres duquel il travaillait, avait l’habitude de torturer et d’exécuter froidement devant ses troupes tout homme qu’il suspectait d’être un islamiste ou opposant. Il cite ainsi l’exemple d’un civil désarmé et innocent, rencontré de nuit par une patrouille motorisée de dizaines de soldats, et que Chengriha a abattu d’une balle dans la tête en pleine rue, sans la moindre raison. Au moment de la parution du livre de Habib Souaidia (2001), Saïd Chengriha était un illustre inconnu. Ce qui laisse peu de doute sur la véracité du témoignage de l’auteur de «La sale guerre. Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne».

Ouvrir un procès contre Nezzar, c’est donc éclabousser immanquablement la majorité du commandement actuel de l’armée algérienne, dont les crimes et les tortures sont des pratiques courantes. Sauver le soldat grabataire Nezzar, c’est sauver l’establishment militaire et les protagonistes de la décennie noire, dont le chef d’état-major Saïd Chengriha.

D’ailleurs, les protagonistes la décennie noire, encore en vie, sont aujourd’hui remis en selle pour servir d’épouvantail contre le Hirak en particulier et les opposants au régime militaro-politique de tous bords en général.

Il en est ainsi de la remise en service des anciens officiers-barbouzes de l’ex-puissant DRS (Département du renseignement et de la sécurité) comme Abdelkader Aït Ouarabi, dit général Hassan, Abdelhamid Hocine Boulahya alias l’«Émir du DRS», sans oublier le général Djebbar Mhenna.

Ce sont justement ces personnes auxquelles fait allusion l’acte d’accusation contre Nezzar, transmis au Tribunal pénal fédéral mardi dernier. Ainsi, selon le communiqué du procureur général suisse, Nezzar a commis ses crimes après avoir «placé des personnes de confiance à des positions clés et créé sciemment et délibérément des structures visant à exterminer l’opposition islamiste». Ces personnes ont commis «des crimes de guerre et une persécution généralisée et systématique des civils accusés de sympathiser avec les opposants». C’est cette allusion directe aux hommes de main et complices de Khalid Nezzar qui fait, aujourd’hui, trembler la junte algérienne.

Par Mohammed Ould Boah
Le 01/09/2023 à 10h07