Au Parlement européen, l’année 2023 débutait sur une résolution sévère à l’égard du Maroc, épinglé en commission plénière pour «ses entorses à la liberté de la presse et aux droits humains», avec pour porte-étendard des victimes d’un régime présenté comme liberticide, le journaliste Omar Radi, incarcéré, rappelons-le ici, pour faits de viols à l’encontre d’une femme, elle aussi journaliste pourtant, Hafsa Boutahar.
Le 19 janvier, jour de l’adoption de cette résolution «d’urgence» orchestrée par Stéphane Séjourné, ancien conseiller d’Emmanuel Macron, chef de file du parti Renaissance (le parti du président Emmanuel Macron) et du groupe d’eurodéputés Renew Europe, l’indignation de la victime de viol qui s’est exprimée dans une lettre ouverte adressée au Parlement avait été tout simplement éludée, comme si elle n’existait pas… sous prétexte que le Maroc orchestrerait le musellement des voix libres de la presse par une mise en scène d’accusations de viol. En plein scandale du Qatar Gate, marginalisé par certaines voix au Parlement européen qui pointent un doigt accusateur sur un douteux Maroc Gate, cette résolution sur la violation des droits humains et de la presse au Maroc était somme toute la cerise sur le gâteau pour les détracteurs du Royaume.
Le Maroc pointé du doigt, mais pendant ce temps-là, en Algérie…
Alors que le Maroc était cloué au pilori de la vindicte européenne, l’Algérie, elle, piétinait allègrement la liberté de la presse et les droits humains sur son sol. Ainsi, ironie du sort ou ironie tout court, le 22 janvier, à peine trois jours après l’adoption par le Parlement européen de la résolution «d’urgence» sur la situation des droits humains au Maroc et la liberté de la presse, les autorités algériennes ont dissous, dans l’indifférence absolue des eurodéputés, la Ligue de défense des droits de l’Homme (LADDH). Le seul organisme non gouvernemental encore crédible de défense des droits de l’Homme en Algérie. Que l’on s’imagine un peu les réactions qu’aurait suscitées la dissolution de son équivalent au Maroc, l’AMDH.
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Puis le 24 février, rebelote, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative en Algérie, dissolvait-il le Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), une ONG pro-démocratie et pro-Hirak. S’en sont suivies, depuis, incarcérations de journalistes, fermetures arbitraires de médias... Autant d’entraves à la liberté de la presse, pourtant relayées par de nombreux experts, à l’instar de l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, lequel comparait, dans les colonnes de la presse française, l’Algérie à une vaste prison où sont enfermés «non seulement les politiques, fonctionnaires et militaires liés à l’ancien régime –et auxquels l’Armée nationale populaire doit son statut actuel–, mais aussi les journalistes qui ont eu le tort d’écrire des articles hostiles ou réservés sur le régime, et ceux qui, naïvement, ont posté sur les réseaux sociaux un jugement ou une opinion dissidente».
Et l’ancien diplomate d’avertir sur la réalité des faits dans ce pays qu’il connaît bien, en expliquant qu’«aujourd’hui, cette presse est muselée, les journalistes arrêtés ou privés de leur passeport», en citant l’exemple de journaux fermés tel que Liberté, interdits tels que Radio M et Maghreb Emergent ou dévitalisés et placés sous tutelle tel El Watan.
Autant d’alertes restées pourtant lettre morte du côté du Parlement européen. À vrai dire, l’Algérie avait raison de ne pas s’en soucier, car cette semaine, cet honorable hémicycle a confirmé que le pays aux mains de la junte militaire pouvait dormir sur ses deux oreilles et continuer à faire ce que bon lui semblait, pendant que le Parlement européen détourne le regard… vers l’Ouganda et l’Afghanistan, selon le nouvel ordre du jour de la semaine.
Car en date du 12 avril, dans le cadre de la préparation des sujets sur les droits humains pour la plénière de la semaine suivante (du 17 au 20 avril), les secrétaires généraux des groupes politiques avaient retenu trois sujets, dont l’un portait sur l’Algérie. Il s’agissait ainsi d’inclure une résolution sur «la liberté des médias et la liberté d’expression en Algérie, à la lumière du cas du journaliste Ihsane El Kadi». Un sujet validé par les secrétaires généraux en date du mercredi 12 avril, mais qui a pourtant été retiré, le lendemain, de l’agenda de la semaine du 17 au 20 avril, dans lequel il était inscrit.
Stéphane Séjourné (encore lui) à la manœuvre
Le quotidien français Le Figaro confirme le mardi 18 avril que c’est bien à Stéphane Séjourné, le chef de file du parti de Macron, que l’on doit ce retrait. Lui qui avait été particulièrement actif pour l’adoption de la résolution contre le Maroc a ainsi été tout aussi actif pour neutraliser celle sur l’Algérie. Ainsi, titre Le Figaro, «le Parlement européen épargne l’Algérie», en rappelant qu’une «résolution du Parlement européen dénonçant l’Algérie pour la condamnation à cinq ans de prison du journaliste Ihsane El Kadi devait être soumise aux eurodéputés le 20 avril». Or, poursuit le média français, «ce texte, défendant la liberté de la presse, a été retiré de l’agenda avec l’appui des députés macronistes de Renew, qui ont changé d’avis sur le sujet alors que le président algérien, Abdelmajid Tebboune, est attendu en France du 2 au 5 mai». Ironie du sort, la visite de Tebboune en France a été annulée. Le zèle des macronistes au Parlement européen n’a pas servi à grand-chose.
Thierry Mariani, eurodéputé et membre du groupe ID au parlement européen a partagé son indignation sur Twitter. Publiant la brève du Figaro, celui-ci déclare qu’«avec les élus de Macron au Parlement européen, c’est tout pour l’Algérie, et tout contre le Maroc!». Poursuivant sur sa lancée, Mariani juge que «tout est fait pour séduire le Président Tebboune et Alger, quitte à verser dans un double standard obscène». Et d’estimer, non sans ironie, que «les Marocains, attaqués sans cesse par la Macronie, apprécieront!».
Une résolution renvoyée aux calendes grecques et un heureux hasard de calendrier
Contacté par Le360, Thierry Mariani a livré un peu plus en détail son ressenti quant à cette nouvelle manœuvre pro-algérienne du parti de Macron. In fine, cette résolution a-t-elle été repoussée ou définitivement écartée? «Aujourd’hui, elle n’est pas inscrite à l’ordre du jour de ce mois-ci. Pour être honnête, techniquement, le sujet peut tout à fait être inscrit à l’ordre du jour le mois prochain, ou dans deux ou trois mois. Mais en général, quand une résolution est reportée, c’est assez rare qu’elle revienne, sauf s’il y a de l’actualité».
Et justement, en termes d’actualité relative à la liberté de la presse en Algérie, il y en a bien une et non des moindres… Heureux (et très intéressant) hasard de calendrier, le 13 avril, alors que Stéphane Séjourné rayait de l’agenda la résolution dénonçant le traitement de la presse en Algérie, les sénateurs algériens adoptaient une nouvelle loi sur l’information en Algérie renforçant l’encadrement du travail des journalistes et introduisant de nouvelles restrictions et sanctions en cas d’infractions. Parmi celles-ci, une interdiction aux médias algériens de bénéficier de tout «financement» ou «aide matérielle directe et indirecte de toute partie étrangère» sous peine de «sanctions pénales prévues par la loi». Autre pépite liberticide de cette nouvelle loi, l’exclusion de facto des binationaux du droit de détenir ou d’être actionnaires dans un média en Algérie. Ou, enfin, l’obligation du journaliste de révéler ses sources à la justice si elle l’exige.
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Mais, visiblement, cette nouvelle entrave, le Parlement européen n’en a pas eu vent ou préfère tourner la tête pour ne pas la voir. Pour Thierry Mariani, qui n’était pas au fait non plus de cette nouvelle loi en Algérie, la non-adoption dans l’agenda de la semaine de cette résolution «n’a rien d’innocent».
L’ombre de la volonté présidentielle française
Car si le texte était inscrit à l’initiative du groupe Renew Europe, comme le rapporte Le Figaro, il n’en demeure pas moins que ce sont les eurodéputés français du même groupe qui l’ont fait retirer de l’agenda. Ce coup de théâtre se serait probablement joué au bureau du parlement, selon Thierry Mariani, où siègent les principaux groupes, principalement ceux de la majorité, tels que le PPE, les S&D, Renew et Les Verts. «On ne sait pas exactement quelle procédure a été choisie pour faire retirer ce texte, mais ce qui est sûr, c’est qu’ils ont fait en sorte qu’il ne soit pas présenté», poursuit l’eurodéputé.
Raison de plus de douter de l’innocence d’une telle décision, la tenue du congrès du parti de d’Emmanuel Macron ce week-end, où Stéphane Séjourné, en tant que Secrétaire général du parti, était en première ligne. «On ne peut pas imaginer, quand vous connaissez la France et ses liens avec l’Algérie et le Maroc, que ce ne soit pas fait avec l’aval de l’Élysée», analyse Thierry Mariani qui voit transparaître dans cette décision le parti pris très clair de se réconcilier absolument avec l’Algérie, quels qu’en soient le coût et les affronts.
La décision de fermer les yeux sur les très graves exactions des libertés en Algérie prouve, selon Thierry Mariani, que «la majorité présidentielle française a cette obsession de réconciliation à tout prix, et j’insiste sur le à tout prix, avec l’Algérie». Mais, poursuit-il, «si c’est sain de vouloir se réconcilier avec ceux avec qui on a eu des problèmes, il ne faut pas oublier pour autant ceux avec qui on a des liens qui n’ont jamais faibli».
In fine, cette nouvelle action en faveur de l’Algérie s’inscrit dans ce que l’eurodéputé français taxe de «politique éternelle du double standard». Une façon de faire qui implique qu’on «invoque très souvent les droits de l’homme et les grands principes pour des petits calculs», dépendamment des pays. Certains sont scrutés avec attention tandis qu’on «préfère tourner la tête» pour d’autres, analyse ainsi Mariani.
Et de conclure qu’«on voit très bien qu’il y a une dérive de l’Algérie, mais le gouvernement français a décidé de fermer les yeux. Les deux ou trois derniers présidents français ont toujours rêvé de la réconciliation avec l’Algérie, ce qui est normal… Mais ce qui ne l’est pas, c’est que le président actuel le fasse au prix de nos relations avec le Maroc».