L’Algérie au Conseil de sécurité: les dessous des craques débitées par Tebboune devant Poutine

Au centre, le président algérien Abdelmadjid Tebboune. Au fond, le Conseil de sécurité de l'ONU.

Le 16/06/2023 à 12h26

VidéoAu début de l’audience que lui a accordée le président russe Vladimir Poutine, jeudi 15 juin à Moscou, le président algérien Abdelmadjid Tebboune n’a pu se départir ni de sa mythomanie pathologique ni de sa servilité légendaire, affirmant que «l’exploit» de l’entrée de l’Algérie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU a été rendu possible grâce à la Russie. Un grotesque mensonge qui en dit long sur une Algérie qui non seulement n’a aucun mérite dans cette admission somme toute mécanique, mais, qui plus est, en fait une victoire diplomatique archi-fausse, témoin aveugle d’une supposée solidité de ses amitiés.

Dans ses deux exercices favoris, soit «plus c’est gros, mieux ça passe» et «face à plus grand, on se couche et on sourit béatement», il faut l’avouer, Abdelmadjid Tebboune ne cessera jamais de nous étonner. Il en a, de nouveau, apporté une spectaculaire démonstration lors de son chaotique préambule avant son entretien avec le président russe Vladimir Poutine, jeudi 15 juin à Moscou. Une intervention immortalisée par les caméras de la télévision publique algérienne et qui apporte la preuve du véritable naufrage diplomatique et politique que vit le voisin de l’est. Que nous apprend, entre autres, Tebboune dans sa sortie digne d’une master class en matière de mythomanie, où la goujaterie l’a âprement disputé à l’inconsistance? Que l’admission, pour un an, de l’Algérie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) est une prouesse diplomatique, que dis-je, un triomphe absolu arraché au destin et une preuve irréfutable du succès sans pareil de la diplomatie algérienne sous les auspices de Tebboune himself. Mieux, qu’une telle victoire n’aurait pu être obtenue sans le solide appui de «l’ami de toujours». Nommons la même Russie. De grâce, inutile de vous pâmer devant tant de force et de vigueur admirables, et la standing ovation attendra.

Sauf que tout le propos de Tebboune n’est rien d’autre qu’un ramassis de pipeaux et absolument rien de ce qu’il a débité n’est vrai. Si l’Algérie a été élue, le 6 juin, pour siéger au Conseil de sécurité de l’ONU comme membre non permanent pour la période allant du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2025, il n’y a là rien d’extraordinaire. C’est d’ailleurs la quatrième fois de son histoire (1968-1969, 1988-1989 et 2004-2005) que le pays devient membre non permanent du Conseil de sécurité. Au même titre que «l’ennemi classique», le Maroc, au demeurant.

Pour précision, sur les 15 membres du Conseil de sécurité, il existe un tiers permanent, composé de 5 pays (Etats-Unis, Russie, France, Chine et Grande-Bretagne). «Les deux tiers restants changent tous les deux ans, à raison de cinq pays par an dans le cadre d’une procédure routinière», explique Saïd Khamri, professeur de sciences politiques. Techniquement, chaque année, l’Assemblée générale élit cinq membres non permanents (sur les 10) pour un mandat de deux ans. Les 10 membres non permanents sont élus d’après les critères suivants: 5 membres élus parmi les États d’Afrique et d’Asie, 1 membre élu parmi les États d’Europe orientale, 2 membres élus parmi les États d’Amérique latine et des Caraïbes, et 2 membres élus parmi les États d’Europe occidentale et autres États.

Pour le mandat 2024-2025, cinq sièges étaient disponibles: deux pour le groupe africain, un pour l’Asie pacifique, un pour l’Amérique latine et un pour l’Europe. À une seule exception près, la Slovénie, les quatre autres pays candidats étaient certains de se voir attribuer une place.

Le fait est que pour les deux sièges prévus pour le continent africain, ils étaient… deux pays à se porter candidats: l’Algérie et la Sierra Leone. Il était donc naturel qu’ils «gagnent». «L’adhésion de l’Algérie en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies correspond ni plus ni moins à une logique de tour de rôle. L’Algérie n’avait strictement aucun concurrent en face. Deuxième pays africain à également siéger dans ce Conseil, la Sierra Leone a, pour rappel, obtenu plus de voix que l’Algérie», nous explique une source diplomatique au fait du dossier. Le pays ouest-africain a en effet été élu par 188 voix sur 193. L’Algérie en a obtenu 184. Pour le siège des Caraïbes-Amérique latine, le petit État du Guyane, avec ses 200.000 km² et ses 805.000 habitants, a récolté 191 voix sur 193 et la Corée du Sud (Asie pacifique) a obtenu 180 voix. La seule vraie élection est celle qui a opposé la Slovénie et la Biélorussie pour s’attribuer le cinquième siège, réservé aux États d’Europe orientale. Finalement, c’est le premier pays qui a obtenu 153 voix, contre 38 seulement pour le principal allié de la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine.

«Il existe également une règle très simple au Conseil de sécurité: l’impératif qu’un pays arabe, soit de l’Afrique du Nord soit du Moyen-Orient, y soit représenté. Rien que le long de ces dernières années, il y a eu la Jordanie, la Tunisie, les Emirats arabes unis et, maintenant, l’Algérie. C’est exactement comme la manière dont l’organisation par l’Algérie de l’avant-dernier Sommet de la Ligue arabe a été présenté comme un exploit diplomatique alors qu’il s’agissait de l’application stricte d’une règle faisant que l’organisation de cette réunion est affectée par ordre alphabétique», ironise notre source.

L’Algérie de Tebboune, en mal de légitimité et ayant soif de reconnaissance, même fausse, n’en a cure. On se souvient du communiqué laudateur du Palais de la Mouradia à l’occasion de ce «succès» qui «confirme bien le retour de l’Algérie nouvelle sur la scène internationale». Une victoire obtenue «au premier tour» et «à majorité écrasante», «en reconnaissance à son rôle (de l’Algérie, hein!) pivot dans sa région» et qui «traduit la considération et l’estime dont bénéficie le président de la République». On retiendra également, et c’est épique, la célébration, telle une fête nationale, de cette admission téléphonée et convenue par une cérémonie solennelle organisée lundi dernier à Alger et à laquelle a été convié l’ensemble des ministres algériens, à leur tête le Premier ministre Aïmene Benabderrahmane. Au-delà de son aspect sacrément anecdotique et de sa cocasserie, faire d’une rotation sans surprise et sans enjeu, attendue, voire convenue, un exploit inédit dénote d’une grave et collective pathologie et d’un besoin féroce de brandir un succès.

L’usage est pour le moins abusif et il s’explique par le fait que l’Algérie n’a obtenu aucun gain diplomatique tout au long de ces dernières années. «Le régime s’accroche aussi singulièrement à cette fausse victoire pour masquer ses récents échecs. Il y a celui de la proposition voulant que Ramtane Lamamra, ancien chef de la diplomatie, soit l’envoyé spécial de Guterres en Libye. On se souvient également de l’humiliation du dernier Sommet de la Ligue arabe. Assurant pourtant la présidence, l’Algérie n’a nullement été associée à l’organisation du sommet de Djeddah, et encore moins à la réadmission de la Syrie au sein de la famille arabe. Tebboune s’est en plus couvert de ridicule en se faisant inviter à Lisbonne, capitale du Portugal dont il est reparti bredouille si ce n’est avec des accords secondaires. A cela s’ajoute l’élément que la visite en France du président algérien est compromise. Lui qui souhaite discours à l’Assemblée nationale et parade dans les grandes artères parisiennes...Pour ces raisons et bien d’autres, Alger est obligée de forcer le trait», explique le politologue Mustapha Sehimi.

Tous les moyens sont bons. «C’est une première qu’un pays désigné membre du Conseil de sécurité décrète une véritable fête nationale alors qu’il était candidat unique et qu’il était sûr de passer, par la force des choses. Un pays comme la Slovénie, nouvellement créé et datant à peine des années 1990, qui en est à son deuxième mandat et qui, cette année, était en lutte contre la Biélorussie, n’a pas agi de la sorte. Depuis son indépendance, le Maroc a obtenu quatre mandats, mais il n’en a jamais fait un motif d’une quelconque fierté», souligne notre interlocuteur. «L’exercice est banal, sauf pour les pays qui cherchent le moindre prétexte pour se mettre en avant. Ériger une procédure routinière, une clean sheet, en exploit a quelque chose de pathologique. C’est un exploit contre qui en fait?»

Crier victoire de la sorte, en en attribuant le mérite à la Russie qui plus est, est choquant et en dit long sur le niveau de ridicule atteint par l’Algérie du duo Tebboune-Chengriha. Il ne serait vraiment pas étonnant d’apprendre un jour que l’Algérie se vante d’être devant le Maroc (ou les Etats-Unis)… dans l’ordre alphabétique des pays membres de l’ONU. Ceci, naturellement, en parlant d’écrasante victoire et d’une œuvre de la Providence pour marquer la supériorité indisputable, éternelle, de l’Algérie sur le reste de l’humanité. À ce stade, au «pays du monde à l’envers», tout est possible. Affligeant.

Par Tarik Qattab
Le 16/06/2023 à 12h26