Il y a quelques jours, dans le faste de la galerie des Glaces, au Palais de Versailles où il recevait en 2017 Vladimir Poutine, Emmanuel Macron accueillait le roi Charles III et son épouse la reine Camilla, autour d’un opulent banquet qui réunissait le gratin du Tout-Paris et du Tout-Londres.
Tenues de soirée, nœuds papillon, cascades de perles et de diamants et robes de grands couturiers habillaient ce soir-là la cour du Roi Charles III et celle d’un président qui aspire davantage au titre de monarque républicain qu’à celui de simple président. Ce n’est un secret pour personne, Emmanuel Macron cultive la nostalgie de la monarchie française et en adopte les codes dès qu’il le peut. Ce soir-là, entouré de courtisans, de nobles et de troubadours, dans le saint des saints de l’histoire de la royauté française, Macron incarnait le rôle de sa vie et marchait dans les pas du Roi-Soleil, tout auréolé d’un prestige que personne ne lui accorde.
Sourd aux revendications de la rue, n’hésitant pas à user de l’article 49.3 comme le ferait un monarque absolu en imposant sa volonté suprême pour faire appliquer ses décisions sans discussion, Emmanuel Macron, entre deux gorgées de Mouton Rothschild, tentait de rivaliser de prestige avec la couronne d’Angleterre, à coups de homard bleu, de tourteau, de volaille de Bresse et de mignardises signées Pierre Hermé of course, le tout servi dans de la porcelaine de Sèvres.
Un tel déploiement de luxe à l’heure où le pouvoir d’achat des Français se réduit comme peau de chagrin, où les manifestations et les émeutes sont rudement réprimées par les forces de l’ordre, faisant fi des valeurs droits-de-lhommistes d’une prétendue république démocratique, nous rappelle cette chère Marie-Antoinette qui, du haut de ce même château de Versailles, lançait un volage «s’ils n’ont pas de pain, donnez-leur de la brioche», en contemplant la foule en colère qui aurait bientôt sa tête.
Quelques heures plus tôt, le président français déambulait d’une fausse nonchalance dans les rues de la capitale à côté du monarque anglais, ne résistant pas à son envie de le toucher, chose absolument interdite par le protocole du palais de Buckingham, s’attirant pour ce geste de lèse-majesté les foudres de la presse britannique. Mais nous autres Marocains et royalistes, nous ne le savons que trop bien, Macron n’en a cure des protocoles qui entourent les autres souverains, persuadé qu’il est d’être leur égal, si ce n’est un être supérieur. Après tout, n’a-t-il pas osé s’adresser directement au peuple marocain faisant abstraction de la personne du Roi? N’a-t-il pas osé aussi annoncer sa prochaine venue au Maroc sans même y avoir été invité? Alors, pourquoi s’empêcher d’adresser de triviales tapes dans le dos de Charles III?
Lui, d’habitude conspué, giflé, insulté ou, dernier revers en date à son auguste personne, copieusement hué par tout un stade comme lors du dernier match de rugby qui opposait la France à la Nouvelle-Zélande, était tout à coup transcendé par l’enthousiasme d’une foule venue acclamer, non pas sa personne, mais son invité, aux cris de «Vive le Roi!». C’est dire la complexe relation d’amour et de haine qu’entretient la France avec la monarchie, ses symboles et son faste. On imagine fort bien l’électricité qui a dû parcourir l’être tout entier de celui qui n’est que président quand, en fermant les yeux l’espace de quelques secondes, il a dû s’imaginer à la place de son invité, acclamé par ce peuple qui n’est même pas le sien, et l’envier férocement.
Un président monarque à vie, voilà un concept qui plairait assurément à celui qui, limité par la constitution de 2008 à exercer «seulement» deux mandats consécutifs, exprimait son irritation à l’égard de cette entrave à son pouvoir en la qualifiant de «funeste connerie». Selon Le Figaro, il est en train de préparer sa succession et a déjà désigné un dauphin, choisi dans le cercle de ses intimes: Gabriel Attal.
La même presse française qui se montre si critique à l’égard du roi Mohammed VI depuis plusieurs jours, et qui n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur le trône alaouite dans une volonté évidente de déstabiliser les relations qu’entretiennent le roi et son peuple, s’est montrée étonnement silencieuse quant à ce simulacre de dîner royal à la française. Des ministres ayant participé à des dîners de luxe clandestins en pleine pandémie du Covid-19 avaient pourtant été cloués au pilori de la scène médiatique française. L’indécence que l’on a reprochée à ces ministres, en comptant avec soin les centaines de milliers d’euros d’argent public que coûtait chaque dîner, n’a pourtant pas été reprochée à l’Élysée. On préfère y voir «un message d’amitié franco-britannique», écrivent en chœur, de manière étrangement harmonieuse, plusieurs médias français. Et jusqu’au journal de gauche Libé, qui n’a pas hésité à voler au secours de l’Élysée en contrant la rumeur, dans sa rubrique «Check news», selon laquelle les invités seraient repartis avec un double magnum de Mouton Rothschild, d’une valeur de 3.000 euros, payés par le contribuable.
C’est ici que meurent définitivement en France les concepts de liberté de la presse et de sa supposée objectivité. Le traitement médiatique biaisé accordé à cette visite royale en France a fait montre d’une hypocrisie sans commune mesure. Des éléments de langage auraient-ils été à nouveau soufflés par le résident temporaire de l’Élysée à l’appareil médiatique qui lui sert de meute, comme ce fut le cas lors d’un déjeuner avec une dizaine de directeurs de rédaction et de journalistes, quand il fallut défendre sa très contestée réforme des retraites?
Oui, assurément. Car la France a beau arguer, au nom de ses valeurs et de son intégrité irréprochable, être le pays de la liberté d’expression et des médias, et pouvoir à ce titre faire la leçon aux autres, il n’en demeure pas moins que c’est cette même presse qui justifie un tel déploiement de luxe écœurant au nom de l’amitié franco-britannique, ou préfère bizarrement se taire, qui s’emploie à taper sur la monarchie marocaine en tentant de lui opposer le peuple. Quelle ironie!
C’est cette même presse qui se permet de pénétrer au Maroc sans autorisation d’exercer et s’offusque qu’on puisse lui refuser ce qu’elle considère comme un droit, toute à son arrogance de croire que le Maroc se doit de lui ouvrir sa porte quand elle le souhaite, et de lui offrir un thé par la même occasion.
C’est aussi cette presse-là qui, quand on la prend en flagrant délit d’illégalité, s’offusque de la condamnation au Maroc de journalistes, en qui elle refuse de voir des violeurs en les qualifiant de victimes d’un régime répressif et d’une justice corrompue, mais devient étonnement aveugle, sourde et muette dès lors qu’il s’agit de dénoncer les gardes à vue de journalistes en France, qui ont tout de même concerné quatre journalistes de différents titres en l’espace d’une semaine!
Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois et les hypocrites aussi. Un petit jeu de dupes qui ne trompe plus personne.