La campagne lancée par de nombreux activistes algériens locaux et de la diaspora, à travers le hashtag #Manish_radi (Je ne suis pas d’accord ou je suis mécontent) appelle l’armée à rejoindre les casernes et se consacrer à son rôle exclusif de protection et de sécurisation des longues frontières du pays, et à laisser la gestion des affaires de l’État aux civils. Cet appel s’est accompagné de la diffusion de clips vidéos, où les Algériens exprimant leur mécontentement face à la crise actuelle que traverse leur pays, exigeant un véritable changement qui mettra fin, une fois pour toutes, à des décennies de tyrannie militaire.
Le hashtag a suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, avec de plus en plus d’appels à descendre dans la rue pour revendiquer la mise en place d’un pouvoir civil, issu de la vox populi et non parachuté par les généraux de l’armée, comme cela est le cas actuellement et le fut précédemment.
Libérer l’État de l’emprise de l’armée
De nombreuses vidéos diffusées en ligne par les internautes algériens témoignent d’un désir croissant de mettre fin au régime militaire qui contrôle le pays depuis le coup d’État de 1965, lorsque le ministre de la Défense de l’époque, Houari Boumediene, a renversé le premier président civil de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, instaurant un régime militaire dictatorial qui se perpétue aujourd’hui encore, nonobstant son rejet constant par les Algériens.
Tout au long des sept dernières décennies, l’armée algérienne est restée la seule force dominante dans tous les secteurs de l’État. C’est elle qui fait et défait les présidents de la république, dépourvus de tout pouvoir, car ce sont les généraux qui tirent les ficelles, tiennent les cordons de la finance et gèrent toutes les activités vitales en parallèle avec un pouvoir exécutif de façade. L’omniprésence de l’actuel chef d’état-major de l’armée, également ministre délégué à la Défense, le général Saïd Chengriha, est l’exemple-type de cette influence pesante de l’armée sur le président de façade, Abdelmadjid Tebboune.
L’échec des politiques militaires suscite la colère
Alors que l’Algérie ne produit quasiment rien, à part le pétrole et le gaz naturel, les décisions économiques adoptées par le régime militaire en place, notamment la réduction drastique des importations sous prétexte de revigorer le dinar algérien, plus que jamais sans valeur, ont exacerbé le mal-vivre des Algériens, dont le pouvoir d’achat n’arrête pas de s’éroder sous les coups de l’inflation galopante. La restriction des importations a aussi conduit à de graves pénuries de produits de base, allant des voitures aux appareils électroniques, en passant par les produits de large consommation, comme le café. Cette situation a impacté le commerce intérieur, frappé de plein fouet par une récession majeure, sans parler de la montée en flèche du taux de chômage et la hausse de l’inflation, à un moment où la monnaie nationale a connu un effondrement historique par rapport au dollar et à l’euro.
En échange, le régime a alloué, pour l’année 2025, un budget colossal de 25 milliards de dollars à l’armement. Ce paradoxe a fini par attiser la colère des Algériens, désormais convaincus qu’ils sont le dernier souci du régime qui les gouverne.
Ressusciter l’âme du Hirak populaire
Cette colère n’est pas nouvelle. En 2019, l’Algérie a été le théâtre d’un vaste mouvement populaire de contestation, le Hirak, initialement lancé pour protester contre la candidature de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, avant de se transformer en un mouvement exigeant la fin du régime militaire. «Dawla madaniya, machi askaria» (un État civil et non militaire), scandaient chaque vendredi, de 2019 à 2021, les millions de manifestants à travers les grandes villes d’Algérie. Mais le régime a réagi à ces manifestations à travers une répression implacable, puisque des centaines de militants ont été arrêtés, dont certains ont été condamnés à la prison à vie, tandis que d’autres ont été contraints de fuir le pays.
La campagne #Manish_Radi mènera-t-elle au changement?
Aujourd’hui, on parle de plus en plus de descendre à nouveau dans la rue pour exiger un pouvoir civil qui restaurerait l’identité volée de l’État. Les Algériens estiment en effet que la mainmise de l’armée sur tous les compartiments de l’État exacerbe davantage la crise interne multiforme et l’isolement international du pays.
Le hashtag #Manish_radi n’est pas seulement un strident cri de colère, mais surtout une sonnette d’alarme sur la crise profonde que traverse l’Algérie et qui nécessite un sursaut urgent. Les revendications sont claires: une armée axée sur la protection des frontières et un État civil qui donne aux Algériens une chance de construire un avenir meilleur. La balle est désormais dans le camp du peuple algérien pour décider de son sort. Saura-t-il briser les chaînes du passé et ouvrir une nouvelle page de liberté et de bonne gouvernance?