Mardi dernier, des dizaines d’opposants ont été arrêtés en Algérie au moment où ils s’apprêtaient à commémorer le 68ème anniversaire du Congrès de la Soummam, un événement historique tenu sous le sceau de la clandestinité dans la wilaya de Bejaia entre les 13 et 20 août 1956, marquant ainsi un tournant majeur dans la structuration et la création d’institutions qui vont servir à encadrer et organiser la résistance algérienne. Ces arrestations, intervenues suite à une rafle policière, ont concerné quasiment tous les hauts cadres du parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dont le président du parti lui-même, Athmane Maazouz.
Le même jour, le RCD a publié un communiqué incendiaire dans lequel il affirme condamner ces arrestations «avec la plus grande fermeté», ajoutant qu’elles s’inscrivent dans les «tendances répressives du régime en place qui cherche à perpétuer la dictature et à faire taire toute voix libre qui refuse d’obéir à ses politiques injustes». Le pouvoir politico-militaire, auquel la légitimité aussi bien historique que démocratique a toujours fait défaut, ne rate aucune occasion pour confisquer aux populations le seul socle sur lequel est bâtie son entité qui n’a jamais existé en tant qu’État ou nation avant la colonisation.
C’est dans ce sens que le communiqué du RCD précise que «le 20 août fait partie de la mémoire du peuple algérien, un événement qui incarne les plus hautes significations de la lutte et de la résistance contre le colonialisme. Mais, au lieu de profiter de cet anniversaire pour unir les rangs et honorer les sacrifices des martyrs, le pouvoir a choisi d’en faire une nouvelle occasion pour réprimer tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui». Début juillet dernier le Conseil national du RCD a décidé un «boycott actif» de la présidentielle de septembre prochain, qualifiée au passage de «supercherie électorale qui ne suscite aucun intérêt chez l’écrasante majorité des Algériens». Il paye aujourd’hui le prix de ce positionnement politique, unanimement adopté en Kabylie.
Cette vague d’arrestations de mardi dernier a également touché de nombreux cadres et militants du Front des forces socialistes (FFS), un parti dont le premier secrétaire, Youcef Aouchiche, va pourtant servir de second lièvre à Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier a d’ailleurs pris tout le monde de vitesse en célébrant à sa façon, et un jour plus tôt, l’anniversaire de la Soummam.
Lors de son premier meeting électoral dimanche dernier à Constantine, il a rendu hommage à cet événement historique et à Houcine Aït Ahmed, fondateur du FFS, dont paradoxalement les images ont été interdites durant l’actuelle campagne électorale.
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Le régime d’Alger a encouragé Youcef Aouchiche à se présenter aux pseudo-élections présidentielles à seule fin d’éviter le boycott du peuple kabyle et de comptabiliser une participation dépassant 10% en Kabylie. Mais, compte tenu de la répression aveugle qui n’a même pas épargné les militants du parti de Youcef Aouchiche, il est peu probable que le régime réussisse à faire bouger le peuple kabyle vers les bureaux de vote.
Il n’est pas superflu de rappeler ici que quasiment tous les cadors de la révolution algérienne qui ont participé au Congrès de la Soummam en 1956 ont été assassinés dans leur majorité sur ordre de Houari Boumediene (Abane Ramdane, Krim Belkacem…) ou livrés à l’armée coloniale (Youcef Zighoud, Larbi Ben M’Hidi…). Pour sa part, Karim Tabbou, un Kabyle et l’une des figures de proue du Hirak et de l’opposition au régime militaire algérien, a été arrêté le 19 août courant par les agents de la DGSI (renseignements intérieurs) de Dely Ibrahim chez lesquels il se rendait chaque semaine dans le cadre du contrôle judiciaire auquel il est soumis depuis mai 2023. Mais, cette fois-ci, au lieu de signer et repartir comme de routine, il a été arrêté et présenté au tribunal de Koléa (wilaya de Tipaza), où un juge d’instruction lui a ordonné de cesser de s’exprimer dans les médias et les réseaux sociaux, mais aussi de mettre en berne toutes ses activités politiques.
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Même les candidats à la présidentielle n’ont pas été épargnés par la répression du régime. Ainsi, Saida Neghza, Belkacem Sahli et Abdelhakim Hammadi, ayant récemment vu leurs dossiers de candidature rejetés, n’ont pas été au bout de leurs peines. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire, après avoir été accusés, avec 68 autres complices (actuellement sous mandat de dépôt), d’achats de parrainages. Cela sans oublier que le tribunal de première instance d’Azazga (wilaya de Tizi-Ouzou) a condamné, le 18 août, le professeur de danse kabyle Omar Aït Yahia, à 18 mois de prison ferme, pour appartenance présumée au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK).
L’actuelle poussée de la répression visant les militants de tout bord et en particulier ceux affiliés ou sympathisants du RCD et au FFS a été vivement critiquée par Mohcine Belabbas, ancien président du RCD, qui a fustigé «un climat de terreur en période électorale. Pour ce signataire de la déclaration du 20 juillet dernier, avec 10 autres personnalités dénonçant la présidentielle et autres “miséreux et parodiques cycles électoraux tranchés au préalable”, jamais en Algérie «une campagne électorale présidentielle n’a été empreinte d’une répression aussi implacable ni marquée par un tel déferlement d’arrestations».