Algérie: arrestation d’un colonel des services de renseignements proche du clan de Tebboune

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le colonel Salim Belazzoug, ancien directeur de la police judiciaire au sein de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI-services des renseignements intérieurs) a été arrêté le 10 septembre pour corruption. Il a comparu, lundi 15 septembre, devant le procureur près le tribunal militaire de Blida. Cette affaire, révélatrice du caractère mafieux du régime algérien, crée des remous jusqu’au sein de la présidence algérienne, car ce colonel-ripoux a reçu d’importantes prébendes de la part de l’un des fils d’Abdelmadjid Teboune, mais aussi des deux derniers directeurs de cabinet du président algérien.

Le 18/09/2025 à 16h54

Selon des sources bien renseignées, la prison militaire de Blida a ajouté, mercredi 10 septembre, un nouveau pensionnaire à sa liste déjà longue de «notables» en disgrâce. Le dernier en date n’est autre que le colonel Salim Belazzoug, ex-directeur de la police judiciaire au sein de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), désormais réduit au rang de taulard ordinaire.

L’officier, rattrapé par la justice militaire sur ordre du tout-puissant chef d’état-major, le général Saïd Chengriha, a passé une semaine derrière les barreaux avant d’être présenté, lundi 15 septembre, devant le procureur du tribunal militaire de Blida. Ce dernier, sans surprise, a confirmé son maintien en détention.

Salim Belazzoug est aujourd’hui rattrapé par l’une de ces affaires de corruption dans lesquelles il a longtemps trempé et qu’il avait érigées, depuis plusieurs décennies, en véritable fonds de commerce lucratif. Il est désormais présenté comme l’un des officiers supérieurs les plus fortunés du pays, propriétaire de plusieurs villas et appartements dans les quartiers huppés d’Alger.

À cela s’ajoute un patrimoine soigneusement dissimulé derrière des sociétés-écrans — dans l’électronique, l’agroalimentaire, entre autres — toutes installées à Alger et officiellement gérées par l’un de ses cousins. Comme beaucoup d’officiers corrompus de l’armée algérienne, il a également pris soin d’envoyer sa fille, âgée de vingt ans, poursuivre ses études à Paris, où elle réside dans un appartement du huitième arrondissement et bénéficie chaque mois de plusieurs milliers d’euros de rente.

D’où vient cette importante fortune que Salim Belazzoug a réussi à amasser? Il la doit surtout à Mohamed Tebboune, le très influent fils du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et nouveau Said Bouteflika de l’actuelle «secte présidentielle».

En Algérie, il est de notoriété publique que les fils, les proches du président de la République, des généraux de l’armée, voire de simples ministres, constituent le meilleur tremplin vers les prébendes et les pratiques mafieuses qui gangrènent la nomenklatura au pouvoir.

C’est par ce népotisme ambiant, caractéristique des hautes sphères de l’État algérien, que Mohamed Tebboune et Salim Belazzoug ont noué connaissance, par l’entremise d’un magnat de l’importation de bananes — un oligarque également impliqué dans plusieurs affaires avec Mohamed Tebboune —, précise le journaliste algérien exilé en France, Mohamed Sifaoui.

Cette rencontre a eu lieu durant l’année faste de Tebboune qui, de janvier à mai 2017, cumulait les portefeuilles de ministre de l’Habitat et du Commerce, avant d’accéder brièvement au poste de Premier ministre.

C’est au cours de ce bref intermède que Mohamed Tebboune parvient à convaincre son père d’accorder au colonel Salim Belazzoug une licence d’exportation de produits agroalimentaires. Un privilège rare, habituellement réservé à quelques hommes d’affaires triés sur le volet, qui va ouvrir à l’officier la voie royale pour s’installer durablement dans le milieu des «affaires».

Par l’entremise de Mohamed Tebboune, Salim Belazzoug s’est rapidement frayé un chemin vers les cercles les plus influents de la présidence algérienne. Au point qu’en octobre 2024, Mohamed Tebboune a mobilisé Nadir Larbaoui, ex-Premier ministre, ainsi que Boualem Boualem, l’omnipotent directeur de cabinet du président, pour obtenir sa réintégration à la DGSI, alors même qu’il avait officiellement pris sa retraite en 2020. Il y retrouve son ancien complice de la «décennie noire», Nacer El-Djinn, affairiste notoire lui aussi, qu’il vient désormais de rejoindre derrière les barreaux.

La chute brutale de Belazzoug, orchestrée par le général Saïd Chengriha, ne constitue en réalité qu’un épisode de plus dans l’interminable bras de fer entre les clans de la présidence et ceux de l’état-major militaire. Une guerre larvée où aucun camp ne peut l’emporter totalement sur l’autre, et dont l’issue est un équilibre précaire, maintenu par la peur d’être évincé plutôt que par une quelconque logique de gouvernance.

Mohamed Tebboune a déjà sauvé son père d’un coup d’État médical: en 2020, durant la longue hospitalisation d’Abdelmadjid Tebboune en Allemagne, Saïd Chengriha avait tenté de profiter du vide laissé au sommet de l’État pour l’évincer. Finalement, les deux hommes ont scellé un modus vivendi fondé sur un partage du pouvoir, sans jamais cesser de s’observer en chiens de faïence.

En entretenant une instabilité permanente au sein des services de renseignement comme du gouvernement, Tebboune et le général-ministre se neutralisent mutuellement, empêchant chacun d’eux de bâtir un front solide et durable.

La réouverture récente par la justice du dossier de la drogue de 2018, immédiatement reportée sine die par la présidence, car impliquant jusqu’au cou Khaled Tebboune, l’autre fils du président, participe de ce bras de fer entre clans.

Dans ce qui reste le plus grand scandale mafieux de l’Algérie contemporaine — l’affaire des 701 kilos de cocaïne saisis au port d’Oran en mai 2018 —, l’implication de Khaled Tebboune avait éclaté au grand jour. Condamné en juin 2018 dans ce dossier, connu sous le nom d’«El Bouchi» (le boucher), il purge dix-huit mois au pénitencier d’El Harrach.

Sa libération, intervenue en février 2020, n’était pas la conséquence d’une quelconque reconnaissance de son innocence, mais d’une décision politique: son père, fraîchement propulsé par l’armée au palais d’El Mouradia, choisit de consacrer l’un de ses premiers gestes officiels à faire relâcher son fils.

À son tour, Mohamed Tebboune est tombé dans le piège en recyclant le sulfureux colonel Salim Belazzoug, dont la réputation d’expert en racket d’hommes d’affaires et en spoliation des victimes de la guerre civile des années 1990 n’est plus à faire. Durant cette décennie noire, alors que ses compagnons d’armes du défunt Département du renseignement et de la sécurité (DRS) s’illustraient dans des massacres à grande échelle, Belazzoug, lui, profitait du climat de terreur pour constituer un véritable butin de guerre.

Il dépouillait les victimes de leurs biens, tout en extorquant les hommes d’affaires sous couvert d’une prétendue protection contre les «terroristes islamistes» — dans un pays où, à l’époque, chacun se demandait encore: qui tue qui?

Si Salim Belazzoug est finalement tombé dans les filets de la justice militaire, ce n’est pas pour ses innombrables forfaits passés, mais pour avoir franchi la ligne rouge: s’acoquiner avec le clan présidentiel et commettre le chantage de trop, celui qui aurait visé un homme d’affaires proche de Saïd Chengriha.

Sa chute illustre une réalité implacable: lorsque ses propres réseaux sont menacés, le chef d’état-major n’hésite pas à frapper, y compris au cœur du clan Tebboune.

Par Mohammed Ould Boah
Le 18/09/2025 à 16h54