Depuis qu’il a été parachuté président de la République par le défunt chef de l’armée Ahmed GaÏd Salah, en décembre 2019, c’est la deuxième fois seulement en quatre ans de pouvoir qu’Abdelmadjid Tebboune se rend en visite officielle dans une wilaya en dehors d’Alger. Mais contrairement à sa première sortie, effectuée en octobre dernier dans la wilaya de Djelfa où il a été accueilli par une foule de militaires et leurs familles «triés sur le volet», le président algérien, flanqué comme d’habitude du général Saïd Chengriha, chef d’état-major, a eu droit à une démonstration de force de l’armée.
Cette visite, un aller-retour express de quelques heures, que d’aucuns croyaient annulée pour des raisons de sécurité et de crainte de slogans anti-régime, a été qualifiée de «visite de travail et d’inspection», sans la moindre allusion aux citoyens de cette lointaine contrée laissée pour compte, que Tebboune est censé venir écouter, en vue de connaître leurs préoccupations et besoins, surtout qu’il est déjà entré en campagne électorale en vue de briguer un second quinquennat présidentiel.
Cette absence d’un accueil de la part des vrais habitants de Tindouf n’a pas empêché la télévision publique algérienne de ressasser, dans ses journaux télévisés, que «les populations de Tindouf ont réservé un accueil chaleureux à Tebboune, à qui ils ont exprimé la bienvenue ainsi que leur soutien à sa politique d’édification de l’Algérie nouvelle».
Cet «accueil chaleureux» n’est autre qu’une allusion au nouveau numéro joué par ce grand comique qu’est Tebboune, qui fait intervenir même des enfants dans ses bouffonneries. Ainsi, une fillette, entourée d’une demi-douzaine d’enfants, a débité, dans le salon d’honneur de l’aéroport dit «Commandant Ferradj» de Tindouf, une récitation dans laquelle Tebboune est présenté comme un «guide éclairé», l’«édificateur de l’Algérie nouvelle» et tout le reste du tintouin de la propagande de la junte algérienne sur les «causes justes», dont la compréhension échappe à ces enfants innocents. Une prestation à la Kim Jong-un, imposée à une enfant qui a dû apprendre par cœur, pendant des jours, un texte incompréhensible pour des enfants de son âge. Mais qu’à cela ne tienne: Tebboune n’en est pas à sa première bouffonnerie et son auguste personne inspire des chevauchées lyriques même aux moins de 10 ans.
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Même sur le site minier de Gara Djebilet, où il s’est rendu en priorité à partir de l’aéroport de Tindouf, en vue de poser la première pierre de la mise en exploitation «primaire» (dixit l’APS) de la mine de fer, en plus d’une future ligne ferroviaire de 950 km, reliant cette mine à Tindouf puis à Béchar, les populations de la région sont restées, ou ont été mises, à l’écart de cette activité présidentielle.
Assis au milieu d’un groupe très restreint d’officiels, agglutinés dans une salle de conférence très exiguë, Tebboune a déclaré que l’inauguration à laquelle il vient de procéder constitue «un jour historique» et que la mine de fer «créera une nouvelle vie économique et sociale» et apportera à l’Algérie l’autosuffisance en fer, avant de «se tourner vers l’exportation, d’autant que le produit algérien est de qualité et demandé à l’étranger».
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D’après les données fournies par l’agence de presse officielle algérienne, «la mine de Gara Djebilet, qui représente le plus grand investissement minier en Algérie depuis l’indépendance», recèle des réserves estimées à environ 3,5 milliards de tonnes de fer qui seront exploitées en plusieurs phases, allant de 2-3 millions de tonnes cette année jusqu’à 40-50 millions de tonnes à l’horizon 2040. Malgré tout ce tapage médiatico-politique, ce projet gargantuesque est qualifié de «bidon» et de «gouffre» sans rentabilité par de nombreux experts économiques, algériens et étrangers.
Le clou de cette visite est supposé être un bain de foule de Tebboune, en compagnie de Chengriha, dans une allée, parfaitement quadrillée, de Tindouf. Très probablement composée de soldats (déguisés en civils) et de leur famille, cette foule n’a pas manqué de crier un slogan qui sonne comme une mise en garde à l’adresse de Tebboune. «Al Djeich, Achaab, khawa khawa» (l’armée et le peuple, des frères), ont scandé les personnes qui ont joué le rôle de populations de la ville. Pour la façade civile du régime algérien, cela sonne comme un slogan hors-cadre.
À un an de la présidentielle, il rappelle au candidat Tebboune que c’est l’armée qui compte aux yeux du peuple. Quand on sait que des clans puissants au sein de cette même armée s’opposent à un deuxième mandat de Tebboune, le slogan devient un désaveu pour le président algérien. Ce dernier n’a même pas passé la nuit à Tindouf, qui se trouve pourtant à plus de 1.800 km d’Alger. Se sentant en territoire hostile, il a repris, la même journée, le chemin d’El Mouradia.