«A bas la censure!», «une honte», «un scandale»… Les Algériens sont sous le choc, depuis la décision effarante prise par le directeur général de la radio nationale, Mohamed Baghali, de limoger des responsables de la radio de Constantine, pour avoir diffusé une chanson de la très célèbre chanteuse libanaise Fayrouz.
Et pas n’importe quelle chanson… Une chanson sur la fête de Noël, «Laylet Eid» (Jingle Bells), accusée de «glorifier la religion chrétienne» a-t-il été jugé après l’ouverture d’une enquête ordonnée par le DG de la radio nationale.
Jugé coupable (mais de quoi?), le directeur de la radio Cirta, Mourad Boukerzaza, y a laissé sa place tout comme la présentatrice de l’émission qui diffusait cette chanson ainsi que le technicien et le réalisateur de ce même programme musical. Pire encore, ces mélomanes accusés d’avoir fait passer l’amour de la musique avant une propagande haineuse à l’encontre des autres religions, doivent passer devant un conseil de discipline une fois l’enquête achevée.
Onde de choc en Algérie Les internautes algériens n’en reviennent toujours pas et sur la toile, la fronde s’organise. Certains regrettent le temps d’avant, comme cette jeune femme qui déplore qu’«avant cette triste époque, où on est limogé pour avoir laissé diffuser une chanson de Fayrouz "glorifiant le christianisme", il fut un temps où les fêtes légales algériennes incluaient des fêtes chrétiennes et juives».
«Les talibans n'auraient pas fait mieux»Les intellectuels algériens expriment également leur effarement, à l’instar de Saïd Yahia Chérif, écrivain, journaliste et conférencier qui écrit sur facebook : «dans les années cinquante, l'immense Fayrouz chantait la grandeur de Djamila Bouhired (une résistante algérienne, Ndlr) et soutenait la révolution algérienne. Dans les années soixante elle chantait Ya Qoudssou et militait pour une Palestine libre. Un demi-siècle après, dans la nouvelle Algérie, la diva à la voix d'or est interdite d'antenne du fait de chanter sa foi de chrétienne pour Noël. C'est donc faire l'apologie d'une religion reconnue dans le Coran que de programmer une chanson de Fayrouz sur les ondes d'une radio algérienne... Une entorse à la bigoterie nationale qui a provoqué le renvoi du staff de la radio de Constantine. Intolérable intolérance... ».
Sur le groupe Facebook «Page Des Libres Penseurs, Des Indignés Et De La Liberté De Ton», on fustige le gouvernement actuel. «Le directeur de la radio de Constantine est limogé pour une chanson de Fayrouz, les talibans n'auraient pas fait mieux, nous appliquons la politique de daech sans daech, la daechisation du pays est bien partie sous la bienveillante nouvelle Algérie».
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«A ce train, plus personne ne va croire en l’Algérie», écrit un autre internaute algérien, qui titre son post de la façon suivante: «non au révisionnisme, non à l'intolérance, non à l'obscurantisme».
Enfin, Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne des droits de l’homme (Laddh), s’emporte à son tour en relevant les incohérences de cette décision. «La chanteuse Fairouz interdite d’antenne à la Radio Constantine pour sa religion, alors qu’en Algérie il y a toute une communauté chrétienne algérienne qui exerce son culte dans le cadre de la loi», observe-t-il.
Un régime antisémite notoire et désormais antichrétienL’indignation de certains internautes et droit-de-lhommistes algériens n’a pas de résonance auprès d’un régime qui exacerbe les différences identitaires. Le limogeage d’une équipe d’une radio publique pour diffusion d’une chanson de Noël par une icône de la chanson arabe participe parfaitement de la politique du régime qui encourage la haine de l’autre et combat la fraternité entre les religions.
Fayrouz, immense chanteuse libanaise de confession chrétienne, dont le répertoire n’a jamais été sujet auparavant à une quelconque censure en raison de sa religion, et qui symbolise dans le monde entier la paix et l’harmonie entre peuples de toutes confessions, a donc été clouée au pilori d’une décision qui représente un pas supplémentaire dans l’intolérance, le racisme de la junte militaire au pouvoir qui encourage la haine entre les religions, y compris monothéistes.
L’antisémitisme dont fait preuve le régime au pouvoir, qui n’est plus un secret pour personne, est par ailleurs assumé. Car en recourant de façon systématique et décomplexée à un lexique antisémite et en brandissant une prétendue «menace sioniste», les politiques algériens aussi bien que les médias officiels ont révélé de longue date l’ampleur d’une haine viscérale contre les juifs, érigée désormais en doctrine d’Etat.
Antisémite, le régime en place en Algérie peut désormais aussi se targuer d’être antichrétien. Honteux.